La demande sociale pour la qualité des paysages se fait de plus en plus présente dans les débats entourant les projets de développement : les éoliennes s’intègrent difficilement au paysage montagneux, l’exploitation hydroélectrique détruit les berges naturelles, une mine à ciel ouvert crée un paysage lunaire. Il s’agit de quelques exemples qui peuvent être évoqués par les citoyens pour indiquer la nécessité de considérer le paysage lors de l’implantation de nouvelles activités industrielles sur un territoire donné. Mais les espaces publics de consultation permettent-ils un dialogue sur le paysage ?
Nous n’avons pas l’ambition de procéder à une revue exhaustive des processus participatifs utilisés au Québec pour détecter s’ils offrent l’opportunité aux citoyens de parler de paysages. Cependant, certaines chercheuses (Fortin & Le Floch, 2010) ont réalisé des recherches en ce sens. Elles ont analysé les discours sur le paysage se présentant dans les mémoires déposés au Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE) dans le cadre d’un projet de parc éolien. Nous souhaitons poursuivre ces travaux en utilisant un processus participatif novateur au Québec, la consultation par consensus informé (CCI), pour mettre en lumière ces discours.
Mise en contexte : la nécessité du discours sensible dans les débats
La tenue d’audiences publiques en environnement du BAPE dénote l’aspect controversé des grands projets de développement au Québec. L’issue sociale de ces audiences s’avère imprévisible; deux projets aux activités industrielles similaires peuvent ne pas recevoir la même acceptabilité sociale . Les arguments de développement économique tels que la création d’emploi et l’augmentation des conditions salariales ne sont pas les seuls critères considérés par les citoyens pour « juger » de la nécessité d’un projet sur leur territoire. D’autres enjeux de développement portent sur la qualité de l’environnement, la sécurité sociale, la santé publique, la gouvernance de même que sur des éléments sensibles ou symboliques, tels que les valeurs, le patrimoine culturel, le patrimoine bâti ou les paysages (Larouche, 2016). La mise en évidence du contexte territorial dans lequel s’implante un projet — composé d’éléments culturels, sociaux, identitaires, ludiques, économiques, environnementaux ou organisationnels (Gagnon, 2010, p. 3) — pourrait s’avérer un outil efficace pour délier l’impasse de l’acceptabilité sociale des projets de développement.
Ces impasses ne semblent pouvoir se résoudre par l’utilisation d’arguments scientifiques et économiques uniquement; « [q]ui a cru en effet qu’il était possible de rassurer les chaumières en disant sans empathie à un public inquiet : vos peurs sont irrationnelles, laissez-nous vous expliquer ? » (Batellier & Maillé, 2017, p. 119). Pour ces auteurs, éviter le dialogue sur les valeurs, les émotions et les symboles ne fait que renforcer la controverse et polariser les positions dans le débat. Les émotions peuvent être à la base des conflits (Batellier & Maillé, 2017) et la question d’acceptabilité sociale émerge, dans certains cas, lorsque « les rapports routiniers aux symboles, normes et croyances partagés fondant l’adhésion commune à l’ordre établi sont remis en cause » (Fournis & Fortin, 2015, p. 6). Faut-il cesser de voir les émotions comme des « éléments relevant de la sphère privée ou de l’irrationnel et donc n’appartenant pas au discours public légitime » (Batellier & Maillé, 2017, p. 151) ? Devrait-on apprendre à intégrer l’ensemble des éléments perçus et vécus dans les débats afin de favoriser un dialogue ? À ces questions, Batellier et Maillé (2017, p. 158) répondent que réfléchir un projet de développement dans toute sa complexité, c’est l’aborder « dans toutes ses dimensions, incluant ses composantes émotionnelles ».
Qui plus est, « les émotions ne sont pas du bruit inutile dans les discours, elles sont aussi de l’information » (Batellier & Maillé, 2017, p. 142). Ces auteurs ajoutent que les humains sont autant des êtres d’émotions que de raison et que cela a un impact important lorsqu’ils doivent prendre une décision. Une bonne connaissance des émotions en présence facilite la compréhension des enjeux de la situation controversée et améliore la compréhension des besoins des différents groupes impliqués (Batellier & Maillé, 2017).
