L’émergence du partage d’information, dynamique sociale de l’exploration du web

L’émergence du partage d’information, dynamique sociale de l’exploration du web

On y trouve aussi bien des photos scannées du siècle passé, les performances de la bourse en temps réel ou les prévisions météo du week-end à venir. Aussi bien des tableaux de données économiques validées par une institution, que des vidéos « lolcats » postées par un inconnu ou des cartes agrégeant des sources variées suite à l’investigation de journalistes. Aussi bien des discussions cacophoniques sur des forums, que des récits à une voix déposés anonymement sur un blog ou des tribunes militantes signées par un collectif. Il y a « trop » de « choses » : « choses » renvoie à l’hétérogénéité des documents numériques, « trop » à ce qu’un internaute peut absorber. Explorer le web est une tâche herculéenne, qui nécessite de mettre de l’ordre dans ces « choses » sans perdre leur diversité, et d’équiper l’internaute pour qu’il se retrouve dans ce « trop ». Ce chapitre retrace l’histoire de la conception des dispositifs par lesquels un internaute navigue dans les contenus numériques, une loupe sur ces boutons et balises sur lesquels tout un chacun peut cliquer mais que chacun saisit à sa manière. Le partage d’information, issu de cette généalogie, apparaît comme une solution sociale permettant d’explorer le « trop de choses » web.

Comme le montrent les exemples précédents, les contenus numériques ont différentes dates, différents formats, et différents cadres d’interaction. La perception d’un immense bazar en ligne (Benkler, 2009) tient d’une augmentation réelle du volume de documents1, mais aussi de l’impossibilité d’appliquer les prises traditionnellement utilisées pour se saisir d’un contenu. La référence à l’auteur, la place sur une étagère, ou la fraîcheur d’une publication ne constituent plus des méta-informations stables pour évaluer la valeur d’un document. Le numérique incorpore une volumineuse quantité de contenus, et brouille les repères qui permettent d’appréhender ces objets. Le paysage du web est à la fois plus étendu et plus flou qu’un kiosque à journaux ou une bibliothèque.  Se perdre et se retrouver dans le « trop de choses » du web est donc une activité personnelle qui s’appuie sur les méta-informations publiques des contenus et sur l’équipement cognitif des internautes. Pour s’orienter en ligne, chacun doit répondre à deux questions : (1) comment s’assurer de la qualité des contenus et déterminer la hiérarchie, ou l’ordre, des documents ? (2) Par quel chemin matériel et cognitif accéder à ces contenus et poursuivre sa navigation ? Les artefacts des dispositifs accompagnent l’usager dans sa navigation, qui matérialise la réponse aux deux questions.

Les dispositifs sont ainsi, aux différents âges du web, une part du problème et une part de la solution de la surabondance informationnelle. Les artefacts techniques affichent autour des liens, des notes, un avatar, des étoiles, un commentaire … autant de signes qui donnent des prises à l’appropriation des contenus et deviennent les outils de l’exploration individualisée du web des documents. Or ces dispositifs sont produits dans un contexte, à un certain stade du développement du réseau, par des individus ou des entreprises qui ont une certaine conception du web. Ces artisans projettent des usages et une cible d’utilisateurs, et implémentent ces projections dans des algorithmes et des interfaces nécessairement non neutres (Winner, 1980). Les internautes se saisissent ou non de ces entrées, en en percevant ou non les présupposés. Les services du web L’évolution des services au fil du temps résulte de deux leviers : les innovations techniques et la généralisation des usages. Pour le premier levier, il s’agit par exemple d’afficher le nombre de vues d’un document, indicateur qu’il n’était pas possible de produire sans une traçabilité des usages et un calcul informatique agrégeant ces traces en temps réel. Les innovations techniques héritent des fondements de l’infrastructure réseau et de la micro-informatique, et testent des usages dans les devices, applications, services, etc. En même temps que les innovations techniques se concrétisent (Simondon, 1958), les pratiques des internautes se sédimentent. Ainsi, la mention « @ », qui permet d’adresser une personne en public, traverse les dispositifs puisqu’elle apparaît dans les forums dès 1993 et se retrouve dans les tweets de 2015 ; alors que d’autres pratiques sont purement et simplement oubliées. La généralisation des usages constitue le deuxième moteur de développement, en s’appuyant sur les compétences des utilisateurs. Si les pionniers du web des années 1990 revendiquaient une habileté technique, ce n’est plus le cas du grand public qui accède aujourd’hui massivement au web. La généralisation de l’accès à Internet implique donc une évolution des outils vers une simplification des usages, une automatisation de certaines fonctions.

 

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