L’EFFICACITE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
PROFESSIONNEL
Adéquation, adaptation ou employabilité : une mise en perspective théorique
Bien que les critiques à son égard soient nombreuses, la théorie du capital humain en considérant l’éducation comme un investissement demeure à ce jour le modèle le plus en vogue quant à la relation entre la formation et l’emploi. On observe alors que dans beaucoup de pays les politiques éducatives se sont orientées vers le développement des formations professionnelles afin de permettre au plus grand nombre de poursuivre des études et de répondre aux attentes du système productif. Ces politiques supposent que la formation dans une spécialité donnée est nécessaire pour accéder à un emploi de spécialité similaire. La professionnalisation des formations à tous les niveaux d’enseignement, y compris à l’université, apparaissent comme des exigences fortes de la société. Mieux former les jeunes aux besoins de l’économie faciliterait leur insertion professionnelle et résoudrait une grande partie des problèmes de chômage. Il s’agit donc de diversifier l’offre de formation et de promouvoir l’allongement des études permettant aux nouvelles générations de se doter des compétences professionnelles et des capacités d’adaptation nécessaires aux entreprises pour faire face aux évolutions technologiques de plus en plus rapides. Il ne s’agit pas seulement de former plus 36 longtemps les jeunes mais bien de leur donner, à tous les niveaux d’études, des compétences spécifiques indispensables à l’exercice d’une activité professionnelle bien identifiée. A partir des années 50, les diplômes à vocation professionnelle se sont ainsi multipliés notamment dans les pays développés, aussi bien en dehors qu’au sein de l’université (Charnoz, 2011).
Le rôle de la spécialité de formation sur le marché de travail
Etablir une connexion entre les formations et les emplois est un objectif logique pour ceux qui veulent piloter les politiques éducatives en fonction des besoins du marché du travail. Dans cette perspective, des formations professionnelles ont été construites en référence à un métier, une profession, et doivent délivrer les compétences nécessaires à l’exécution de ce métier ou cette profession supposés clairement définis et bien identifiés. Pour Giret, 2015, ces formations ont été construites dans : L’hypothèse implicite est que l’existence à priori d’une correspondance entre les qualifications et la formation devrait permettre aux jeunes sortants de ces formations, notamment lorsqu’elles sont professionnelles, de s’insérer sur le marché du travail et de répondre aux éventuelles. Par conséquent, les bonnes performances des formations professionnelles sont attribuées aux efforts de rapprochement entre système de formation et système productif. Cette construction en partenariat des formations devrait conduire à produire les couples « qualifications/compétences » nécessaires aux besoins de l’économie, en conformité avec la demande des employeurs. La notion de compétences mérite dès lors qu’on s’y intéresse.
Définir la compétence
Une approche de Gillet (1991) définit la notion de compétences comme : un système de connaissances conceptuelles et procédurales organisées en schémas opératoires et qui permettent, à l’intention d’une famille de situations, l’identification d’une tâche-problème et sa résolution par une action efficace. Cette approche a implicitement conduit à une autre dédié aux organisations formelles d’éducation. Il ne s’agit plus de transmettre et de faire acquérir, voire produire des savoirs plutôt théoriques, abstraits ou sans lien forcément immédiats avec l’activité de travail. Il ne s’agit plus de former presque exclusivement l’intelligence (pôle cognitif) et de favoriser l’acquisition de connaissances sans nécessité immédiate d’application mais de faciliter l’acquisition, voire de se limiter, aux seuls « savoirs pratiques » ou « savoirs d’action ». Ceci implique une rupture avec l’hypothèse selon laquelle l’apprenant bien formé intellectuellement est par définition apte, adaptable et compétent. Pour Guillevic (1991) la compétence sera considérée comme l’ensemble des ressources disponibles pour faire face à une situation nouvelle dans le travail. Ces