L’émergence de dynamiques identitaires par la scène et sur scène
La scène se présente comme un lieu de questionnements identitaires. La formulation de ces questions se construit sur la nature-même du genre théâtral. Le genre théâtral, dont la pratique est largement dépendante de la réunion de conditions matérielles spécifiques, se déploie dans un espace contraint sur le territoire palestinien. Le théâtre cherche alors à dépasser les frontières imposées par l’élargissement de l’espace de la dramaturgie, voire la tentative d’élargissement. L’élargissement de l’espace, dans le texte, sur scène et par la scène, vise à dépasser les frontières imposées et à rassembler. 1.1. Questionner l’identité « Si le commencement de l’Histoire n’a jamais lieu, si les identités ne possèdent pas de dates de naissance et si nos racines sont devant nous, c’est que seuls les flux identitaires existent, insaisissables autrement que dans leur mobilité de lignes traversant temps et lieux et qu’il convient d’appréhender à certaines hauteurs de leurs circulations. » 1463 Elias Sanbar remarque le caractère mouvant et fluctuant de l’identité, la dramaturgie palestinienne exprime ce rapport mobile à l’identité de l’individu.
Le lieu et l’identité
Le monologuant d’À portée de crachat exprime le lien entre le lieu et l’individu : » « Pendant un temps, on a cru que les accords d’Oslo allaient libérer les villes occupées. La seule chose dont Oslo m’a vraiment libéré, c’est d’une illusion. Dire que si j’étais sorti de la bite du roi de Norvège, j’aurais hérité d’une identité nickel, d’une identité qui ne prête à aucune confusion : prince ! Prince de Norvège ! Ah dommage… » Cependant, il exprime plus loin son refus de restreindre l’identité au lieu d’origine. Il n’accepte pas le déterminisme identitaire : « La nation est là où je pose mon oreiller. » Non désiré dans sa nation quand le retour lui est refusé à l’aéroport à Paris, le monologuant se dirige vers l’arbre dont il se dit le propriétaire : » ب« Je me rends d’abord à l’agence de voyage et explique le problème à l’employé. Le type propose de me faire un autre billet d’avion pour le lendemain, à la même heure. J’accepte. Sans vraiment m’en rendre compte, je prends le chemin de l’arbre, le nôtre, au bord de la Seine, celui des bicyclettes. » Par opposition à l’arbre, l’avion symbolise un non-attachement au lieu dans la définition de l’identité discutée par le monologuant dans À portée de crachat : « J’aimerais retourner à l’arbre, à notre arbre. Et comme je lui ai promis de faire tout ce qu’elle voudra, j’exécute un virage à cent quatre-vingts degrés et fonce à toute berzingue vers notre arbre. Il n’a pas bougé, notre arbre, il est là, semblable à lui-même. Visiblement, lui, il n’aura jamais besoin et, sans doute, jamais envie de prendre l’avion. » Cet arbre symbolise l’attachement et constitue un composant de son identité. Dans l’ombre du martyr présente une forme nouvelle dans le traitement de la symbolique identitaire au théâtre.
La scène : un lieu de questionnement
Dans son ouvrage déjà cité, Figures du Palestinien, Elias Sanbar annonce son objectif, selon lui nécessaire, de questionner le mythe de l’identité palestinienne : « Or il se fait que moi comme les miens (près d’un million et demi de personnes en 1948, plus de neuf millions aujourd’hui) étions victimes de ce postulat d’une identité supposée éternelle et immuable » 1485 . C’est justement le présupposé du caractère permanent de l’identité palestinienne et de sa constance que les pièces questionnent en refusant l’esthétique traditionnelle qui se base sur des clichés et des stéréotypes. Le genre théâtral cherche à apporter de nouveaux éléments pour réfuter la définition dans laquelle l’identité correspond au « caractère de ce qui demeure identique ou égal à soi-même dans le temps » 1486 . Cette définition inclut une dimension temporelle supportée par le caractère supposé constant de l’identité. Elias Sanbar questionne également la temporalité de la définition : « Me dégager du mythe de l’instant zéro des identités, me libérer de l’idée qu’elles posséderaient des dates de naissance à partir desquelles débuterait leur continuité, refuser le concept de genèse en tant qu’instant succédant au chaos. » 1487 . Les auteurs expriment leurs questionnements sur les composantes de leur identité. Taher Najib s’inspire de sa vie personnelle pour créer À portée de crachat. Il exprime ses questionnements identitaires que sa situation de Palestinien en Israël implique : « Mais nous… les Arab… les Palest… quarant-huit… la nakbah… soixante-sept… la naksah… la défaite… l’humiliation… nous les Palest… de l’int… de l’ext… d’un côté et de l’autre de… la ligne verte… les réfug… les Arab… d’Israël… des territoires occup… On crache parce qu’ils nous chient dessus ? » L’auteur utilise le clivage identitaire qui naît de sa condition en mettant en scène des personnages qui incarnent les différentes figures de sa psyché et de son identité. Parmi les images récurrentes de la littérature palestinienne contemporaine comme dans le champ de la poétique dramaturgique, l’Autre occupe une place de choix. Cette figure est d’abord incarnée par l’hôtesse au guichet d’enregistrement à l’aéroport Charles-de-Gaulle. C’est le premier personnage qui prend la parole, dans un discours de style direct avec le « Je », depuis le début de la pièce et s’exprime par la voix du monologuant . Elle formule les questionnements identitaires du personnage, pris entre les composantes de son identité palestinienne et israélienne. Elle restreint le personnage dans sa liberté de mouvement et de circulation, puisqu’elle est la voix de l’interdiction à laquelle il est soumis, celle de prendre l’avion1491 . Une transmission s’effectue avec une figures féminines : l’hôtesse qui lui interdit de monter dans l’avion lui permet de passer une journée de plus avec la femme qu’il aime qu’il avait quittée pour voyager. À nouveau, par cette figure, « Je » devient l’Autre. Mais ce processus s’inscrit dans une dimension spatio-temporelle limitée : « Je suis venu à Paris avec la ferme intention de ne m’attacher à rien dont je ne pourrais me séparer en dix minutes. (…). Quand la patrie m’appelle, je dois obéir »