L’effet de la fréquence fondamentale sur le timbre
Définitions du timbre
Avant de se lancer dans une étude sur le timbre, il semble essentiel de se poser la question de sa définition. Ce mot est souvent utilisé par bon nombre de personnes venant d’horizons différents : musiciens, acousticiens, linguistes, psychoacousticiens… Les définitions sont diverses et peuvent prendre un sens différent suivant le contexte. Toutefois, trois usages principaux, souvent confondus, ressortent : Le timbre-identité Le timbre peut servir à désigner les propriétés permettant la reconnaissance d’une catégorie de source sonore. Cette notion est utilisée par exemple lorsque l’on parle du timbre d’une guitare, d’un violon, d’une voix d’homme… Le timbre caractérise ici une impression sonore générale : toutes les guitares ont le même timbre, quelles que soient les caractéristiques de l’instrument, du musicien, de la nuance ou de la note jouée. Le timbre-individualité Le timbre peut être utilisé afin de caractériser une source particulière. On parle par exemple du timbre de sa première guitare, de la voix d’une personne, d’un musicien… Le timbre caractérise encore une impression globale mais limitée à une source unique ou d’une association : source plus musicien. Le timbre-qualité Le timbre est utilisé en psychoacoustique afin de designer une qualité perceptive au même titre que la hauteur ou la sonie. Dans ce sens, il caractérise la perception d’un son par d’autres qualités que la hauteur, la durée, la sonie ou la localisation. On parle par exemple du timbre d’un son, d’une note d’un instrument, d’une voyelle… Les deux premiers usages sont très proches. Ils se réfèrent à des classes de sons préétablies et laissent la possibilité à une certaine variabilité à l’intérieur de chaque classe (les différentes notes ou réalisations de notes d’un même instrument, etc.). Ils se différencient par le niveau de détail des classes (i.e. le timbre de la guitare vs le timbre d’une guitare). Le troisième usage est nécessaire pour l’analyse des 2 autres. En effet, l’identité d’un instrument ou d’une personne se base sur l’ensemble des timbres-qualité émis par cet instrument. Une clarinette peut, par exemple,suivantsa tessiture,son mode de jeu, ses nuances, émettre des sons ayant des timbres-qualité très différents. Toutefois, comme il est possible dans bien des cas de reconnaître une clarinette à partir d’une simple note, la confusion entre les trois usages a souvent été faite. Les notes issues d’un même instrument possèdent des caractéristiques communes et des caractéristiques qui leur sont propres. La variation du timbre-qualité d’un instrument selon la note jouée, l’intensité, etc. reflète la physique de l’instrument. Cette fonction de variation peut donc servir d’indice de reconnaissance du type d’ un instrument, d’un instrument ou d’un individu particulier. Dans ce document, nous utiliserons le mot « timbre » suivant la définition du timbre-qualité. Cette définition correspond à l’esprit de la définition de l’ANSI, retranscrite dans l’annexe D et que nous commenterons dans le Chapitre 2.
La psychoacoustique du timbre
Notre étude portant sur l’étude psychoacoustique de la relation secondaire entre la F0 et le timbre, ce chapitre pose certaines bases théoriques. Il commence par rappeler ce qu’est la psychophysique et la psychoacoustique. Puis il passe rapidement en revue les relations primaires et secondaires. Deux sections seront ensuite accordées à la hauteur et au timbre. Enfin, les études sur la relation entre la F0 et timbre seront discutées.
De la psychophysique à la psychoacoustique
La psychophysique
La psychoacoustique est une branche d’une science plus générale appelée psychophysique, considérée comme la porte d’entrée de la psychologie dans les sciences (voir Bagot, 1999, et Gescheider, 1976, pour un historique complet). En effet, avant elle, de grands savants comme Kant estimaient que puisque l’on ne peut pas appliquer les mathématiques à l’âme, la psychologie n’est et ne sera jamais une science. En 1860, Fechner montre le contraire dans son livre “Elemente der Psychophysik”. Il y jette les bases de cette nouvelle science, qui a pour vocation d’étudier les relations entre les stimuli physiques et les sensations qu’ils induisent. Il s’appuie notamment sur les travaux d’un physiologiste allemand du début du 19ème siècle : Ernst Weber. Celui-ci est célèbre pour sa loi émise en 1831 qui stipule que la quantité minimum d’intensité1 ∆I à ajouter à une intensité 1Le terme intensité est utilisé ici dans le sens générique de quantité d’une grandeur physique déjà présente afin qu’une variation soit perceptible est proportionnelle à cette intensité. Cela implique que plusl’intensité d’un stimulus est élevée, plus la quantité à ajouter pour qu’un changement soit perçu doit également être élevée. Fechner propose une loi reliant la sensation perçue avec le logarithme de l’intensité. Avec l’amélioration des méthodes de mesure et l’élaboration de meilleurs protocoles expérimentaux, cette loi a été de plus en plus critiquée. Stevens (1975) consacre un chapitre de son livre Psychophysics à décrier Fechner. Il propose une nouvelle loi reliant la sensation perçue avec une fonction de puissance de l’intensité. Cette loi est notamment utilisée afin de prédire une sensation de sonie à partir de l’intensité d’un son pur.
