Contrairement aux pays du Tiers-Monde où l’implantation de la langue étrangère est le fruit du système colonial, la langue française au Liban a précédé d’un siècle au moins le mandat français qui s’est étendu de 1920 jusqu’en 1943 (Abou, 1978). Certains chercheurs font remonter l’introduction de la langue française à La Charte que Saint Louis a accordée aux Maronites à Saint-Jean d’Acre, le 24 mai 1250. Par la suite, le Traité de Capitulations signé, en 1535, par François Ier et le Sultan ottoman, permet de jeter la véritable base de l’introduction de l’action française au Liban (Aboussouan, 1997; Jemha, 2001) et donne à la France des privilèges commerciaux et consulaires considérables (Hafez, 2006)
En effet, la langue française a pris racine au Liban grâce aux activités des écoles missionnaires qui ont dispensé un enseignement rudimentaire du XVIIe au XIXe siècle, avant que leur activité pédagogique ne prenne toute son ampleur au XIXe siècle avec l’enseignement de plusieurs langues européennes – français, italien, anglais et dans une proposition nettement moindre allemand et russe – comme langues de culture. Avec le Mandat, l’usage du français l’emporte définitivement sur toutes les autres langues concurrentes (Abou, 1978).
La langue officielle du Liban est l’arabe. C’est la Constitution libanaise qui le précise dans l’article 11 « L’arabe est la seule langue nationale officielle » (Constitution libanaise, 1943). Il s’agit de l’arabe littéraire classique qui cohabite au Liban avec l’arabe moderne, une combinaison des dialectes et de l’arabe littéraire, et l’arabe dialectal libanais. Cela signifie que tout Libanais, sans exception, parle « un arabe dialectal assez différent de l’arabe littéraire qu’il apprend à l’école, qu’il lit et écrit dans la vie quotidienne. En cela d’ailleurs, le Liban est semblable à tous les pays arabes, dont chacun a son dialecte et pratique ainsi deux formes de la langue fort éloignées l’une de l’autre » (Abou, 1962, p. 64).
La langue française figure dans le même article de la Constitution (article 11) avec un statut assez vague. En effet, la Constitution stipule qu’« une loi spéciale déterminera les cas où il sera fait usage de la langue française » . Cette loi n’a jamais été élaborée. Par contre, un autre article de la Constitution accorde la liberté totale aux communautés d’avoir leurs propres établissements et de pratiquer l’enseignement qu’elles jugent adéquat à condition de suivre les prescriptions officielles générales : «L’enseignement est libre tant qu’il n’est pas contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs et qu’il ne touche pas à la dignité des confessions. Il ne sera porté aucune atteinte au droit des communautés d’avoir leurs écoles, sous réserve des prescriptions générales sur l’instruction publique édictées par l’Etat » (article 10). Les établissements privés bénéficient donc d’un large espace de manœuvre pour mettre en application les prescriptions générales de l’instruction publique pour l’enseignement des langues et pour les méthodes pédagogiques à utiliser. D’un autre côté, le Ministère de l’Education nationale insiste sur la nécessité de promouvoir l’enseignement d’une deuxième langue au choix, le français ou l’anglais. Les dispositions officielles concernant les programmes d’enseignement évoquent l’enseignement d’une « langue étrangère » mais aussi « en langue étrangère » (selon la terminologie officielle).
Système d’enseignement des langues au Liban
Au Liban, les cours se déroulent sur cinq jours durant la semaine et commencent tôt le matin de 7h30 / 8h jusqu’au 13h30 (maternelle et Petit Primaire/P1 ou Grand Primaire/P2) ou 14h30 / 15h (P2 – collège – lycée) en journée continue avec deux petites pauses (entre quinze à vingt minutes en moyenne). L’immersion linguistique scolaire est alors interrompue par deux jours d’absence (samedi et dimanche pour les écoles chrétiennes ou vendredi et dimanche pour les écoles musulmanes ) de la langue cible puisque souvent en dehors du cadre scolaire, les enfants ne pratiquent pas la L2 en milieu familial. Les vacances d’été s’étalent sur presque trois mois : elles commencent vers mi-juin et prennent fin vers miseptembre pour le secteur privé, début octobre pour le public. Comme nous l’avons déjà signalé, la langue maternelle ou langue première (L1) est l’arabe, elle est également la langue officielle du pays. Les langues enseignées comme langue seconde, c’est-à-dire le français pour les établissements francophones et l’anglais pour les établissements anglophones, sont introduites dans le cursus scolaire en même temps que l’arabe et cela dès la première classe de la maternelle et même avant pour certains établissements scolaires privés (à partir de la classe de 2 ans) . En même temps, ces langues sont des langues véhiculaires des disciplines non linguistiques (DNL) surtout les mathématiques et les sciences (biologie, chimie, physique) et pour certains établissements privés, elles sont également la langue d’enseignement de l’histoire et de la géographie dans le cycle primaire et parfois même jusqu’à la classe de EB8/4ème. En effet, les élèves sont obligés de présenter l’histoire et la géographie en arabe aux épreuves officielles du brevet. Les manuels scolaires employés dans la majorité des établissements privés sont des manuels français ou anglais/américains pour les manuels linguistiques ou scientifiques.
En théorie donc, les élèves libanais sont censés être des bilingues voire trilingues . Mais la vérité sur le terrain est toute autre. L’apprentissage de la L2 ne s’arrête pas au baccalauréat puisque l’enseignement universitaire est obligatoirement en français ou en anglais (il faut posséder un haut niveau de maîtrise pour les tests d’entrée sinon des cours intensifs de mise à niveau linguistique sont à prévoir) pour le secteur privé. Pour l’Université Libanaise (université publique) l’enseignement est plutôt en arabe, rares sont les matières enseignées en français ou en anglais. La L2 est utilisée comme langue d’enseignement et langue véhiculaire à tous les niveaux de l’enseignement. Il s’agit donc d’un système éducatif bilingue (arabe/français ou arabe/anglais) précoce (dès la première classe de la maternelle) et continu (jusqu’au baccalauréat).
Le principe d’enseignement appliqué dans les petites classes, surtout pour la maternelle, se résume à un maître, une langue. Chaque enseignante est associée à une langue. Du fait, chaque classe a deux enseignantes. Toutes les activités sont faites soit en français soit en arabe. Pour Abou, « le français est loin d’être au Liban une simple langue étrangère, […] il correspond au contraire à ce qu’on peut appeler une langue seconde, véhicule d’instruction et de culture, conjointement avec l’arabe» (Abou, 1978, p. 283).
Le bilinguisme au Liban commence donc dès la première année de l’école maternelle. Il s’agit d’une immersion partielle en arabe et en français avec une dominance pour l’enseignement de la langue française puisque les heures imparties à l’enseignement du français sont et de loin plus importantes. Le nombre d’heures d’enseignement des langues n’est pas fixe sauf pour les écoles publiques. Les écoles privées ont la liberté de les augmenter ou de les réduire selon la politique interne de chaque établissement. Il s’agit en moyenne d’une heure d’arabe contre cinq pour la langue française pour les classes maternelles, sept contre neuf ou dix en cycles 1 et 2, six contre huit au niveau du collège, cinq contre trois au lycée .
Les heures consacrées à l’apprentissage de la langue française sont également réparties entre plusieurs compétences : compréhension et expression orales, lectures et compréhension de documents écrits, communication écrite, connaissance de la langue . Les objectifs spécifiques sont détaillés dans le curriculum officiel et sont répartis par cycle.
Chapitre 1. Introduction |