L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR DANS LE PROJET POLITIQUE DE L’ÉTAT POSTCOLONIALE DU CAMEROUN
L’avènement de l’indépendance nationale est l’une des raisons principales qui poussent les indigènes à réclamer un meilleur enseignement. Après la levée de la tutelle, les autochtones ne bénéficieront plus d’une aide logistique, administrative, économique et politique venue de l’étranger. La population doit donc être capable de se gouverner elle-même. Les questions liées à la formation sont par conséquent de premier ordre. Les postes de cadres supérieurs étaient occupés par des Européens de manière prépondérante au milieu des années 1950. Cette situation est fortement critiquée par le Conseil. Son souhait est de voir une élite indigène émerger grâce aux nouveaux programmes de formation mis en place. Les autorités en charge de l’administration ont le devoir de changer rapidement cette situation, et rendent annuellement des comptes au Conseil. Le Conseil note avec intérêt l’augmentation des effectifs du personnel africain et européen des cadres administratifs, invite instamment l’Autorité chargée de l’administration à intensifier son programme de formation pour permettre aux Africains d’accéder aux postes administratifs comportant des responsabilités accrues, et exprime l’espoir que l’Autorité chargée de l’administration remplacera progressivement les Européens par des autochtones, en particulier aux postes supérieurs.
LA FORMATION DES CADRES ET DES FUTURS DIRIGEANTS
Il est à noter qu’en 1950, le personnel contractuel dans les services techniques est en augmentation. Il joue le rôle d’éducateur des travailleurs africains pour assurer l’efficacité de leur formation. Des centres de formation et d’orientation professionnelle existent. La présence de ce personnel sur le territoire pour une courte durée démontre la volonté des autorités de former les indigènes et de mettre ensuite entre leur main l’ensemble des matériaux qui serviront pendant toute leur carrière. Même si année après années les chiffres augmentent, le Conseil presse toujours de faire mieux. Avec le système de bourses, une classe dirigeante camerounaise qualifiée, qui a des responsabilités équivalentes à celles de leurs collègues européens, émerge. Ce sont notamment les bourses pour étudier les sciences politiques et l’administration qui sont les plus répandues. Dans le rapport du Conseil couvrant la période du 18 décembre eu 24 juillet 195230, on apprend que parmi les moyens utilisés en vue de confier à des Africains des postes importants et d’assurer leur formation générale et professionnelle, des cours du soir sont proposés dans les villes de Yaoundé, Douala et Nkongsamba. Ils préparent les élèves au brevet élémentaire, au baccalauréat, à l’ouverture d’un stage professionnel pour les agents des postes, des télécommunications et des mines, et à l’octroi de bourses de perfectionnement en France. Dans son rapport datant de 1951, la France indique que les cours de formation à Yaoundé et Douala ne sont suivis que par des fonctionnaires africains. On compte dans ce rapport 52 cadres supérieurs de niveau baccalauréat.
De nombreux étudiants qui sont à l’étranger souhaitent à l’époque de rentrer dans leur pays à la fin de leurs études pour exercer des fonctions de hautes responsabilités. Ils sont conscients que la métropole ne leur fournira pas ce type de responsabilités réservées aux nationaux. Les hommes, comme les femmes, sont concernés par ce retour. Dans le Rapport du 23 juillet 1955 au 14 août 1956, le représentant de la Nouvelle-Zélande nous informe que 95 jeunes filles poursuivent leurs études en France, et que la plupart d’entre elles auraient un apport important sur l’avenir du Cameroun si elles revenaient exercer dans ce pays. En effet, peu de femmes avaient des postes de responsabilité au Cameroun. Elles seront des exemples et des modèles pour les autres femmes. Dans le Rapport qui s’étend sur la période du 17 juillet 1954 au 22 juillet 1955, le représentant de l’Inde estime qu’au Cameroun anglophone il faut « accélérer immédiatement le rythme de « l’africanisation » de la fonction publique, en particulier aux échelons supérieurs ». L’africanisation de l’élite renvoie en effet une image positive aux autochtones. Un peuple qui se réfère à ses dirigeants veut voir des personnes qui lui ressemblent culturellement. La communication se fait plus rapidement et dans de meilleures conditions dans ce cas de figure.
Les politiques de recrutements nationalistes et coercitives
Pendant la Mission visite33 du conseil de tutelle de l’ONU en 1955, celle-ci recense 18 cadres supérieurs africains de l’administration publique dont 5 Camerounais employés dans les services administratifs, les services médicaux et le service des travaux publics. En outre au moins 7 Camerounais, anciens boursiers, occupent alors des postes supérieurs dans l’administration publique française en dehors du Cameroun et ne souhaitent pas à l’époque être mutés au Cameroun. Pour éviter que ces cas de figure se multiplient, le gouvernement de l’État sous tutelle du Cameroun instaure, pour les candidats à la bourse, la signature d’un engagement les obligeant à servir le Cameroun pour une durée minimale de 5 ans après l’obtention de leur diplôme. La Mission de visite soutien cette politique qui participe, selon elle, au développement du sentiment national. Cette mesure coercitive vise à par ailleurs à « camerouniser » l’administration et lutter contre la fuite des cerveaux.
Les remarques faites par le représentant de la Syrie au sein du Conseil encouragent le gouvernement dans cette voie. Celui-ci estime que la proportion d’autochtones dans les postes d’autorité n’est pas entièrement satisfaisante, et qu’il y a encore beaucoup d’Européens dans les postes administratifs supérieurs. Le représentant de la Chine prend position dans le même sens et souhaite une camerounisation accélérée de l’administration.