L’enquête Algopol et les usages de Facebook
L’étude des réseaux de sociabilité que j’ai menée au cours de mon travail de doctorat repose sur l’extraction d’une grande quantité de données issues de nombreux comptes Facebook. Malgré les similitudes mises en lumi`ere par la littérature entre réseaux sociaux en ligne et hors ligne (voir section 1.5.3), on conviendra aisément que le réseau de sociabilité sur Facebook n’est pas l’exact pendant de celui qui se tisse `a travers les rencontres de la vie tangible. Tout le monde ne possédant heureusement pas de compte sur la plateforme, il est de prime abord impossible de postuler qu’il n’y ait aucun individu (éventuellement mˆeme tr`es central) du réseau social de l’enquˆeté qui ne soit pas manquant parmi ses contacts Facebook. De plus, les usages particuliers que font chacun de nos enquˆetés des possibilités offertes par Facebook influencent les choix qu’ils y feront en terme d’ajouts et d’acceptations de contacts, rendant ainsi périlleuse une vision normative des structures relationnelles que nous avons pu construire. Ce chapitre présente l’enquˆete mise en place pour récupérer les données ainsi qu’une typologie des usages de Facebook construite `a partir des données qu’elle a permis de recueillir.
L’enquête
Le projet Algopol est financé par l’Agence Nationale de la Recherche et vise `a l’étude de la politique des algorithmes via une approche pluridisciplinaire 1 . Etudier la politique ´ des algorithme revient pour nous `a essayer de comprendre comment ils classent les informations, les personnes et influent sur la circulation des informations au travers du web. Le projet regroupe des chercheurs de plusieurs universités et instituts de recherche qui, dans ce cadre, ont travaillé sur des données de Facebook et Twitter. A titre ` personnel, j’ai été recruté pour participer `a l’analyse de données recueillies par une application Facebook.
Présentation de Facebook
Facebook est une plateforme de réseau social en ligne, c’est-`a-dire un site qui permet aux personnes ayant créé un compte d’interagir entre elles. Généralement considéré comme un média social basé sur les contacts entre individus, plutˆot que sur le partage de contenus, Facebook propose néanmoins une vaste palette de fonctionnalités, comme par exemple la pratique de jeux vidéo hébergés sur la plateforme, le partage de photos, la communication privée avec d’autres inscrits ou encore la lecture des publications des contacts, de personnalités publiques ou des nombreux organes de presse possédant un compte. En pratique, chaque utilisateur poss`ede une page dédiée, destinée `a afficher les informations le concernant, ainsi que ses publications. Les publications, qu’on nomme également des statuts, peuvent ˆetre produites par l’individu lui-mˆeme, mais il est également possible qu’il les fasse suivre depuis la page d’un de ses contacts, ou bien d’un article trouvé sur la toile. Ils sont en effet nombreux `a offrir cette fonctionnalité puisque, `a l’instar de certains de ses concurrents comme Twitter, Facebook est omniprésent sur les pages du net et beaucoup de sites souhaitent profiter de l’audience importante qui s’y trouve en encourageant les re-publications sur le réseau social. Les contacts d’un individu sur Facebook se créent par consentement mutuel et sur proposition d’un des deux intéressés. Une fois la proposition re¸cue et acceptée, chacun est ajouté `a la liste d’amis (le terme employé par le site) de l’autre, leur permettant généralement d’interagir plus facilement. Les utilisateurs ont en effet acc`es au News Feed, qui correspond `a la liste dynamique des publications auxquels ils sont abonnés, dont celles de leurs amis. Chacune de ces publications est susceptible de recevoir `a tout moment des commentaires des personnes y ayant acc`es, menant parfois `a de longues discussions qui lui sont rattachées. Une autre mani`ere, plus informelle, de réagir est de laisser un like (ou un j’aime en fran¸cais), qui permet aux amis du publiant de montrer qu’ils ont remarqué la publication et que, pour une raison ou une autre, elle a plu. Dans la suite de ce manuscrit, on sera ainsi amenés `a étudier le réseau des commentateurs, les amis de nos enquˆetés ayant publié des commentaires sur ses publications, et des likeurs, ceux qui y ont publié des likes. On dit alors des likeurs qu’ils ont liké une publication, et on aura l’occasion de réemployer ces deux néologismes qui semblent satisfaisants. Il y a plusieurs intérˆets principaux `a l’étude de Facebook. D’une part, ses plus de 2 milliards de comptes (Facebook serait le troisi`eme site le plus visité d’internet apr`es Google et Youtube, selon le site d’analyse du trafic web Alexa) et le temps important consacré `a Facebook par nombre d’utilisateurs justifient que la sociologie se penche sur les activités qui s’y pratiquent. D’autre part, le caract`ere mutuel des relations ainsi qu’encore une fois le fait qu’une part importante de la population s’y retrouve (pr`es de 2/3 des internautes fran¸cais sont utilisateurs de Facebook) en font certainement un des plus fid`eles miroirs de la sociabilité hors-ligne.
Récupération des données
Une application Facebook est un outil mis `a disposition des utilisateurs de la plateforme par un tiers. Il existe plusieurs milliers d’applications qui participent au succ`es du site lui mˆeme en offrant une riche variété de possibilités aux inscrits telles que jeux, utilitaires de gestion de compte, journaux, etc. Pour sa part, l’application Algopol permettait `a ses utilisateurs de naviguer de mani`ere interactive dans une carte du réseau égocentré construit `a partir de leurs contacts Facebook ainsi que d’accéder `a certaines statistiques concernant leurs interactions avec ceux-ci. En contrepartie de cette visualisation, l’application demandait `a ses abonnés de participer `a nos recherches selon une procédure établie conjointement avec la CNIL. Apr`es avoir obtenu un accord explicite de la part des abonnés, l’application récupérait de mani`ere anonyme l’ensemble de leurs données personnelles. La politique de confidentialité de Facebook encadrant cette pratique, il était par exemple impossible de récupérer les conversations de la messagerie privée. Un court questionnaire était également soumis `a l’enquˆeté afin de connaˆıtre sa catégorie socio-professionnelle et de qualifier avec son aide au moins 5 de ses amis. Pour ces 5 contacts, sélectionnés parmi les plus centraux de son réseau et parmi ceux avec lesquels il interagit le plus, il était demandé `a l’enquˆeté de renseigner l’ancienneté de la relation, la fréquence des contacts en face `a face et au téléphone, ou encore la force du lien. Lancée en novembre 2013, l’application a permis la constitution d’un corpus de 16 410 enquˆetés, jusqu’`a sa fermeture en avril 2015 suite `a un changement de la politique de Facebook concernant la vie privée de ses utilisateurs. Il a en effet été décidé qu’il ne serait désormais plus possible aux applications d’accéder `a la liste des liens entre les amis de leurs abonnés, `a moins que ceux-ci ne soient eux mˆemes utilisateurs de l’application. Cette information est justement `a la base de la construction des réseaux égocentrés au cœur d’une grande partie de nos analyses. Ce changement de politique n’a a priori rien de critiquable, bien au contraire, puisqu’il prot`ege en fait les données des amis de l’utilisateur d’une application.