L’ENSEIGNEMENT DES DISCIPLINES SCIENTIFIQUES DANS LE PRIMAIRE ET LE SECONDAIRE
LE BUT DE LA RÉFORME : PASSER DU LYCÉE CONÇU EXCLUSIVEMENT COMME UNE FIN EN SOI AU LYCÉE PREPARANT SES ÉLÈVES À L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
À quoi doit servir aujourd’hui le lycée général et technologique ?
Cette question est vite apparue comme étant fondamentale à votre rapporteur, sa réponse conditionnant les principaux axes d’une réforme ambitieuse, cohérente et équitable du lycée.
Aujourd’hui, pour beaucoup d’enseignants et de familles, le lycée est une « fin en soi ». Plusieurs facteurs confortent cette perception :
– premièrement, si, sur le plan juridique, l’instruction obligatoire s’arrête à l’âge de seize ans (article L. 131-1 du code de l’éducation), de nombreux parents et enseignants considèrent qu’avec la démocratisation du lycée, cette obligation s’étend, de fait, jusqu’à l’âge de dix-huit ans ou jusqu’à l’âge d’obtention du baccalauréat. Le lycée apparaît donc comme le couronnement logique d’une scolarité obligatoire commencée à l’école élémentaire, le baccalauréat apportant une touche finale aux parcours scolaires suivis depuis le primaire ;
– deuxièmement, en fixant un objectif de 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat, la loi d’orientation n° 89-486 du 10 juillet 1989 a renforcé cette conception du lycée conçu comme une fin en soi, d’autant que cette exigence fixée par la Nation est, aujourd’hui, loin d’être satisfaite. En effet, si le taux de réussite à cet examen est supérieur à 80 % (83,3 % à la session 2008 de l’examen), le taux d’accès d’une génération à ce diplôme, toutes séries confondues, n’est que de 64,2 %.
– enfin, l’avancée remarquable qu’a constitué, ces trente dernières années, la « massification » du lycée conforte cette conception selon laquelle l’accès à ce niveau supérieur de l’enseignement secondaire constitue une fin en soi. Fondé, il y a plus de deux cents ans, par Napoléon, ce pallier d’études prestigieux s’est ouvert à l’ensemble des catégories sociales, après avoir été longtemps réservé à une petite élite. Notre attachement au lycée « fin en soi » témoigne donc de la confiance que nous avons dans sa capacité à être un vecteur de l’égalité des chances.
Au vu de ces constats, on peut alors considérer que ce niveau d’enseignement, globalement, ne connaît pas de difficultés majeures, les vrais sujets de débat, en matière d’Éducation nationale, concernant plutôt les maillons supposés faibles de notre système éducatif, à savoir l’école primaire et le collège. D’ailleurs, pour un nombre important d’acteurs de la communauté éducative, c’est au collège que se situe la source des dysfonctionnements du lycée, marqué notamment par des redoublements en Seconde d’élèves sortis du collège avec des acquis trop fragiles.
Pour beaucoup de familles, qui constatent que le taux de réussite de leurs enfants au baccalauréat dépasse 80 %, le lycée donne satisfaction. Par conséquent, cette machine à obtenir le « bac » qu’il est devenu n’a pas à être réformée en profondeur, mais seulement à être ajustée.
Replié sur lui-même, le lycée peut donc faire l’impasse sur ses « finalités » et se préoccuper de ses seules « modalités », pour reprendre la distinction utilisée par M. Philippe Meirieu ( ). C’est pourquoi, au fond, ce qui importe vraiment, c’est de gérer correctement une rentrée qui concerne, chaque année, plus d’un million de lycéens et d’élaborer les emplois du temps d’établissements pouvant accueillir plus de 1 000 élèves.
Pourtant, nous devons d’abord nous entendre sur ce à quoi doit servir le lycée, pour pouvoir être en mesure d’améliorer son fonctionnement.
Ce point de départ étant accepté, il devient clair que le lycée général et technologique ne peut plus se contenter d’être à lui-même sa propre finalité. À l’inverse du lycée professionnel qui, lui, est une fin en soi, il doit préparer une partie importante de ses élèves à poursuivre des études dans l’enseignement supérieur, pour y obtenir un diplôme.
Trois arguments plaident en faveur de la fixation d’un tel objectif :
1° Les besoins de la société et de l’économie en connaissances et en compétences ont augmenté et ne cessent d’augmenter.