ressources sont 37 constituées par des connaissances stockées en mémoire et par des moyens d’activation et de coordination de ces connaissances. La notion de “ compétence ” est donc prise dans son sens classique opposé à la notion de “ performance ” qui est la traduction totale ou partie de la compétence dans une tâche donnée. Selon Scallon (2000), c’est « la capacité de mobiliser un ensemble de ressources (internes et externes) en vue de traiter un ensemble de situations complexes (famille) ». Carbonneau et Legendre (2002) parlent de : « la capacité de mettre en interaction divers savoirs et d’autres types de ressources en fonction de l’usage varié que l’on peut en faire suivant les situations ». Lichtenberger (1999) place l’apprenant au cœur de la mobilisation de ses propres ressources qui lui donnent capacité à agir, à être compétent, il définit la compétence de manière plus ouverte et laisse une place à l’appareil formel de formation dans sa production. Pour lui : « la compétence exprime la façon particulière dont un individu mobilise ses ressources et prend la responsabilité de l’activité professionnelle [ou sociale] qui lui est confiée et ses enjeux ». Cette définition, donne une place légitime à la formation dans le processus de production/construction de la compétence. Elle apparaît dès lors à la fois comme un processus appartenant au sujet et aux contextes dans lesquels il évolue. Pour LeBoterf (1994) « (…) la compétence n’est pas un état ou une connaissance possédée. Elle ne se réduit ni à un savoir ni à un savoir-faire. Elle n’est pas assimilable à un acquis de formation. Posséder des connaissances ou des capacités ne signifie pas être compétent (…) ». Pour lui, l’expérience montre que des personnes qui sont en possession de connaissances ou de capacités ne savent pas les mobiliser de façon pertinente et au moment opportun, dans une situation de travail. L’actualisation de ce que l’on sait dans un contexte singulier (marqué par des relations de travail, une culture institutionnelle, des aléas, des contraintes temporelles, des ressources…) est révélatrice du “ passage ” à la compétence. Celle-ci se réalise dans l’action. Il n’y a de compétence que de compétence en acte, i1 y a toujours un contexte d’usage de la compétence. Un ensemble de savoir ou de savoir-faire ne forme pas une compétence. La compétence professionnelle se déploie dans une pratique de travail. Toutefois l’identification de la compétence n’est pas complète si l’on ne peut dire à quelles ressources cognitives elle fait appel (Perrenoud, 2001). Cet auteur a décrit divers types de ressources : – les savoirs : des savoirs déclaratifs, des modèles de la réalité ; des savoirs procéduraux (savoir comment faire), méthodes, techniques ; des savoirs conditionnels (savoir quand intervenir de telle ou telle manière) ; des informations, des “ savoirs locaux ”. – les capacités : qui sont des habiletés ou des savoir-faire ; des concepts de perception, de pensée, de jugement, d’évaluation. 38 – les autres ressources, qui ont une dimension normative : des attitudes ; des valeurs, des normes, des règles intériorisées ; un certain rapport au savoir, à l’action, à l’autre, au pouvoir. La logique de compétence peut représenter un danger bien réel : celui de faire déraper l’exigence et le savoir vers une réalité plus triviale, celle de l’utilitarisme des savoirs, centré sur l’outillage, dans le meilleur des cas, méthodologiques, au détriment du recul critique et de l’appareillage théorique. Une telle mise en garde devrait, pour le moins, inciter à réfléchir aux limites, voire au danger de l’usage non distancié de la professionnalisation et de la compétence comme nous y invitent Bélisle et Boutinet dans leurs écrits : « Dans plusieurs pays, les formations elles-mêmes et les référentiels des diplômes tiennent davantage compte qu’avant des attentes du marché du travail, posant des défis de taille à l’intégration et à l’appropriation des savoirs scientifiques dans les formations de plus en plus professionnalisantes »
Les compétences spécifiques sur le marché du travail
