L’effet de la politique familiale sur la décision d’avoir un enfant

Les données présentées dans le chapitre 1 de cette partie suggèrent un effet possible de la politique familiale sur la procréation. Or, dans mes entretiens, certaines familles déclarent que leur décision d’avoir un enfant est effectivement motivée par une adhésion à la politique de l’État, ou par l’attrait du capital maternel. 1.1. Le soutien à la politique nataliste Les sondages effectués par Le Centre de recherche sur l’opinion publique de toute la Russie130 montrent que la majorité de la population soutient la politique nataliste de l’État : 78 % considère qu’il faut maintenir le programme du capital maternel131, et 82 % estime que la politique nataliste a une influence directe sur le taux de natalité (Maleva et al. 2017, p.129). La plupart des bénéficiaires du capital maternel que j’ai rencontrés sur le terrain soutiennent également cette politique de l’État et considèrent qu’il est important de renforcer la natalité : (177) Il me semble que l’histoire de la civilisation montre que non seulement tout le monde se mélange et se déplace partout, mais que les pays les plus civilisés se reproduisent moins. Ne vous méprenez pas, je ne parle pas du tout de pureté raciale ou d’idées nationalistes [rires]. Mais, on voit des migrants venant de pays pauvres, des familles entières qui demandent de l’argent dans la rue, leurs enfants sont assis sur du carton. Ils ont des douzaines de bébés, ils ne se soucient de rien du tout. Et il s’avère que dans les pays plus civilisés, il y a de moins en moins d’enfants. On fait une carrière, on veut un bon niveau de vie. Bien sûr, il est nécessaire de soutenir la natalité en Russie. Мне кажется, что история цивилизации она вообше показывает, что мало того что перемешиваются все и вытесняются, более цивилизованные меньше размножаются, чем менeе цивилизованные. Не поймите меня неправильно, я тут совсем не говорю про чистоту расы или про националистические идеи [смеется]. Ну, вот приезжают сюда люди из бедных стран, целые семьи, просят денег на улице, дети у них сидят на картонках. Они же десятками рожают детей, совершенно ни о чем не заморачиваются. А получается, что в более цивилизованных странах все меньше и меньше детей. Мы делаем карьеру, хотим хороший уровень жизни. Конечно рождаемость в России надо поддерживать. Dina, 36 ans, fonctionnaire au Ministère de la culture de l’oblast d’Oulianovsk, mariée, 2 enfants. L’entretien a été réalisé à l’été 2017 au centre de recherche « Karamzine » à Oulianovsk. Certaines familles déclarent même être prêtes à avoir trois enfants pour soutenir l’État dans sa politique nataliste :Nous avons mis au monde le premier enfant pour moi, l’autre pour ma femme et le troisième nous allons le faire pour l’État. Первый ребенок родился для меня, второй для моей супруги, а третьего мы родим для государства. Ilnour, 28 ans, chef d’entreprise, marié, 1 enfant. L’entretien a été réalisé à l’été 2014 dans un café à Kazan (Tatarstan). Après avoir montré que certaines familles décident d’avoir un enfant pour des raisons idéologiques, j’aborde le cas des familles qui décident d’avoir un enfant pour accéder au capital maternel ou après avoir accédé au capital maternel.

L’attrait du capital maternel

Même si certaines femmes rencontrées déclarent que le programme du capital maternel n’a eu aucun impact sur leur décision d’avoir un enfant, d’autres confient qu’elles ont intentionnellement avancé leur projet d’enfant afin de pouvoir l’obtenir avant son terme 132 . L’extrait d’entretien suivant illustre cette stratégie : (179) J’ai eu mon deuxième enfant plus tôt que je voulais au départ, dans le but d’avoir le capital maternel. Je choisissais les jours les plus propices pour tomber enceinte ! J’avais peur qu’on rate ! [rires] Я родила второго ребенка раньше чем мы изначально планировaли чтобы успеть поличить мат.капитал. Я считала дни когда получится лучше забеременеть ! Я боялась, что мы не успеем ! Karina, 30 ans, femme au foyer, mariée, 3 enfants. L’entretien a été réalisé à l’été 2016 à son domicile à Kazan (Tatarstan).Comme Karina, Aïgoul planifie son deuxième enfant plus tôt afin d’obtenir le capital maternel : (180) On voulait toujours avoir deux enfants avec mon conjoint. On planifiait le deuxième plus tard mais pour obtenir le capital maternel, j’ai eu mon deuxième enfant plus tôt qu’on le voulait à la base. Мы всегда хотели с мужем двоих детей. Второго планиравали позже, но чтобы получить материнский капитал родили раньше чем хотели изначально. Aïgoul, 40 ans, économiste, mariée, 2 enfants. L’entretien a été réalisé à l’été 2014 dans un parc à Kazan (Tatarstan). Ces deux exemples illustrent une stratégie de diminution de l’intervalle entre les naissances, mais pas une augmentation du nombre d’enfants souhaités. Cependant, il existe d’autres cas où le capital maternel semble jouer un rôle dans la décision d’avoir plus d’enfants. Par exemple, Roza (181) et Maisa (182) décident d’avoir un enfant qu’elles n’avait pas planifié auparavant, afin de bénéficier du capital maternel.

L’utilisation du capital maternel

Par ailleurs, l’amélioration des conditions de logement grâce au capital maternel contribue également à l’augmentation du nombre d’enfants. En effet, certaines familles, après être parvenu à agrandir leur logement, mettent à profit ces meilleures conditions pour accueillir un nouvel enfant, ce qu’elles ne pouvaient envisager auparavant compte tenu de la précarité de leur habitat : (183) J’ai eu mon deuxième enfant parce que je voulais avoir mon deuxième enfant et pas pour avoir le capital maternel. J’ai toujours voulu avoir trois enfants mais on avait pas des conditions de logement satisfaisantes. On a construit une maison grâce au capital maternel et voilà ! On a eu le troisième. Я родила второго ребенка не потому что хотела получить материнский капитал, а потому что хотела родить второго ребенка. Я вообще-то всегда хотела иметь троих детей, но жилищные условия не позволяли. Мы построили дом на материнский капитал и вот ! Родили третьего. Irina, 29 ans, vendeuses, mariée, 3 enfants. L’entretien a été réalisé à l’été 2016 à son domicile à Barych (oblast d’Oulianovsk). Le capital maternel semble donc avoir un impact sur les naissances. Son influence est de deux ordres : soit il intervient dans la réduction de l’intervalle entre les naissances, soit il intervient dans l’augmentation du nombre d’enfants désirés. Cette influence peut s’opérer par le biais de l’idéologie, de l’attrait que représente le capital maternel, ou par l’amélioration des conditions vie qu’il apporte.