L’EDUCATION INFORMELLE
En relation avec l’éducation formelle et non-formelle (Brougère & Bézille, 2007) il existe l’éducation informelle, qui constitue l’ensemble des activités, des actions et des situations lors desquelles une transmission de connaissances et de savoirs peut avoir lieu, et ce sans que le contexte ne soit spécifiquement dédié à cela. Brougère (2007) précise que l’expression « éducation informelle » provient de « l’idée qu’en participant à diverses activités, qu’il s’agisse de travail, de loisir, de vie associative, du plus ordinaire de la vie quotidienne ou d’événements exceptionnels qui traversent une vie, les personnes apprennent sans que la situation ait été pensée pour cela, sans qu’elles en aient l’intention, voire, parfois, sans qu’elles en aient conscience » (p.5). Ces apprentissages auraient par ailleurs été toujours présents chez l’être humain mais ne seraient majoritairement pas visibles. Il s’agit pour Schugurensky (2007) « d’expériences d’apprentissage qui ne font pas partie des programmes dispensés par les organismes éducatifs officiels et non-officiels ou par des cours » (p.14). Les apprentissages ne se feraient pas uniquement en classe, bien au contraire. On peut donc apprendre dans différents lieux, dans diverses situations, et non pas uniquement à l’école, sous l’encadrement d’enseignants ou d’éducateurs. Il existe des apprentissages en dehors de tout contexte éducatif, que ce soit au contact des parents, des amis, mais aussi désormais des dispositifs médiatiques qui ont envahi notre quotidien tels que la télévision, internet ou les jeux vidéo. Brougère (2002) déclare que « l’enfant apprend à travers des situations de la vie quotidienne qui n’ont rien d’éducatives a priori » et énumère quelques unes de ces situations : « conversations, promenades, télévision » (p.11). Il cite dans son article Rosemary Henze (1992) qui a mené une étude sur la cognition quotidienne dans une communauté grecque et qui conclut à la réalisation d’apprentissages lors de diverses situations. En 2007, Brougère et Bézille (2007) confirment en ce qui concerne l’apprentissage hors école : « On apprend en dehors des lieux conçus pour cela » (p.118) et citent Pain (1990): « Des activités dont l’objectif n’était pas éducatif, comme, par exemple, des actions d’amélioration de la production dans une usine ou des émissions de télévision dont le but original était de distraire, provoquaient des effets chez les participants, qu’on ne pouvait pas attribuer à une volonté intentionnelle. Il n’y avait ni but éducatif explicite, ni programme formalisé ni animateur ou enseignant désigné, mais des changements de comportement et l’acquisition d’informations étaient repérables chez les spectateurs ». Ces apprentissages informels seraient d’ailleurs ceux les plus utilisés car ils permettent l’acquisition d’apprentissages significatifs utiles au quotidien (Schugurensky, 2007). L’anthropologue Edward Twitchell Hall (1984), propose d’ailleurs une « triade » qui correspond aux trois aspects fondamentaux de la culture et parmi lesquels on retrouve cette notion d’informel. Cette triade est composée de la dimension formelle, informelle donc, et technique. Pour Hall, la « dimension technique » correspond à ce qui est explicite, conscient et qui fait loi comme par exemple les règles présentées dans le règlement intérieur d’un établissement. L’aspect technique est celui « utilisé par les scientifiques et les techniciens » (Ibid. p83). La dimension formelle répond quand à elle, à la cohésion, à ce qui est bon ou pas. Est formel ce qui est « connu, reconnu et expérimenté par chacun dans la vie quotidienne » (Ibid. p83). Il s’agirait donc d’un usage caractéristique des règles d’une culture dont on est en capacité d’être conscient mais qui ne sont pas techniquement inscrites. A titre d’exemple, il n’est pas précisé dans le règlement intérieur que les élèves doivent rester assis en classe pendant le cours, or, la règle formelle, connue de tous, les y amènerait. Ça n’est écrit nulle part, mais on sait qu’il faut s’asseoir. Enfin, il existe la dimension informelle, qui se caractérise par la transgression des règles formelles et qui est un usage caractéristique des règles d’une culture dont on n’aurait pas conscience. C’est ce que nous faisons, pour l’avoir appris au cours de notre existence, et qui est devenu automatique. Généralement basé sur l’imitation, l’informel correspondrait par exemple à l’entrée en classe d’un élève ne connaissant pas les règles techniques ou formelles de son nouvel environnement mais qui, en imitant inconsciemment ses camarades, va copier leur comportement et suivre informellement la culture de ce nouveau lieu. Il s’agit pour ce qui est informel de ce qui est « lié à des références situationnelles et imprécises » (Ibid. p83).