La psychoacoustique
La psychoacoustique s’intéresse spécifiquement aux relations entre un phénomène acoustique et la perception auditive qu’il engendre. Un son est produit par la vibration d’une source, puis est capté par l’auditeur à travers son appareil auditif. Celui-ci transforme le son par des filtrages successifs et transmet l’information au système nerveux. Cet influx est finalement traduit en une sensation auditive. Les expériences psychoacoustiques tentent de quantifier ces sensations par des questions précises destinées à aider l’auditeur à les exprimer. Dans le cas classique, avec des sensations comme la sonie, les réponses sont représentées sur une échelle. Le stimulus est ensuite analysé et caractérisé par une mesure physique. Les deux types de mesures sont ensuite comparées. Cela permet de déterminer l’influence de la variation d’un facteur physique sur une perception auditive et d’aider à la compréhension du fonctionnement de certains processus perceptifs. Dans le cas plus complexe, avec des sensations comme le timbre, un son peut véhiculer plusieurs qualités auditives, les réponses sont donc décomposées en plusieurs dimensions « psychologiques » orthogonales ou non. Le stimulus est ensuite caractérisé par plusieurs mesures que l’on représente sur des dimensions « physiques ». Finalement, les deux types de dimensions sont comparés. Certaines analyses statistiques permettent même de quantifier l’effet de chaque caractéristique physique sur la sensation considérée.
Les relations psychoacoustiques primaires
Prenons l’exemple d’un son pur de durée limitée, définie entre 0 et T par l’équation s(t) = A×sin(2π ft +φ), (2.1) où s(t) représente le signal de pression à l’instant t, f sa fréquence, φ sa phase et A son amplitude. En variant chacun de ces paramètres d’une quantité suffisante et de façon indépendante, la perception de ce son sera modifiée. Une variation de l’amplitude entraîne une différence de sonie ; une variation de fréquence, une différence de hauteur; et une variation de durée, une différence de durée perceptive. Chacune de ces grandeurs physiques a une influence directe sur une qualité perceptive. Ces relations sont qualifiées de primaires, et commentées dans la suite de cette section. La sonie et l’intensité acoustique Stevens (1955) propose afin d’estimer la sonie une fonction de la puissance 0,3 de l’intensité du signal : Ssones = (1/15.849)× (I/I0) 0.3 , où, Ssones représente la sonie estimée en sones, I l’intensité du signal, et I0 l’intensité de référence. Cette loi permet une règle simple : la sonie est doublée tout les 10 dB. Une unité perceptive de sonie nommée « sones » est définie en prenant pour référence la sonie d’un son pur de 1000 Hz à un niveau de 40 dB SPL (Hartmann, 1997) La hauteur et la fréquence La hauteur peut être prédite par la fréquence fondamentale (F0), correspondant pour les sons périodiques à l’inverse de leur période. Dans la pratique l’extraction de la F0 n’est pas toujours une tâche triviale (voir de Cheveigné et Kawahara, 2002, pour une revue des différentes méthodes). Afin de mesurer la sensation de hauteur des sons purs, Stevens et Volkmann (1937) ont construit une échelle appelée « mel » en demandant aux sujets d’estimer une hauteur deux fois plus et deux fois moins élevée. Par convention, une hauteur de 1000 mels correspond à la hauteur perçue d’un son pur de 1000 Hz. Cette échelle indique une relation linéaire pour des fréquences entre 1000 et 10000 Hz. Pour les basses fréquences (en dessous de 1000 Hz), la hauteur décroît plus rapidement que la fréquence, et pour des hautes fréquences elle décroît moins rapidement. Toutefois, cette échelle fut souvent critiquée comme l’explique Hartmann (1997) à cause, notamment, de sa différence avec les échelles musicales connues et la physiologie de la cochlée.
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