L’enseignement explicite au service de la compréhension en lecture

Le goût de la lecture

Un certain nombre d’élèves quittent l’école obligatoire sans savoir lire efficacement. Or, un enfant pour qui lire est une activité difficile ne lira pas ou peu. Dès qu’il n’y est plus obligé, peut-être dès l’école terminée, le jeune adulte ne lira souvent plus. C’est ainsi que des jeunes, qui savaient lire à la fin de la scolarité obligatoire, désapprennent la technique de la lecture, s’installe alors une forme d’illettrisme. En effet, moins une personne est confrontée à des textes écrits, plus elle devient faible en lecture et moins elle a envie de lire, jusqu’à en perdre la capacité (Poslaniec, 1990). Il serait donc indispensable de donner aux enfants le goût de la lecture, afin qu’ils prennent conscience de la distinction entre lecture technique et lecture plaisir. Dès lors, il s’agit, en partie, de démontrer qu’une lecture technique ne suffit pas à lire.

Puis à faire accepter à nos élèves qu’il n’y a pas une seule bonne réponse, qu’il y a plusieurs interprétations et plusieurs points de vue lorsqu’il est question de littérature. Ils doivent lire en profondeur, interpréter, créer, pénétrer et explorer les livres. La limite de l’interprétation est, tout de même, celle du bon sens, qu’on admettra être le sens commun. La lecture doit donc s’inscrire comme une habitude pour l’individu, en lui faisant prendre conscience que les livres nourrissent l’imaginaire, aident à se construire et donnent des repères culturels forts (Léon, 2007). Le livre peut être le miroir de ce que ressent le lecteur et donner des informations sur la manière dont les autres réagissent aux situations similaires à celles vécues par le sujet. Le livre peut être un terrain d’aventure dans lequel le lecteur peut expérimenter et imaginer des situations nouvelles qu’il n’a encore pu, et qu’il ne pourra peutêtre jamais vivre (Turin, 2008). L’intervention de prévention de premier niveau est un enseignement de qualité offert à tous les élèves (Giasson, 2012). En effet, un lecteur « qui s’engage émotivement dans la lecture d’un texte est plus actif (…) et a plus de chances de comprendre et de retenir l’information contenue dans ce texte » (Giasson, 1996, p 144). Ainsi, notre rôle, en tant qu’enseignant, serait d’inscrire un goût intrinsèque pour la lecture en offrant à nos élèves des motivations extrinsèques à travers la fréquentation importante, riche et variée d’ouvrages de littérature jeunesse.

Visites à la bibliothèque municipale

Lorsqu’ils étaient dans la classe des plus jeunes, mes élèves se rendaient à la bibliothèque toutes les trois semaines pour y emprunter des livres pour la classe. Lorsque nous avons effectué notre travail de début d’année sur les livres et leurs conceptions de leur lecture, ils ont émis le désir de retourner à la bibliothèque. Ils ont écrit à la bibliothécaire pour prendre un rendez-vous. Le premier moment a été difficile à fixer, car la bibliothèque n’est ouverte que l’après-midi et il y avait peu de disponibilités en raison d’une grande occupation par les classes de la commune. Depuis cette première visite, nous avons fixé des après-midis régulièrement toutes les cinq semaines. Lors de nos visites, la bibliothécaire leur lit une histoire. Elle leur a également fait découvrir les espaces pour les adolescents avec des documentaires plus complexes, du matériel informatique (revues interactives), des mangas et des romans. Ensuite, ils empruntent chacun 3 ouvrages. Nous les regroupons tous ensemble dans une partie spécifique de notre bibliothèque. Ils peuvent également prendre ces livres à la maison en les notant simplement dans un cahier. Je trouve enrichissant de fréquenter une bibliothèque pour ces enfants qui ont peu d’activités culturelles en famille. Comme c’était leur demande, autant en profiter afin qu’ils prennent l’habitude d’y aller. Ils apprennent également à avoir un comportement adapté dans ce genre de lieu, ce qui n’est pas évident avec la population d’élèves que nous avons. Enfin, ils ont accès à un nombre de livres beaucoup plus grand que ce que nous avons en classe. Certains élèves ont emprunté des livres de cuisine, nous avons ensuite cuisiné en classe à leur demande. Ils ont aussi emprunté des documentaires très spécifiques comme des livres sur les motos, les voitures, le piano. Ils ont trouvé des documentaires et revues sur les sujets que nous traitions en classe : préhistoire ou ornithologie.

