Sujet : L’enfant et la responsabilité civile (Droit des obligations, IEJ Poitiers 2005)
Vulnérable et inexpérimenté, l’enfant court des risques particuliers et en fait courir à autrui (c’est la phrase d’accroche qui suggère la problématique, sans la dévoiler expressément). La responsabilité civile, qui est un mécanisme en vertu duquel une victime peut exiger d’une autre personne, le responsable, la réparation du préjudice qu’elle a subi, tient naturellement compte de cette particularité (définition du terme de responsabilité). Toutefois, cette observation n’est exacte que pour le jeune enfant. Dans un sens large, on peut en effet utiliser le terme d’enfant pour désigner une personne envisagée dans son rapport de filiation. Ainsi, l’article 371 du Code civil dispose que « l’enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère ». De même, la loi « Anti-Perruche » du 4 mars 2002 évoque les préjudices découlant d’un handicap « tout au long de la vie de l’enfant ». Au sens de ces dispositions, on reste donc enfant tout au long de sa vie. Toute personne est et reste l’enfant de ses parents. Le droit de la responsabilité civile n’ignore pas cette permanence du lien qui unit l’enfant à ses parents. Indépendamment de l’âge de l’enfant, on admettra ainsi l’existence d’un préjudice par ricochet subi par les parents d’un enfant victime ou par l’enfant de parents victimes. Pour donner un sens à une réflexion sur l’enfant et la responsabilité civile, il faut néanmoins retenir une acception plus étroite de cette notion, afin de pouvoir distinguer l’enfant d’autres personnes. C’est donc la particularité du jeune enfant en cette matière qu’il convient d’envisager ici : l’enfant mineur, évoqué par l’article 1384, alinéa 4, à propos de la responsabilité des père et mère, catégorie qui englobe l’infans, c’est-à-dire l’enfant qui, n’ayant pas encore atteint l’âge de la raison, est privé de discernement. Enfin, l’embryon ou le fœtus, c’est-à-dire l’enfant non encore né, occupe également une place particulière au regard de la responsabilité civile (définition du terme enfant et délimitation du sujet). La spécificité de l’enfant au regard du droit de la responsabilité civile est double. D’une part, il est exposé à des risques particuliers du fait de son inexpérience et de sa maladresse et, d’autre part, il constitue lui-même un risque particulier pour autrui. Car si l’enfant n’est sans doute pas intrinsèquement plus dangereux qu’un adulte, il est néanmoins le plus souvent insolvable et il se trouve placé sous l’autorité d’autrui, ce qui justifie un aménagement des règles s’appliquant à la réparation des dommages qu’il peut causer. Le droit de la responsabilité doit donc à la fois assurer la protection des tiers contre le fait de l’enfant et celle de l’enfant lui-même. Au regard de ce double objectif, le droit positif a connu, ces dernières années des évolutions qui ne sont pas toutes favorables aux victimes. Car, si la protection des tiers contre les dommages causés par l’enfant paraît de mieux en mieux assurée, celle de l’enfant lui-même a, à plusieurs égards, régressé (exposé de la problématique). Ainsi, l’extension de la protection des victimes de dommages causés par l’enfant (I), s’est accompagnée d’un recul de la protection de l’enfant victime de dommages (II). (Annonce du plan)
L’extension de la protection des victimes de dommages causés par l’enfant
La protection des tiers contre le fait de l’enfant a été renforcée par une extension de la responsabilité de l’enfant, d’une part (A), et par une extension de la responsabilité du fait de l’enfant, d’autre part (B).
L’extension de la responsabilité de l’enfant
Pendant longtemps, il était admis, conformément à la tradition romaine, que l’infans, c’est-à-dire l’enfant privé de discernement, n’encourait aucune responsabilité du fait de ses actes. On considérait en effet que la faute civile comportait, à côté d’un élément matériel, l’acte objectivement illicite, également un élément moral, à savoir l’imputabilité de cet acte à son auteur, laquelle suppose que ce dernier ait été capable de discerner les conséquences de ses actes. Il en allait de même quant à la responsabilité du fait des choses, la garde, condition de cette responsabilité, étant définie, outre par l’usage, par le contrôle et la direction de la chose. A compter des années 1960, le principe selon lequel toute responsabilité supposait la capacité du responsable de discerner les conséquences de ses actes a néanmoins reculé. En 1964, la Cour de cassation a ainsi admis, dans l’arrêt Trichard, qu’une personne souffrant d’une obnubilation passagère de ses facultés mentales demeurait néanmoins responsable du fait des choses qui se trouvent sous sa garde. Puis, en 1968, le législateur a mis fin au principe d’irresponsabilité des personnes atteintes d’un trouble mental (art. 489-2 C. civ.)Parachevant cette évolution, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a admis, par ses arrêts du 9 mai 1984, que la responsabilité de l’infans pouvait être recherchée tant sur le terrain de la responsabilité pour faute que sur celui de la responsabilité du fait des choses. D’un point de vue théorique, ce revirement consacrait la théorie doctrinale de la faute objective défendue par Henri et Léon Mazeaud. C’est cependant surtout le souci d’améliorer la protection des victimes de dommages causés par de jeunes enfants qui semble avoir motivé cette évolution. Car si l’enfant lui-même est le plus souvent insolvable, l’assurance contractée par ses parents couvre le risque de sa responsabilité. Aujourd’hui, l’utilité pratique de la responsabilité personnelle de l’enfant paraît néanmoins douteuse et ce en raison de l’extension de la responsabilité du fait de l’enfant.
L’extension de la responsabilité du fait de l’enfant
Le code civil consacre plusieurs responsabilités du fait d’autrui susceptibles de s’appliquer au fait d’un enfant : la responsabilité des père et mère, celle des artisans et celle des instituteurs (auxquels se substitue l’Etat). A cette liste s’ajoute désormais le principe général de responsabilité du fait d’autrui consacré par l’arrêt Blieck en 1991. Ce principe s’applique en effet, notamment, aux personnes qui ont pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler le mode de vie d’un mineur : foyers éducatifs, centres d’accueil et, du moins selon la Chambre criminelle de la Cour de cassation, le tuteur (Cass. crim. 28 mars 2000, Bull. n° 140). De plus, la jurisprudence a considérablement étendu la portée de la responsabilité des père et mère transformant celle-ci en responsabilité de plein droit (arrêt Bertrand, 1997) et en élargissant la notion de la cohabitation de l’enfant avec les parents. Or, si l’on fait un bilan provisoire de cette double évolution de la responsabilité du fait de l’enfant, on constate qu’aujourd’hui, la victime d’un enfant mineur trouvera presque toujours un responsable autre que l’enfant lui-même. Dans les rares cas où la responsabilité des père et mère est écartée, en cas de d’absence d’autorité parentale par exemple, c’est en effet le principe général de responsabilité du fait d’autrui qui prend le relais. Dans ces conditions, il semble permis de se demander si la responsabilité personnelle de l’infans mérite d’être maintenue. Pour les victimes, elle n’apporte aujourd’hui plus guère de garantie supplémentaire. Sa mise en œuvre risque en revanche d’hypothéquer lourdement l’avenir d’un enfant qui ne serait pas couvert par l’assurance. De plus, on verra que cette responsabilité personnelle de l’enfant a provoqué un recul sensible de la protection de l’enfant victime de dommages.