Pour illustrer ce propos, on rappellera qu’il suffisait, en 1959, d’être bachelier pour devenir instituteur et qu’à partir de 1991, l’obtention de la licence a conditionné le recrutement des professeurs des écoles. Or cette déformation vers le haut des structures de qualifications ne concerne pas que le recrutement des fonctionnaires, mais celui de tous les salariés. Ce phénomène a été mis en évidence par le Centre d’études et de recherches sur les qualifications : sur la période 1994 à 2006, « pour les ingénieurs, cadres et professions libérales, être sorti du système éducatif avec au minimum un bac + 3 constitue déjà la norme pour les seniors occupant un emploi, mais c’est une exigence quasi systématique pour les jeunes, dans le secteur des services et plus encore dans l’industrie ». S’agissant des professions intermédiaires, « pour les seniors [les normes de qualification] sont situées au niveau VI (aucun diplôme autre que le CEP, le BEPC ou le brevet des collèges) dans la construction et les services et au niveau V dans l’industrie (CAP, BEP), [et] quel que soit le secteur, [les normes de qualification] se situent au niveau III (diplôme de niveau bac + 2) pour les juniors ». Ainsi, dans les services, parmi les employés qualifiés, 5 % de ceux ayant cinquante ans ou plus ont un diplôme de niveau III, tandis que la part des employés de moins de trente ans ayant ce niveau de qualification est de 37 % ( ) ;
L’ORGANISATION DES ÉTUDES : CASSER L’EFFET FILIÈRE ET ENCOURAGER L’AUTONOMIE DES ÉLÈVES
L’organisation actuelle des filières du lycée général et technologique est très critiquée.
Elle ne favorise pas l’égalité des chances, car la filière scientifique, qui constitue la voie royale d’accès aux formations supérieures sélectives, est très largement fréquentée par des enfants issus des milieux favorisés ( ).Elle n’est pas, malgré les apparences, favorable au libre choix des élèves, car certains s’autocensurent, tandis que les autres, les initiés, savent choisir les bonnes options (ou les parents les choisissent pour eux).Enfin, elle enferme trop souvent les élèves dans des tuyaux disciplinaires, par lesquels ils cheminent pendant de longues années, alors même qu’ils ne peuvent avoir que très peu ou pas d’appétence pour les matières qui y sont enseignées.
Le système actuel de filières tend à réduire à néant l’autonomie des lycéens, car loin de les mettre en situation de déterminer librement leur propre parcours, il les engage sur des rails qu’il leur sera difficile, voire impossible de quitter.La critique contre les filières ne constitue pas une nouveauté : cela fait quarante ans que les responsables politiques les réorganisent – par exemple en 1968 ou en 1993 – pour tenter de lutter contre leurs effets pervers, sans y parvenir.
Cette impuissance des pouvoirs publics à casser l’effet filière s’explique très simplement : les réformes successives des séries et des baccalauréats ne se sont pas encore soucié de donner à tous les élèves les moyens de choisir, réellement, leur orientation. En effet, le système actuel d’orientation conforte les inégalités, car comme le remarque Mme Marie Duru-Bellat, sociologue, dès lors que « l’orientation se fonde sur les résultats scolaires, les différentes filières sont de fait ordonnées, et quels que soient leurs préférences et leurs projets, les élèves sont orientés par défaut dans les filières où personne ne veut aller. » ( ).
C’est pourquoi la réforme du lycée doit s’attaquer en priorité à cet effet filière – et par voie de conséquence à l’orientation scolaire.
Après avoir présenté la nouvelle organisation des parcours scolaires au lycée – c’est-à-dire les grands types d’enseignements et le rôle respectif de la Seconde, de la Première et de la Terminale –, les développements qui suivent s’attacheront à en tirer les conséquences sur l’horaire hebdomadaire des élèves, la définition du métier d’enseignant, les méthodes d’évaluation et la vie lycéenne.
UNE NOUVELLE ORGANISATION DE LA SCOLARITÉ : DES RAILS AUX CURSUS
Avant d’exposer brièvement les dysfonctionnements de l’orientation, il convient de rappeler que, formellement, elle consiste à informer les élèves et leurs familles de l’existence de différentes filières, alors qu’elle est souvent confondue avec deux autres dispositifs : la décision d’orientation vers les classes de la voie générale et technologique, qui est prise par le conseil de classe en fin de Troisième, et l’affectation, qui est de la compétence de l’inspecteur d’académie et permet l’accès à la Seconde, aux formations post-BEP et aux séries de la Première générale ou technologique.