Rencontres avec des auteurs

Dans nos voyages littéraires, les élèves de la Fondation de Vernand ont eu la chance de rencontrer Matthieu Maudet à Bibliomedia. Les élèves de la classe de soutien ont, eux, rencontré Plume et Pinceau à Morges sur les quais. Ces rencontres ont été très marquantes pour nos élèves. Avant de rencontrer les auteurs physiquement, ils les ont rencontrés à travers leurs livres. Nous les avons lus ensemble. Ils les ont lus seuls en classe et à la maison. Ils les ont lus à haute voix à leurs camarades et à des plus petits. Les enfants connaissaient bien l’univers des auteurs. Ce genre de rencontres est fondamental pour tous les élèves. En effet, ils ont ainsi eu l’occasion de connaître un illustrateur qui leur a expliqué avec ses mots, soit en dessins, comment il travaillait, comment un livre naissait et de quelle manière il collaborait avec les auteurs qui écrivaient ses histoires. Cela a également été l’occasion, pour eux, de découvrir qu’il y a de multiples autres métiers du livre dont ils n’avaient pas conscience. Cela leur a permis de faire exister pleinement le livre par rapport à sa fonction. Mathieu Maudet n’est pas la sorcière ou le petit oiseau, mais il participe à leur existence à travers les histoires qu’il illustre. Et, si l’auteur et/ou l’illustrateur sont à un bout de l’histoire du livre, il faut un lecteur à l’autre bout pour que leur travail prenne du sens.

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Lors de la rencontre, nous avons découvert nos élèves sous un jour que nous ne connaissions pas à l’intérieur de la classe: ils écoutaient, participaient, posaient des questions, bref, avaient une attitude conforme à ce que nous attendons d’élèves. Après la rencontre, ils ont exprimé que le moment vécu avait été intéressant et m’ont dit « ce serait bien mieux si Matthieu Maudet venait tous les jours nous parler dans notre classe ». Ils ont été particulièrement marqués par la part d’informatique liée à la création d’un livre. La tablette numérique sur laquelle Matthieu Maudet crée les a fascinés. Ils ont également été très intéressés par l’évolution, le cheminement qui mène au livre. Il est vrai qu’il est difficile d’imaginer les questionnements et les choix qui font finalement un livre. Il me semble que cette rencontre les a poussés à être plus ouverts lors des rencontres de nouveaux livres qui ont suivi. Même plusieurs mois plus tard, ils continuent à faire allusion à cette rencontre. Ils se demandent, par exemple, comment Matthieu Maudet aurait réalisé tel dessin. Ils ont également été ravis de découvrir le dernier album de Mathieu Maudet « Le pirate et le roi » en librairie. En effet, il leur avait parlé de l’ouvrage et leur avait raconté le début en leur disant qu’ils pourraient découvrir la fin lorsqu’il sortirait au mois de mai suivant. Ils espèrent également, lors de la découverte d’un nouvel auteur, à travers un livre qui leur plaît, avoir l’occasion de le rencontrer.

