L’efficience alimentaire des bovins allaitants
Définition de l’efficience alimentaire
Relation entre des ressources et des résultats
La performance d’un élevage bovin allaitant correspond à sa capacité à dégager un revenu pour l’éleveur. Comme identifié précédemment, la sélection génétique menée ces dernières décennies a permis l’augmentation du poids des carcasses pour obtenir une meilleure plus-value par animal abattu. Cependant, la couverture des besoins des animaux s’est accrue due à l’augmentation du format des animaux. L’ingestion étant indispensable pour couvrir les besoins d’entretien et ceux de la croissance, elle est nécessairement positivement corrélée avec ces deux composantes. Si toute augmentation de l’ingéré par augmentation de la distribution (effet environnemental) se traduit par un accroissement du gain de poids, il existe également une relation génétique positive entre ingestion et croissance. D’après la revue de Berry et Crowley (2013), la corrélation génétique entre la consommation moyenne journalière (CMJ) et le gain moyen quotidien (GMQ) est en moyenne de 0,78 et la corrélation entre la CMJ et le poids est en moyenne de 0,75. De ce fait, toute sélection menée pour diminuer l’ingestion des animaux induirait une dégradation des performances de croissance. Il est donc nécessaire de trouver des critères de sélection qui permettent de réduire les apports alimentaires sans influencer les performances de production ou inversement, d’améliorer les performances sans augmenter les ressources. L’efficience alimentaire est un caractère pertinent à sélectionner pour obtenir des animaux qui valorisent au mieux les ressources pour satisfaire leurs besoins d’entretien et de production. Les relations entre les objectifs, les ressources et les résultats ont été décrites dans plusieurs disciplines et notamment en économie pour évaluer la performance d’une entreprise (Figure 9). Ces relations ont débouché sur les concepts d’efficience, d’efficacité et de pertinence d’un système. L’efficience est le rapport entre les ressources utilisées dans le système et les résultats obtenus de celui-ci. Ce système est efficient si, pour un même résultat, il a consommé moins de ressources, ou inversement si pour une même quantité de ressources, il a obtenu de meilleurs résultats. L’efficacité est le rapport entre les résultats obtenus et les objectifs fixés : un système est efficace si les résultats obtenus ont permis d’atteindre les objectifs. L’efficience et l’efficacité sont deux concepts bien distincts l’un de l’autre. En anglais, ces termes se traduisent par « efficiency » et « efficacy » respectivement mais en France, ils sont souvent confondus, en employant le mot efficacité au lieu d’efficience. La pertinence est le rapport entre les ressources Chapitre 2 – Définition de l’efficience alimentaire 45 utilisées et les objectifs fixés. Le système est pertinent si les moyens mis en œuvre permettent de répondre aux objectifs fixés. Figure 9. Schéma du triangle de la performance A l’échelle de l’élevage, le triangle de performance peut être utilisé pour caractériser le système : o Les objectifs : être rentable, se dégager du temps, etc… o Les résultats sont liés au chiffre d’affaire généré par l’élevage o Les ressources représentent les charges associées à l’élevage A l’échelle d’un bovin allaitant, les ressources utilisées sont représentées par l’alimentation, les frais vétérinaires, les charges liées à sa présence sur l’élevage, etc… Les résultats sont les produits issus de ces animaux, à savoir pour un individu la production d’un veau et sa croissance, la carcasse et la viande. L’objectif est d’avoir des animaux qui apportent de la valeur ajoutée à l’exploitation. Avec un focus sur l’alimentation, l’efficience alimentaire se caractérise par la relation entre l’ingestion d’aliment (les ressources) et les résultats (production de viande ou d’animaux). Plusieurs indicateurs existent pour exprimer les relations entre les ressources et les résultats à l’échelle de l’animal.
Les différents critères d’efficience alimentaire
Les ratios
Les ratios utilisés pour exprimer l’efficience alimentaire des animaux mettent en relation les ressources et les résultats par le calcul d’un rapport
L’indice de consommation L’indice de consommation (IC) est la division de l’ingestion par la croissance des animaux. Ce ratio exprime la capacité de l’animal à convertir l’aliment ingéré en gain de poids. Plus cette valeur diminue, plus la quantité d’aliment nécessaire à produire une unité de poids est faible : l’animal sera donc considéré comme efficient.
Le ratio d’efficience alimentaire
Le ratio d’efficience alimentaire (EA) est l’inverse de l’IC, c’est-à-dire la division de la croissance des animaux par l’ingestion. Ce ratio exprime la croissance réalisée par l’animal pour une unité d’aliment ingéré. Ce ratio est celui qui est le plus utilisé chez les ruminants. Plus le ratio est élevé, plus l’animal est jugé efficient.