Mais les processus participatifs actuels permettent-ils l’émergence de discours autre qu’économique ou scientifique dans les projets à débat ? Les citoyens ont-ils accès à des espaces publics qui permettent d’exprimer des éléments symboliques, des émotions ou des valeurs, des éléments formant la sphère du vécu et du perçu, des éléments de leur territoire comme espace de vie et qui se retrouvent au cœur de la controverse de ces projets de développement ? Voilà des questions qui motivent la poursuite de la recherche.
L’activité minière au Québec : mise à jour du cadre légal
La législation sur l’exploitation minérale au Québec remonte à 1880 avec l’Acte général des mines de Québec. Deux principes importants inscrits dans cet Acte sont encore appliqués aujourd’hui : la divisibilité des droits fonciers et tréfonciers et la domanialité des ressources minérales (Lapointe cité dans Morin, 2012). Le premier principe suggère que le propriétaire d’une terre n’est pas forcément le propriétaire du sol sous cette terre. Le deuxième principe précise que les ressources minérales au Québec appartiennent à la Province de Québec. En plus de ces deux principes, le free mining et le claim (réclamation) sont deux autres politiques minières composant le « paradigme minier québécois » (Morin, 2012, p. 31). Ce cadre législatif sous entend que les communautés ne possèderaient pas leur territoire, car le gouvernement s’est doté de la responsabilité d’en arbitrer la gestion par les entreprises détenant les droits miniers d’exploration et d’exploitation.
De plus, l’article 235 de la Loi sur les mines (chapitre M-13.1) permet à un détenteur d’un titre minier d’acquérir, soit par entente, soit par expropriation, les terres de surface qui sont nécessaires à l’accès au terrain du titre minier ou à l’exécution des travaux d’exploration et d’exploitation. Toujours dans la Loi sur les mines (chapitre M-13.1), l’article 26 interdit à quiconque de rendre difficile ou d’empêcher l’accès à un terrain contenant des substances minérales au propriétaire d’un titre minier (Québec, 2018) .
Ce cadre législatif a de toute évidence répondu à un besoin à une autre époque, particulièrement à l’ère de l’industrialisation. Cependant, selon Batellier (2015, p. 4), « depuis le milieu des années 2000, la « commodification » des territoires avec des ressources naturelles, soit l’octroi de claims (droits d’exploitation) miniers […] sur le territoire a créé un chevauchement des droits de propriété entre sol et sous-sol », entre fonds et tréfonds. Il existe maintenant un « déséquilibre entre les intérêts du développement minier et les autres usages possibles du territoire » (Morin, 2012, p. 37).
En 2013, la ministre des Ressources naturelles a enclenché une réforme de la Loi sur les mines (chapitre M-13.1) . Le projet de loi 70 « modifie la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme pour permettre aux municipalités régionales de comté de délimiter, dans leur schéma d’aménagement et de développement, tout territoire incompatible avec l’activité minière. Le projet de loi précise à cet égard, dans la Loi sur les mines, ce que constituent de tels territoires et soustrait à l’activité minière les substances minérales qui s’y trouvent. » (Assemblée Nationale, 2013) .
Cette réforme crée une ouverture importante dans la loi et permet maintenant aux citoyens, par l’entremise de leurs décideurs et à l’aide de certains processus participatifs, de prendre part aux décisions concernant l’utilisation de leur territoire. Les activités de recherche du GRAPPC s’inscrivent ici, en pilotant un processus participatif qui permet aux citoyens de définir des critères à considérer pour cibler des territoires incompatibles avec l’activité minière . En exposant la présence ou non d’un discours sur le paysage et de ses composantes territoriales dans une consultation par consensus informé, notre recherche apporte des connaissances pour mieux comprendre l’acceptabilité sociale.
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