L’éducation est une volonté initiale de l’ESS

L’éducation est une volonté initiale de l’ESS

De l’associationnisme ouvrier à la démocratisation des pédagogies coopératives 

Au XIXe siècle, le mouvement associationniste ouvrier prend la forme de sociétés de secours mutuel ou de coopératives afin de répondre à la précarisation croissante des classes sociales les plus défavorisées. Danièle Demoustier et Scarlett Wilson Courvoisier remarquent que « Dès ses origines associationnistes, mutualistes et coopératives, l’ESS a intégré un projet éducatif dans son projet économique, à la fois par nécessité (l’apprentissage de l’association) et par volonté (l’émancipation ouvrière) ». Dès ses premières heures, l’éducation à l’ESS prend donc une double finalité, à savoir l’émancipation citoyenne et la promotion des structures de l’ESS.

La finalité émancipatrice de l’ESS est expliquée par Jean-François Draperi par le fait que « L’ESS est un fait total qui questionne les pratiques entrepreneuriales les plus élémentaires comme les théories économiques les plus établies, la production de connaissances comme la relation entre la connaissance et la réalité que celle-ci traduit. Elle questionne toute connaissance sans nécessairement apporter de réponse assurée. Ce questionnement permanent est sans doute une faiblesse ; c’est également une force ».

De ce fait, l’éducation à l’ESS apparaît comme un moyen de remise en question du modèle dominant comme étant le seul possible, « prétendument imposé par les nécessités de la production moderne, par la complexité de la vie sociale, la grande échelle de toutes les activités, etc. » .

La nécessité de promotion des structures de l’ESS conduira à la démocratisation des pédagogies coopératives, de l’enseignement à la coopération, des coopératives scolaires tout au long du XIXe et du XXe siècle car « avec l’installation des républicains au pouvoir, à la fin du XIXe , et la mise en place d’une instruction publique gratuite (lois Ferry de 1881-1882), les partisans de l’économie sociale cherchent à influencer l’enseignement en vue d’inciter les citoyens à se tourner vers les modèles associatifs, mutualistes et coopératifs que la IIIe République permet à présent »  . L’école mutuelle voit son développement freiné par l’Église et les royalistes qui semblent inquiets face à sa capacité émancipatrice. Elle est impulsée par des enseignants proches de la mutualité ou de la coopération qui souhaitaient transmettre ces valeurs à l’école publique. Barthélémy Profit, théoricien de la pédagogie coopérative pense que  « L’école coopérative, c’est, au lieu de l’école assise, vivant dans le bourdonnement des vaines paroles et le grincement des plumes, l’école active demandant aux choses, aux faits, au travail manuel enfin organisé par elle, les joies de la découverte et de la création personnelle ; l’école coopérative, c’est une école transformée politiquement où les enfants qui n’étaient rien  sont devenus quelque chose, c’est l’école passée de la monarchie absolue à la République » .

La redynamisation de l’éducation à l’ESS au XXe siècle

Après la seconde guerre mondiale, l’économie sociale est bien occupée à mettre en place la gestion de la Sécurité Sociale par les mutuelles, l’éducation nationale à organiser la scolarisation massive des enfants du « baby-boom » et l’éducation populaire à s’adapter au développement des loisirs de la jeunesse  . C’est donc seulement dans les années 1980 que la question de l’éducation à la solidarité refait surface à cause des politiques libérales qui ont mis à mal les solidarités tissées depuis le XIXe siècle. Les crises économiques, le chômage et la disparité des revenus provoquent un retour aux valeurs sociales et solidaires.

C’est en 1830 et 1930 que sont créés deux grands acteurs de l’éducation aux valeurs de l’ESS. Tout d’abord, la Ligue de l’enseignement, une association d’éducation populaire qui a été pionnière dans la mobilisation pour l’école publique, gratuite et obligatoire. Une fois les lois Ferry votées, la Ligue de l’enseignement a animé la campagne du « sou des écoles » pour aider les familles défavorisées à envoyer leurs enfants à l’école. Plus tard, avec la contribution de Célestin Freinet, Barthélémy Profit et Émile Bugnon, l’Office Central des Coopératives Scolaires se créée en 1928 pour devenir l’Office Central de la Coopération à l’École (OCCE) deux ans plus tard. Ses missions sont d’encourager le regroupement d’élèves et l’enseignement de la coopération. Malheureusement, durant le XXe siècle, les valeurs et principes coopératifs perdent de leur intérêt selon Michel Adam car « [leur] connotation reste vieillotte et évoque plus les coopératives qu’un processus interactif dans la théorie du comportement coopératif ».

Le modèle de pédagogie coopérative est jugé comme productiviste et utilitariste, et peine à se développer dans l’enseignement secondaire. Les animateurs de l’OCCE sont tout de même présents dans les établissement affiliés (51 000 coopératives scolaires concernant plus de 5 millions d’élèves  ) pour proposer des activités pédagogiques basées sur les valeurs coopératives.

Malgré la large présence de l’OCCE dans les écoles publiques, les valeurs de fond des coopératives scolaires ne sont que très peu intégrées par les élèves, parents et enseignants qui en ignorent souvent les spécificités. Par ailleurs, nous avons assisté à un déplacement de l’éducation à l’ESS du champ scolaire au champ périscolaire, Danièle Demoustier et Scarlett Wilson-Courvoisier remarquent à ce sujet que « si l’ESS est héritière d’une tradition éducative participative, celle-ci a progressivement dissocié objet et méthode, éducation à la coopération et éducation coopérative, délaissant le terrain de l’enseignement pour se polariser sur les activités périscolaires et de loisirs ».

Afin de donner un second souffle à la coopération dans le cadre scolaire, l’OCCE et Coop FR ont créé en 2002 la « Semaine de la Coopération à l’École » dans le but de sensibiliser les jeunes et plus largement le monde éducatif à la pédagogie coopérative et à la coopération tout en favorisant les rencontres avec des entreprises coopératives. Ce projet soutenu par le Ministère de la jeunesse et de l’éducation nationale et de la Recherche ainsi que par la Délégation interministérielle à l’innovation sociale et à l’économie sociale deviendra la « Semaine de l’ESS à l’École» en 2017 à l’initiative de L’ESPER. La première édition a rassemblé plus de 3000 élèves et près de 110 initiatives . Le bilan est très positif et sera renouvelé sur les années suivantes. Cependant, Danièle Demoustier et Scarlett WilsonCourvoisier s’interrogent sur la pertinence de ce projet qui est majoritairement mené dans les écoles primaires alors que l’orientation professionnelle ne se met en place qu’au collège et au lycée.

Table des matières

Introduction
I – L’éducation, une composante invariable de la finalité émancipatrice de l’ESS
A. L’éducation est une volonté initiale de l’ESS
B. Les enjeux et freins de l’éducation à l’ESS
C. Éducation à l’ESS et éducation populaire, deux mouvements qui se ressemblent mais pourtant bien distincts
II – L’empowerment, un concept pluriel
A. Un contexte historique, social et politique qui a fondé l’émergence de nouveaux concepts
B. L’empowerment, révolution dans la façon d’aborder le changement et évolution du concept au fil du temps
C. Du concept d’empowerment à une notion de développement du pouvoir d’agir et des techniques d’évaluations francophones
III – Des expériences éducatives concrètes permettant de faciliter le développement du pouvoir d’agir des jeunes
A. L’intérêt du PEPS à se positionner sur le DPA
B. Mon ESS à l’école, un dispositif en plein développement
C. Les coopératives éphémères, l’entrepreneuriat coopératif au service de valeurs
Conclusion

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *