L’enseignement de la nutrition
Les raisons qui pourraient expliquer le faible positionnement de la nutrition dans l’enseignement médical en France ont été exposées dans le rapport au Ministre de la santé présenté par le Pr Ambroise Martin en 2009. L’auteur souligne que : « La nutrition est une discipline médicale hospitalo-universitaire récente, peu étoffée et encore fragile. D’une façon générale, la nutrition médicale française cherche encore son identité : peut- être plus que d’autres disciplines, elle reste fragile du fait de la démographie médicale et du fait qu’elle se trouve confrontée aux importants mouvements de réforme des études médicales, récents ou à venir sans avoir eu le temps de consolider sa légitimité. L’absence de technicité apparente de la nutrition courante (au sens de la nécessité du recours à des instruments biologiques, d’imagerie ou d’exploration sophistiqués) comme la réelle difficulté d’obtention de résultats probants rapides sont vraisemblablement des éléments, parmi d’autres éléments liés à son enseignement qui seront évoqués plus loin, qui expliquent en partie la désaffection du corps médical en exercice ou en formation vers cette discipline. La nutrition, sans doute comme quelques autres disciplines, est en concurrence avec d’autres disciplines davantage curatives, plus attractives et peut-être plus Ce rapport indique, en effet, trois problèmes : tout d’abord, on voit la nécessité pour la nutrition de trouver une identité au sein de la profession médicale. Autrement dit, il s’agit de légitimer les actions relatives au savoir-faire de la nutrition clinique. Est-ce que le médecin doit être compétent en nutrition ? Dans ce cadre de réflexion, la visée est de définir les limites de cette compétence. L’enjeu est de savoir si la compétence du médecin s’arrête à la maladie, ou si elle peut s’étendre également à l’état nutritionnel et à la santé. Le médecin doit-il prendre en charge l’alimentation et les soins nutritionnels des malades ou bien aussi celle des bien portants ? Autrement dit, faut-il exiger de la nutrition une visée uniquement thérapeutique ou bien lui conférer aussi une dimension préventive ? La définition de la nutrition clinique que nous avons établie dans la première partie de la thèse nous permettra de définir ces limites.
Le deuxième problème tient à l’absence de reconnaissance d’une technicité propre à la nutrition clinique. C´est un obstacle à la reconnaissance de la place de la nutrition dans la médecine. Or, aujourd’hui la recherche a permis de développer un savoir-faire technique propre à la nutrition clinique : Bioimpédance, DEXA, et d´autres techniques de mesure de composition corporelle ainsi que les instruments de calorimétrie indirecte. Il s’agit ici de différents instruments diagnostiques qui nécessitent des connaissances et une expertise spécialisée. Issus de recherches et avancées scientifiques majeures, ils permettent de réaliser avec précision le diagnostic de la malnutrition, en particulier, le compartiment de la composition corporelle atteint par cet état, et d’indiquer avec précision les besoins nutritionnels d´une personne. Ces sont deux aspects clés dans le savoir-faire de la nutrition clinique. Par exemple, la détermination de la masse maigre et de la masse musculaire est nécessaire de nos jours dans diverses situations comme l’obésité, le problème de la nutrition du sujet âgé, les malades en réanimation et le cancer. La perte de la masse maigre dans les cas de malnutrition comme la cachexie, la sarcopenie et l’obésité, est liée à l’augmentation de la morbi-mortalité bien connue aujourd’hui. On sait, que les patients atteints de cachexie, avec une perte musculaire importante, présentent des risques de toxicité élevés suite au traitement par chimiothérapie. La détermination de la masse maigre permettrait d’ajuster les doses de chimiothérapie. Ce traitement qui était calculé en fonction de la surface corporelle, est désormais calculé en fonction de la masse maigre, autrement dit, en tenant compte du statut nutritionnel, limitant ainsi la toxicité des médicaments1. En ce qui concerne les techniques de détermination de la dépense énergétique, calorimétrie indirecte, pletismographie, etc., elles se sont simplifiées et perfectionnées ces dernières années mais, en raison de leur coût important, elles restent limitées à la recherche ou à certains centres spécialisés.
Les limites intra et interdisciplinaires de la nutrition
La nutrition est une science autonome au croisement d’un questionnement multidisciplinaire (Figure 20). Nous l’avons défini dans la première partie de notre étude comme une science empirique qui étudie la relation de l’homme à l’aliment. L’autonomie de cette science se fonde sur la distinction d’un domaine particulier, à savoir « l’état nutritionnel ». Il s’agit d’une science qui étudie la relation entre santé/état nutritionnel et qui possède comme moyen propre, la diététique, conçue comme la science du régime alimentaire. Nous l’avons, à ce titre, définie dans un cadre de référence spécifique : l’interaction entre l’environnement et l’organisme, autrement dit, entre le nutriment (l’aliment) et les divers systèmes et fonctions de l’organisme qui assurent l’état de santé. Elle pourrait donc être conçue aussi comme un domaine de l’écologie.