De l’orientation subie aux parcours choisis
Les dysfonctionnements du système actuel d’orientation sont parfaitement résumés par le constat suivant : « Souvent les jeunes choisissent une filière par défaut, soit par choix des parents, soit par peur de s’enfermer dans une spécialisation sans trop savoir ce qu’ils veulent faire plus tard, soit par rapport au taux de réussite d’une branche et surtout en référence à une hiérarchie de notoriété des différentes filières autant au niveau national que dans un lycée (on choisit la filière S car elle a bonne réputation). » ( ).Autrement dit, le système actuel ne tient aucunement compte des goûts, des choix et des compétences, autres que purement scolaires, des élèves. À l’inverse, en triant les élèves, il stigmatise ceux qui sont écartés des séries prestigieuses et conforte les inégalités sociales d’orientation. Le système révèle toute sa perfidie en faisant en sorte que l’orientation, même à résultats scolaires comparables, varie en fonction de la profession des parents et de leurs diplômes : ainsi en classe de Seconde, à résultats scolaires comparables, les enfants de cadres sont plus orientés en Première générale que les enfants d’ouvriers, d’agriculteurs et de personnes inactives ( ).On comprend pourquoi l’orientation scolaire est, dans notre pays, génératrice d’anxiété, voire de souffrance. Selon le Haut commissaire à la jeunesse, M. Martin Hirsch, l’un des principaux facteurs d’angoisse de la jeunesse française est, outre le caractère peu encourageant de ses perspectives d’emploi, la précocité des choix d’orientation en matière de formation : les procédures actuelles, au lieu d’ouvrir les portes, les ferment, « en appuyant systématiquement là où ça fait mal, jusqu’à conduire à l’échec scolaire. » ( ).Le système d’orientation ne se contente pas de renforcer les inégalités sociales. Il a une autre conséquence, tout aussi grave : la hiérarchisation des filières qu’il induit n’a aucun sens sur le plan social, économique et scientifique. Par exemple, la voie technologique n’est pas autant considérée que la voie générale, alors même que les titulaires d’un brevet de technicien supérieur ou d’un diplôme universitaire technologique tertiaire sont, dans l’ensemble, moins touchés par le chômage que les détenteurs d’une licence en lettres et sciences humaines ( ).De son côté, la série S, qui représente un peu plus de 30 % des élèves de Terminale, ne permet pas de recruter des scientifiques et des chercheurs en nombre suffisant. Ainsi que l’a indiqué à la mission le ministre de l’éducation nationale, M. Xavier Darcos, la filière « mathématiques » est plébiscitée, mais le ministère ne parvient pas à remplir la liste de postes ouverts au concours de l’agrégation de cette discipline ( ).
D’une manière générale, les bacheliers de la série S se distinguent par la diversité de leurs orientations : seuls 35 % d’entre eux se dirigent vers une filière scientifique de l’université (licence ou premier cycle d’études médicales) alors que 18 % s’inscrivent en classe préparatoire, 15 % en institut universitaire de technologie et 14 % dans les autres formations, en particulier dans les cycles préparatoires d’écoles d’ingénieurs ( ).La prédominance culturelle de la série S au lycée s’explique précisément par la diversité des orientations qu’elle permet : le choix de cette filière, lorsqu’il est possible, s’avère particulièrement rentable en terme de poursuites d’études vers les filières les plus prestigieuses de l’enseignement supérieur. Ainsi, un sondage effectué par le ministère de l’Éducation nationale en 2006 et cité par un rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale et l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, indique que 44 % des bacheliers S ont choisi cette série par goût des sciences, mais que 30 % disent l’avoir fait pour se garder ouvertes toutes les portes d’entrée du supérieur ( ). Il en résulte que près d’un tiers des bacheliers S s’inscriront dans des formations autres que scientifiques. Cette stratégie utilitariste a été évoquée à plusieurs reprises devant la mission. En particulier, un élève de Terminale du lycée Albert Camus de Rillieux-la-Pape l’a parfaitement présentée, en indiquant qu’il se sentait avoir plutôt du goût pour les lettres et les langues, mais qu’il lui a été conseillé, comme il était bon élève, d’aller en « S » au motif que cette filière « permet d’avoir plus de choix » ( ).Ce type de raisonnement, tenu par les parents ou les enseignants, est très révélateur du « détournement du système des filières » qui s’est opéré. Or cette situation a été rendue possible par l’organisation des enseignements de la série S qui fait de cette filière « la seule véritablement généraliste, ce qui en résulte un mépris des filières L et ES (…) , la filière S [permettant ainsi] de retarder le moment du choix de la spécialisation » ( ).
Ainsi, c’est l’Éducation nationale elle-même qui, en conservant le caractère généraliste de la série S ( ), polarise l’ensemble des choix d’orientation voulus et rêvés vers un seul type de filière, les filières générales, et au sein d’elles, vers la série qui est perçue par les élèves et leurs familles comme étant le sésame qui ouvrira toutes les portes de l’enseignement supérieur.
Au total, le lycée sous couvert d’orientation, organise, en raison du poids de la filière S, une vraie fausse spécialisation et sert, en réalité, à sélectionner une élite.
Un nouvel équilibre des enseignements pour permettre une spécialisation progressive
L’organisation des enseignements du lycée général et technologique doit être repensée pour permettre aux élèves d’effectuer de véritables choix. Dans ce but, la scolarité doit être organisée autour de trois types d’enseignements :
– des enseignements de culture générale, qui constituent le prolongement de ceux dispensés au collège et visent à consolider les acquis du socle commun de compétences et de connaissances. Ces enseignements ont pour finalité de donner aux élèves des repères communs, indispensables pour éviter que ne se crée une fracture au sein de la jeunesse. En outre, cette culture commune doit apporter à des jeunes qui deviendront majeurs à l’âge de dix-huit ans la garantie qu’ils disposeront des outils intellectuels leur permettant de comprendre le monde et de suivre, avec succès, une formation supérieure ;
– des enseignements qui conduisent les élèves à choisir, progressivement et en toute connaissance de cause, une spécialisation, qui ne soit pas prédéterminée ;
– des enseignements d’accompagnement ou méthodologiques, permettant à tous les élèves de bénéficier d’un suivi et d’un soutien personnalisés, en effectif réduit.