Les apprentissages informels au contact des parents
On peut apprendre en société, au contact des autres, et ce dès le plus jeune âge. C’est notamment dans l’enfance que l’on s’inspire le plus de ce quotidien pour apprendre comme le rappelle Brougère (2009a) : « l’enfance est le temps essentiel de l’apprentissage de la vie quotidienne familiale d’accueil ou de crèche » (p.24) tout comme lorsque l’on intègre un groupe ou que l’on se réunit entre amis. On apprendrait ainsi sans s’en rendre compte. Que ce soit par « imitation » ou « observation », l’enfant apprend au contact des parents, de ses groupes d’amis pendant la récréation ou en dehors de l’établissement scolaire lorsqu’il s’adonne à ses loisirs qui peuvent être les jeux ou le sport. Brougère explique ce fonctionnement au quotidien : « j’apprends à faire comme les autres mais je construis une production originale » (Ibid. p.26). On s’inspire de l’autre, des autres, de ce qui nous entoure pour bâtir nos connaissances. Les apprentissages sont donc issus de notre environnement mais façonnés et adaptés à nos besoins, à nos connaissances préexistantes. Les premières personnes qui font de nous des êtres apprenants sont les parents. C’est auprès d’eux que nous passons nos premiers instants et c’est eux également qui nous guident, nous orientent et donc nous font apprendre. La question de l’éducation informelle au contact de la famille a été abordée par Olivier Reboul (1989) qui confirme que la famille « garde encore ses deux fonctions principales à l’égard de l’enfant : les protéger et les éduquer » (p.32) et ce notamment par le fait qu’elle continuerait à éduquer dans une société qui perd ses « milieux éducatifs spontanés » qu’étaient le village ou encore l’église. L’auteur fait état d’une éducation « permanente » au sein de la famille entre les enfants et les parents. Nous voyons que de multiples apprentissages informels trouvent leur origine au contact de l’environnement familial et qu’ils seraient utiles au développement de l’enfant dans son entrée dans la société. Cette dernière va elle aussi amener à l’enfant, et par extension à l’homme, des apprentissages informels.
Les apprentissages informels au contact des amis
Un des premiers lieux dans lequel l’enfant va rencontrer la société, se confronter à la vie sociale au quotidien, est un lieu scolaire. Julie Delalande (2009) cite Marcel Mauss qui a soutenu, en 1937 lors d’une conférence, cette idée qu’il existe « une éducation des enfants par les enfants eux mêmes », par leur appartenance à un milieu « qui a sa morale, ses règles du jeu, sa force » (Ibid. p.71). Delalande évoque des « apprentissages récréatifs qui se font dans une égalité de statut, entre enfants » (Ibid. p.73). Puisqu’il semble qu’il soit possible d’apprendre au contact de ses camarades de classe, est-il également possible d’apprendre au contact de ses amis ou de ses connaissances en dehors de la classe ? La réponse à cette question semble être positive si l’on se réfère au rappel effectué par Julie Delalande sur les travaux de Daniel Gayet qui parle « d’éducation par les pairs » (Ibid. p.73) lorsqu’il est question de « bandes ». Et ces bandes, que l’on trouve dans les cours de récréation, on les retrouve également en dehors des établissements scolaires. Delalande poursuit son propos en confirmant que « l’expérience sociale des enfants dans les cours de récréation constitue bien un apprentissage précieux » pour les enfants et participe à leur « construction en tant qu’acteurs de notre société » (Ibid. p.76). Il s’agit également pour l’auteur d’un lieu « d’enrichissement culturel spécifique » (Ibid. p.76) avec l’acquisition de codes, langages et valeurs propres à chaque groupe. Les enfants apprennent donc au contact des autres, comme toute personne en relation avec une autre. Ces apprentissages semblent participer au développement des personnes et à leur culture en tant que citoyen à part entière.
Les apprentissages informels pendant les moments de loisirs
Le loisir est défini comme le « temps libre dont on dispose en dehors des occupations imposées, obligatoires, et qu’on peut utiliser à son gré » (« Dictionnaire Larousse en ligne », s. d.). C’est ce moment où l’on est libre de faire ce que l’on souhaite en dehors de l’école, du travail ou d’autres activités imposées. Il ne s’agit pas d’activités précises mais bien d’une utilisation du temps que l’on a à disposition pour le transformer en loisir. Brougère (2009b) en cite plusieurs telles que les activités « physiques, manuelles, intellectuelles, supposant activité ou passivité, efforts ou non » (p.120). Dans ces moments de loisirs, qui seraient voués à amener du plaisir et à se divertir, des apprentissages pourraient également naître. Brougère (2009b) présente les différents liens et raisons qui montrent cette relation entre le loisir et les apprentissages. Tout d’abord, pour pouvoir pratiquer un loisir (sport, jeu ou autre), il est nécessaire d’avoir appris à le faire. Il faut en effet en maîtriser la pratique, les règles et les subtilités. Le second lien est l’intégration des objectifs éducatifs dans les loisirs. En effet, le sport est désormais « utilisé, valorisé, intégré aux curricula scolaires et devient un élément de formation » (p.123). On détournerait le caractère divertissant des loisirs pour y apposer des éléments d’apprentissages (état d’esprit, solidarité, courage, déduction, communication, etc…) que l’école et donc la société attendrait et défendrait. L’auteur poursuit en précisant que les activités de loisir les plus libératrices amènent à des apprentissages. Qu’il s’agisse du sport, du jeu, de la fiction ou des vacances, des apprentissages existent et se développent. Ainsi, en faisant de la course à pied, nous pourrions en apprendre sur nous-mêmes, sur le comportement des autres, sur les tactiques à employer, sur les ruses à utiliser mais aussi sur les parcours à maîtriser. Dans la pratique du jeu, des apprentissages pourraient naître avec la reproduction de scénarios de vie du quotidien, d’échanges avec les autres, de l’expérimentation et ce avec une acceptation de l’erreur. La fiction, elle aussi, amène à son lot d’apprentissages car elle permettrait un regard nouveau sur le monde qui nous entoure en permettant la « mise en perspective » du quotidien et sa « comparaison à d’autres pour mieux le comprendre » (p.128).