En août 2014 La première question posée était « Aimes-tu lire? ». Le point positif était que d’entrée, aucun élève disait ne pas aimer du tout lire. La moitié d’entre eux disait aimer « un peu » lire. Ils l’expliquaient en disant que « des fois, c’est un peu dur de lire » ou encore « parce que lire, c’est pas mon truc ». Ceux qui disaient aimer « beaucoup » lire relevaient « bien aimer les histoires » ou encore « bien aimer les mots ». La deuxième question leur demandait « Lire pour toi, c’est … ». 5 élèves répondent que c’est facile, 5 que c’est difficile, 3 que c’est très facile et 1 que c’est très difficile. Ce dernier ne sait effectivement pas lire. Les enfants qui répondent que c’est facile l’expliquent en disant « choisir les livres faciles de la bibliothèque » ou « parce qu’ils ont bien appris à lire et qu’ils sont maintenant à l’aise pour lire. ». Ceux qui disent que c’est difficile l’expliquent parce que « c’est dur de lire les mots » ou qu’ « ils ne se rappellent plus les sons » ou encore qu’ « ils se répètent plusieurs fois les lettres dans la tête et qu’ils oublient ce qu’ils ont lu ». Leurs réponses montrent que les élèves qui trouvent la lecture difficile ou très difficile ne sont pas encore capables de déchiffrer efficacement les mots, ce qui rend la tâche difficile pour eux. La troisième question leur demandait « Comprendre ce que je lis me demande des efforts … ». 8 élèves répondent que les efforts sont moyens ; 4 disent que les efforts sont énormes. Ces derniers disent que ce qui rend la compréhension difficile, ce sont « tous les mots qu’ils ne comprennent pas ou qu’ils ne connaissent pas ». Un élève dit même « Je comprends rien de ce que je dis quand je lis ». D’ailleurs même ceux qui disent que lire c’est facile, et que comprendre ça demande des efforts moyens, relèvent que « dès que tu comprends pas certains mots après c’est compliqué de comprendre l’histoire ». Encore une fois, il semble que le déchiffrage et la compréhension des mots sont encore compliqués pour eux, ce qui occupe pleinement leur mémoire de travail et leur laisse peu de place pour accéder au sens.

Table des matières

1. Introduction
1.1. Problématique
1.2. But de la recherche
1.3. Question de recherche
1.4. Hypothèses
1.5. Méthodologie
1.6. Population
1.6.1. Classe de soutien
1.6.2. Fondation de Vernand
1.6.3. Difficultés et particularités des élèves
2. Cadre théorique
2.1. La compréhension en lecture
2.1.1. Un modèle de compréhension
2.1.2. La variable lecteur
2.1.3. La variable texte
2.1.4. La variable contexte
2.2. Les processus de lecture
2.2.1. Les microprocessus
2.2.2. Les processus d’intégration
2.2.3. Les macroprocessus
2.2.4. Les processus d’élaboration
2.2.5. Les processus métacognitifs
2.3. L’enseignement explicite de la compréhension en lecture
2.3.1. L’enseignement explicite
2.3.2. L’enseignement explicite au service de la compréhension en lecture
2.4. La métacognition
2.5. L’entretien d’explicitation
3. Le goût de la lecture
3.1. Bibliothèques
3.1.1. Un coin bibliothèque en classe
3.1.2. Visites à la bibliothèque municipale
3.1.3. Rencontres avec des auteurs
3.2. Une communauté de lecteurs
3.2.1. Des livres par thèmes
3.2.2. Un carnet de lecture
3.2.3. Un café littéraire
3.3. Lecture partagée et guidée
3.3.1. Lecture avec l’enseignante
3.3.2. Lecture à la maison
3.4. Attitude face à la lecture
3.4.1. En août 2014
3.4.2. En mai 2015
4. La fluence – première boucle
4.1.1. Comment développer la fluence en lecture en classe
4.1.2. Méthodologie
4.1.3. Résultats
5. Les murs de mots
5.1. Composition des murs de mots
5.2. Déroulement
5.2.1. Hypothèse
5.2.2. Planification et déroulement
5.3. Résultats
6. Les référents – deuxième boucle
6.1.1. Hypothèse
6.1.2. Planification et déroulement
6.2. Résultats
7. L’imagerie mentale – troisième boucle
7.1. Déroulement
7.1.1. Hypothèse
7.1.2. Objectifs
7.1.3. Déroulement
7.2. Résultats
8. Conclusion et perspectives
9. Bibliographie
10. Annexes

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