L’EMERGENCE D’UN DROIT PUBLIC DES ALGORITHMES LA TRANSPARENCE DES TRAITEMENTS ALGORITHMIQUES
TRANSPARENCE ET RECOURS AUX TRAITEMENTS ALGORITHMIQUES DANS LE CADRE DE L’ACTION ADMINISTRATIVE
L’administration, dans le cadre de son action, recourt depuis les années soixante-dix831 aux traitements algorithmiques. Le Conseil d’Etat avait par ailleurs consacré une étude sur les incidences de l’informatique sur les libertés publiques et les décisions administratives individuelles automatisées dès 1970832. Les lois de 1978833 et 1979834 s’inscrivaient également dans ce mouvement de transparence administrative. 408. Ce phénomène s’est accentué avec la démocratisation de l’informatique, et notamment grâce aux améliorations techniques telles que la vitesse de calcul des ordinateurs ou encore l’amélioration des capacités de stockage des données, ce qui a ouvert la voie à des outils d’aide à la prise de décision algorithmiques de plus en plus performants, mais aussi à la possibilité qu’un traitement automatisé fonde exclusivement une décision administrative individuelle. 409. Certains administrés ne pouvant pas obtenir d’explication auprès de l’administration sur ces traitements, dans la mesure où ces outils ne faisaient pas toujours intervenir de données à caractère personnel, ils n’ont pas eu d’autres choix que de contourner cet angle mort juridique. La liberté d’accès aux documents administratifs est apparue comme une solution naturelle pour obtenir des informations à ce sujet (Paragraphe 1), avant que le législateur ne prenne conscience de cette difficulté, et ne décide enfin d’intervenir en définissant la nature et le degré de transparence des traitements algorithmiques ayant fondés des décisions administratives individuelles (Paragraphe 2).
Le droit d’accès aux documents administratifs
La transparence telle que prévue par le législateur, consiste dans la genèse de la LRN, à s’assurer notamment que les choix politiques ne sont pas remis en cause par cette automatisation, et ce d’autant plus que les programmeurs informatiques ignorent parfois l’état du droit dans les domaines pour lesquels ils sont amenés à créer des logiciels. La consécration de l’étendue de l’accès à ces documents administratifs permet de s’assurer que l’administration n’utilise pas des traitements automatisés illégaux, qu’elle n’est d’ailleurs pas toujours à même de comprendre au regard de la complexité de certaines opérations. C’est donc par la voie de la liberté d’accès aux documents administratifs que la transparence a été amenée à s’opérer dans un premier temps. 411. Bien qu’il existe des efforts allant dans le sens d’une meilleure transparence des traitements algorithmiques utilisés par l’administration, il n’existe cependant pas un véritable principe juridique de transparence en droit administratif835 . Ce que nous appelons transparence, c’est-à-dire toute action contribuant à comprendre le fonctionnement des algorithmes, repose sur des principes juridiques différents. Cette transparence n’est de plus pas absolue et se heurte à bien des exceptions. Nous ne traiterons pas de la question des conditions de la réutilisation des codes sources, car nous focalisons notre réflexion sur les dispositifs permettant de s’assurer que les traitements algorithmiques sont conformes au droit positif. 412. Le code source est en quelque sorte l’ADN du programme informatique. Sa connaissance permet de connaître par exemple quels sont les critères ou encore les calculs qu’il mettent en œuvre. L’enjeu a été dans un premier temps de savoir si le code source pouvait être assimilable à un document administratif communicable afin qu’il soit étudié (A). Cependant, lorsqu’il est communiqué par l’administration, sa compréhension demeure technique et difficile dans certains cas, y compris pour des raisons juridiques (B).
Le code source : un document administratif communicable
Les dispositions relatives à la liberté d’accès aux documents administratifs sont des « garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » 836 et il ne paraissait pas illogique que les codes sources des logiciels deviennent communicables, même dans l’hypothèse où ces traitements n’ont pas d’effets juridiques sur les tiers, parce qu’ils seraient exclusifs à une mission de service public. A ce titre, toute personne, qu’elle soit physique ou morale, peut demander la communication d’un tel code source, et ce indifféremment de ses prétentions En premier lieu, la transparence va trouver sa source dans la liberté de communication des documents administratifs : en l’occurrence, grâce à la reconnaissance par la CADA du code source comme document administratif communicable. La CADA définit le code source comme étant « un ensemble de fichiers informatiques qui contient les instructions devant être exécutées par un micro-processeur » 838. Il s’agit donc de l’algorithme ou des algorithmes implantés dans un langage de programmation permettant à ordinateur de l’exécuter. 415. Le législateur a entériné839 un mouvement que la CADA avait déjà opéré à travers plusieurs affaires relatives à une demande de communication du code source d’un logiciel. Dans une première affaire, un enseignant-chercheur avait demandé à la Direction générale des finances publiques, la transmission du code source du logiciel permettant le calcul de l’impôt sur les revenus des personnes physiques afin de pouvoir le réutiliser dans le cadre de ses recherches840. En effet, pour la CADA, la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal, est suffisamment générale pour permettre la communication des codes sources. Cet exercice interprétatif ne fut donc pas difficile à réaliser de la part de la CADA. La communication des codes sources utilisés par l’administration, dans le cadre d’une mission de service public, se fonde donc sur le régime juridique de la liberté d’accès aux documents administratifs. Puis, dans une autre affaire bien plus polémique, une association de lycéens demandait à ce que l’éducation nationale lui communique le code source de la plateforme APB relatif à la préinscription des lycéens dans les établissements de l’enseignement supérieur842. L’association arguait que l’algorithme avait notamment pour finalité le tirage au sort des lycéens souhaitant intégrer des filières dont les demandes excèdent les capacités d’accueil. Elle accusait le programme de procéder à cette sélection. A défaut d’obtenir la communication de ce document, il n’était pas possible de lever l’opacité qui entoure cet algorithme. La CADA avait émis un avis favorable à ce que ces documents administratifs soient communiqués aux intéressés. Il est intéressant de constater que cette affaire a permis de mettre en exergue le fait que la communication des codes sources est devenue un enjeu majeur d’intelligibilité des algorithmes.