Quelle que soit, la définition retenue, la compétence au travail est associée à une habileté distinctive à accomplir les tâches associées à un emploi. Aussi, le terme « compétence » jouit-il d’un emploi croissant dans les discours relatifs au développement des organisations et s’accompagne de plus en plus souvent de démarches managériales ou pédagogiques fortement normalisatrices. En quelques années, souvent associé au terme « qualité », il s’est installé dans le vocabulaire du management et de la formation professionnelle, mais aussi plus récemment dans celui des milieux politiques du pilotage de l’enseignement supérieur. La littérature sur les compétences conduit à considérer la notion de métier avec prudence. Le travail humain et l’organisation de la firme sont postulés complexes et singuliers. L’individu est décrit comme un ensemble porteur de savoirs et de savoir faire plus ou moins indépendants entre eux. L’emploi est décrit comme nécessitant cet ensemble de savoirs et de savoir-faire articulés autour des pratiques et des habitudes de la firme. Il est considéré comme une interaction entre le travailleur et son environnement (ses collègues, le capital technique, l’organisation, la culture, le marché…). Les compétences des individus se valorisent uniquement dans une acculturation à l’environnement technico-organisationnel. Cette valorisation est toujours à l’intérieur de la firme et elle a un coût que l’entreprise cherche à minimiser sans pouvoir s’en affranchir totalement. L’appariement entre ces deux ensembles est toujours particulier. L’efficacité productive d’un couple « individu-emploi » dépend de la façon dont les deux ensembles : compétences requises et compétences disponibles sont mobilisées. Pour un diplômé à la recherche de son premier emploi, les acquis de la formation initiale sont au cœur de ses compétences, même s’ils n’en constituent pas le tout. La formation initiale est donc l’élément déterminant du choix d’un primo-demandeur. Chaque jeune possède, de par 39 sa formation, des compétences qu’il a en commun avec d’autres jeunes issus d’autres formations, et des compétences spécifiques que sa formation est seule à délivrer. Elles sont acquises progressivement au fil des cursus. Cela est vrai pour les formations professionnelles mais aussi pour l’ensemble des formations au-delà du tronc commun. Ces compétences communes à plusieurs formations sont extrêmement diverses. Elles découlent de savoirs proprement dits mais également des capacités cognitives acquises. L’existence de compétences communes à plusieurs formations crée des zones de concurrence entre diplômés de ces formations pour l’accès à certains emplois. Posséder ces compétences communes rend les diplômés éligibles aux emplois qui mobilisent ces compétences et qui ne font pas prévaloir leurs spécialisations. Ces zones de concurrence sont aussi nombreuses que les formations et les compétences acquises sont diverses. Les acquis spécifiques à chaque formation sont à la source d’avantage concurrentiel propre à la formation. Recevoir une formation, c’est à la fois être mis en concurrence avec les élèves d’une ou plusieurs autres formations et se protéger de la concurrence que ceux-ci exercent. C’est être préparé prioritairement à certains emplois mais aussi acquérir la possibilité d’accéder à d’autres emplois, quitte à subir la concurrence des jeunes possédant des compétences communes. C’est enfin et surtout acquérir des savoir-être et des réflexes cognitifs pouvant être réutilisés dans un très grand nombre de contextes. Lors d’un recrutement, l’employeur va choisir pour un emploi notamment qualifié un individu qui va pouvoir, rapidement et à moindre coût, « produire » les savoir-faire concrets nécessaires. Pour cela, il considère l’ensemble des compétences de l’individu et non pas seulement les connaissances spécifiques qu’il a acquises lors de sa formation. Les savoirs spécifiques sont parfois déterminants mais il n’est pas obligé que ce soit toujours le cas. De son côté, le diplômé cherche parmi tous les emplois qui lui sont accessibles ceux qui valorisent le mieux ses compétences. Il se peut que ces emplois ne fassent pas partie de la cible à laquelle ses formateurs avaient pensé. D’autres compétences, entourant les savoir-faire techniques de l’individu, observées, peuvent expliquer le choix d’un candidat à l’emploi. Ainsi, comme l’a souligné Béduwé et al. (2007) .
INTRODUCTION |