L’ENSEIGNEMENT DE LA PHILOSOPHIE AVANT LA REFORME PARENT
L’enseignement de la philosophie au préuniversitaire, avant l’apparition des cégeps, était professé et déterminé dans les collèges classiques par les membres du clergé québécois. C’est, à l’époque, l’église qui, en tant qu’institution responsable du secteur de l’éducation, était à l’origine du cursus scolaire incluant la philosophie et qu’on appelait communément les études classiques. Ce cursus scolaire, fortement théologique, s’appuyait sur la tradition gréco-latine du ratio studorium, tiré des jésuites du 16e siècle (Berthelot, 1994).
On y centrait le travail scolaire sur l’étude des classiques gréco-romains dans une perspective thomiste où les questions philosophiques telles que la preuve ontologique de Dieu étaient centrales. L’Église, protégeant jalousement ses prérogatives quant à l’enseignement scolaire (elle ira notamment jusqu’à demander l’abolition du premier ministère de l’instruction publique en 1875), s’assurait alors que la religion demeure centrale et prédominante dans le cursus philosophique (Gaffield, 2015).
Cette dynamique resta longtemps inchangée, car les membres de l’Église, tant catholique que protestante, maintinrent leur influence sur le réseau scolaire québécois, notamment à travers le Conseil de l’Instruction publique (créé en 1856) du Québec qui était sous leur strict contrôle (Corbo, 2004) jusqu’au aux années 1960 lors des réformes implantées par le gouvernement Lesage. C’est en effet le premier ministre Jean Lesage qui est à l’origine du retrait du pouvoir religieux de la sphère de l’éducation publique. Le Parti libéral du Québec, qui, empreint d’une volonté de progrès et de modernisation pour le Québec, prend le pouvoir en 1960, décide, en effet, de faire de l’éducation l’une de ses priorités.
L’âge minimal de fin de fréquentation scolaire passant de 14 à 16 ans, et le département d’instruction publique passant sous l’égide du ministère de la Jeunesse, annoncent déjà l’intention du gouvernement de se rapatrier les prérogatives de l’éducation publique, intention qui s’incarnera pleinement lors de la mise sur pied de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec sous la responsabilité de Mgr Alphonse-Marie Parent.
La réforme Parent
Lors de ses travaux entre 1963 et 1966, la commission Parent fut à l’origine de la rédaction d’un important rapport, relevant plusieurs recommandations à l’intention du gouvernement quant à l’administration et l’organisation du système d’enseignement au Québec. Ayant pour idée de départ que l’éducation n’est pas un luxe, mais bien un droit, les recommandations de la commission Parent s’ancraient dans une volonté de rendre accessible à tous une éducation de qualité.
Plusieurs de ces recommandations furent adoptées par le gouvernement dans ce que l’on a appelé par la suite la réforme Parent. Parmi les réalisations inhérentes aux travaux de la commission Parent, on dénotera en outre les suivantes :
• La création d’un ministère de l’Éducation, autrement dit, le rapatriement de l’éducation au système public
• La création du modèle de la polyvalente secondaire qui offre des cours de formation professionnelle et générale
• La construction de plusieurs établissements d’enseignement supplémentaires
• Une normalisation du réseau des commissions scolaires catholiques (passant de 1500 à 55 seulement), auxquelles s’ajoutent 9 commissions scolaires protestantes
• Une uniformisation des contenus des programmes d’études
• Une amélioration de l’accessibilité aux études supérieures grâce à l’instauration de programmes de prêts et bourses
• Des investissements en vue d’améliorer l’accès à l’éducation aux adultes
• La création du réseau des universités du Québec (UQ) pour, encore une fois, améliorer l’accessibilité aux études supérieures.
Hormis les réalisations mentionnées ci-haut, la réforme Parent eut un impact sans précédent dans l’histoire de l’enseignement de la philosophie au collégial : celui de l’abolition des collèges classiques au profit de l’instauration des collèges d’enseignement général et professionnel, les cégeps. Ceux-ci offrent des formations préuniversitaires et professionnelles d’une durée de 2 et 3 ans respectivement.
Ces nouveaux établissements, plus accessibles à l’ensemble de la population, témoignent alors de la volonté de démocratisation de la connaissance, souci humaniste dont la Commission ne s’est jamais cachée : Il faut affirmer hautement que chaque personne a droit d’accéder aux divers univers de connaissances, de développer pleinement ses aptitudes, d’exercer toutes les dispositions de son intelligence : c’est ainsi qu’elle s’épanouit dans ce que l’on peut appeler à juste titre l’humanisme complet (Commission Parent, 1963, tome 2, p.184) .
La création des cégeps
Apparus suite à l’introduction de la Loi des collèges d’enseignement général et professionnel, en 1967, les cégeps représentaient l’occasion parfaite pour la réorientation des prérogatives pédagogiques quant à la formation préuniversitaire qui, jusqu’à présent, était cloîtrée dans le modèle des études classiques (Després, 2015).
Principalement traitée dans le deuxième des cinq tomes du Rapport Parent, la question de l’établissement du réseau des cégeps du Québec était ancrée dans une volonté de réformer l’accès aux études supérieures et au monde du travail. L’introduction des cégeps (communément nommés instituts à l’époque) s’incarnerait de manière concrète en l’implantation d’un programme d’études d’une durée variant entre 2 et 3 ans et s’adressant aux finissants de 11è année, l’équivalent du cinquième secondaire d’aujourd’hui .
Les étudiants choisissant le profil préuniversitaire pouvaient terminer en 2 ans des études leur permettant d’accéder, mais surtout d’être préparés, aux études universitaires plus poussées. Les étudiants choisissant les programmes dits techniques, quant à eux, poursuivront des études d’une durée de trois ans leur permettant d’accéder directement à un emploi en lien avec leur domaine d’études. À noter que tous les étudiants des cégeps auront un tronc commun de cours à réussir, en plus des ensembles de cours qui sont spécifiques à leur champ d’études. Ainsi, si seuls les étudiants en génie mécanique auront à suivre des cours sur ce même sujet, la totalité des étudiants, en revanche, devra suivre les cours du tronc commun (on peut penser à des matières comme le français, l’histoire, et bien sûr, la philosophie).
Les cégeps, qui ajoutent l’élément de formation professionnelle à leur offre de service, doivent néanmoins savoir emplir le vide laissé par l’abandon des collèges classiques à leur profit. Bien que les étudiants des programmes préuniversitaires soient les principaux intéressés quant aux connaissances offertes auparavant dans les collèges, plusieurs des matières jadis inhérentes uniquement aux études préuniversitaires firent leur apparition dans un tronc commun de cours obligatoires pour tous les étudiants collégiaux.
La philosophie, à laquelle s’intéresse ce présent travail, fait partie de ces disciplines incorporées au tronc commun. Bien que plusieurs aspects de la réalité scolaire dans les cégeps aient changé depuis ces grands bouleversements hérités de la Révolution tranquille, c’est bien de cette époque qu’est tiré le modèle scolaire des cégeps tels qu’on le connaît actuellement. Notons cependant ici que la manière dont les apprentissages s’y font, depuis lors, a beaucoup changé.
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