Les régressions
Le niveau de couverture des besoins des animaux en engraissement dépend de leurs besoins d’entretien et de croissance. Pour expliquer ces différences d’ingestion, le ratio EA n’utilise que le GMQ sans prendre en compte les besoins d’entretien. Il est donc important de connaitre combien l’animal alloue d’énergie pour chaque type de besoin pour savoir s’il est économe ou gaspilleur. Les régressions linéaires sont des modèles statistiques qui visent, dans une population d’étude, à établir une relation linéaire entre une variable à expliquer et une ou plusieurs variables explicatives. Il est possible de prédire pour chaque animal cette variable à expliquer et comparer cette prédiction à la valeur observée. La différence entre ces deux valeurs, ou résiduelle, permet de classer les animaux sur cette variable toutes choses étant égales par ailleurs. Cette approche a été proposée par Koch et al. (1963).
La consommation moyenne journalière résiduelle
La consommation moyenne journalière résiduelle (CMJR) représente la différence entre la consommation observée de l’animal et la consommation prédite, à partir des besoins (ou puits) énergétiques de l’animal. Cette différence exprime le niveau d’efficience de l’animal, indépendamment de ses besoins, pour savoir s’il optimise l’aliment ingéré ou s’il le gaspille. Figure 10. Consommation moyenne journalière mesurée (Observed feed intake) et prédite (Expected feed intake) et mise en évidence de la CMJR (RFI) (Azarpajouh et al., 2016). Si la différence (ou résiduelle) est positive, l’animal a consommé plus d’aliment que prédit au regard de ses performances : il est considéré inefficient ou gaspilleur. En revanche, si l’animal consomme moins que ce qui est prédit, il sera considéré comme efficient (Figure 10). Pour prédire la consommation, les puits énergétiques de l’animal doivent être représentés pour connaitre la quantité d’aliment nécessaire à leur couverture. Deux méthodes peuvent être utilisées : la table de nutrition et la régression linéaire. La table de nutrition contient des estimations de demande énergétique pour chaque puits. Il faut ensuite cumuler les besoins et la soustraire à l’énergie ingérée par l’animal. L’utilisation de cette table est simple mais reste assez imprécise (Berry et Crowley, 2013). L’utilisation d’un modèle linéaire est certes plus compliquée à mettre en œuvre mais fournit des résultats plus précis, avec une résiduelle qui ne sera pas corrélée aux puits énergétiques mis dans le modèle. Dans le cas d’un animal en phase de croissance, les besoins principaux sont l’entretien (pour le renouvellement tissulaire et le maintien des fonctions métaboliques) et la croissance. Les besoins d’entretien sont généralement considérés comme étant proportionnels au poids métabolique de l’animal, c’està-dire le poids moyen puissance 0,75. La croissance de l’animal se traduit par le GMQ de celui- ci sur la période étudiée. Il peut également être intéressant de rajouter dans la régression la composition du gain de croît, à savoir la quantité relative de gras déposée par l’animal, qui possède un coût énergétique pour l’animal. Ces estimations sont obtenues grâce à des mesures d’ultrason, qui peuvent ensuite être incluses dans le modèle de régression.
Le gain moyen quotidien résiduel
Le gain moyen quotidien résiduel (GMQR) représente la différence entre la croissance observée de l’animal et la croissance prédite, à partir de son niveau d’ingestion en tenant compte des besoins énergétiques d’entretien de l’animal, considérés comme étant proportionnels au poids métabolique. Cette différence exprime le niveau d’efficience de croissance de l’animal, indépendamment de son métabolisme de base et de ses ressources, pour savoir s’il optimise ou non sa croissance. L’interprétation de ce critère est différente de la CMJR. Si la résiduelle est positive, l’animal a une croissance supérieure par rapport à son ingestion et ses besoins d’entretien : il sera considéré efficient. Si à l’opposé elle est négative, l’animal sera considéré inefficient. 1.2.3 Avantage et inconvénients des différents critères Les ratios sont simples à calculer et s’interprètent facilement. Ils sont très privilégiés pour communiquer auprès des acteurs de la filière viande. Cependant, le premier inconvénient des ratios est qu’ils sont très corrélés à leurs composantes mais également au poids des animaux. Une sélection sur ce critère peut entrainer une sélection indirecte sur le poids des animaux, ce qui n’est pas forcément l’objectif de certains organismes de sélection. Le deuxième inconvénient est qu’aucune distinction n’est faite entre les animaux sur le format et l’allocation des ressources. En effet, le ratio compare des animaux uniquement sur le gain de croissance, sans prendre en compte les besoins d’entretien. Enfin, le dernier inconvénient majeur est que les réponses attendues à la sélection sur des ratios sont difficiles à déterminer. En effet, il est difficile de connaitre l’effet de cette sélection sur le numérateur et de dénominateur en raison de l’antagonisme entre les réponses souhaitées (Gunsett, 1984; Berry et Crowley, 2013). L’avantage des indicateurs estimés à partir des régressions est qu’ils ne sont pas corrélés aux composantes du modèle. Il est donc possible de distinguer phénotypiquement des animaux selon leur efficience, tous besoins étant égaux par ailleurs. Cependant, une indépendance phénotypique, entre la résiduelle et les composantes de la régression, ne veut pas dire qu’il existe forcément une indépendance génétique (Kennedy et al., 1993)