Les élèves de la polyvalente.
Le Tremplin de Malartic fréquentant une classe spéciale des cheminements particuliers de type continu (CPC) et étant âgés de 15 ans et plus font partie de la catégorie d’élèves qui sont peut-être les plus oubliés dans notre système scolaire québécois. Mes collègues et moi, enseignons à ces élèves depuis quelques années. Sur le plan diagnostique, on les a regroupés puisqu’ils présentent tous d’importants retards académiques (plus de deux ans), les apprentissages du niveau primaire n’étant pas complétés. Il arrive que ces retards soient accompagnés d’une déficience intellectuelle (légère ou moyenne), d’un handicap physique et/ou de troubles du comportement. Au delà de ces critères administratifs de classement, nous observons d’autres caractéristiques communes chez ces élèves. Celles-ci nous amènent à requestionner notre organisation des services éducatifs. D’une part, ces élèves n’ont pas réussi à acquérir la formation générale prescrite à tous. Ils se retrouvent donc à 15 ans, avec quelques acquis du primaire, sans possibilité d’atteindre un diplôme d’études secondaires tant général que professionnel et peu préparés à assumer leur vie de façon autonome. D’autre part, sur le plan personnel, nous constatons qu’ils manquent souvent de confiance en eux, qu’ils ont une faible estime d’eux-mêmes et qu’ils vivent dans l’isolement, le rejet et la dévalorisation sociale.
De façon générale, tous sont habituellement d’accord pour dire que le but ultime de l’éducation est de bien préparer l’étudiant à sa vie future en lui offrant des occasions pour mieux se développer et cela, à tous les niveaux. A cet effet, L’école québécoise s’est donné pour mission éducative que « Tout enfant a le droit de bénéficier d’une éducation qui favorise le plein épanouissement de sa personnalité » . Aussi, le Règlement concernant le régime pédagogique du secondaire précise que toutes les écoles doivent veiller à « faciliter l’accès de tous les enfants du Québec à des services éducatifs de qualité, à faire progresser l’égalité des chances et à favoriser une personnalisation accrue des services éducatifs » . Pour bien remplir sa mission, l’école secondaire québecoise offre ses services aux étudiants selon deux cheminements qui se distinguent, et qui rarement se rejoignent, soit les cheminements réguliers et les cheminements particuliers ou l’éducation spéciale.
Notre école dispose également de ces deux secteurs de services. Faisant partie d’une petite communauté de 5000 habitants du nord-ouest québécois et couvrant un secteur qui en totalise environ 10 000, on y accueille près de 650 étudiants à chaque année. Parmi ceux-ci, de 80 à 90 étudiants n’arrivent pas à répondre aux exigences des cheminements réguliers et sont scolarisés dans les cheminements particuliers qui comptent six groupes d’élèves. Trois de ces groupes (CP15, CP20 et CP25) forment le cheminement particulier de type temporaire qui consiste à compléter les deux premières années du secondaire en trois ans. les trois autres groupes constituent le cheminement particulier de type continu, soit le CPA (regroupe des élèves ayant de graves retards d’apprentissage, ceux-ci sont souvent accompagnés d’une déficience intellectuelle ou autre), le CP5 (est composé d’élèves ayant des retards d’apprentissage de deux ans ou plus) et le ISPJ (programme d’Insertion Sociale et Professionnelle secteur Jeunes offert aux élèves de 16 ans et plus).
Bien que nos cheminements particuliers de type continu disposent d’une organisation des services par laquelle on veut mieux répondre aux besoins de nos élèves, bien que ceux-ci rencontrent moins d’enseignants et qu’ils aient la possibilité d’investir dans une relation plus significative, bien qu’ils soient mieux encadrés par leur enseignant-tuteur, bien qu’ils soient moins nombreux dans leur groupe et que l’on tente d’adapter le rythme d’enseignement à leur niveau, avec l’expérience, nous devons admettre que nous rencontrons toujours de grandes difficultés dans l’atteinte de notre mission éducative telle que nous venons de la préciser.
Ces difficultés sont liées à l’organisation même des services éducatifs que nous offrons à ces élèves. Nous remettons en question la qualité de ces services. D’abord, ceux-ci sont centrés sur une formation générale. L’enseignement dispensé s’inspire des programmes de formation générale du primaire et du secondaire puisque le guide pédagogique des programmes de formation générale pour les élèves handicapés par une déficience mentale moyenne s’adressant aux élèves de niveau préscolaire jusqu’au niveau secondaire est trop limité. Les objectifs à travailler ne sont pas vraiment adaptés à nos adolescents et nos jeunes adultes fréquentant les CPC, puisque la grande majorité de ceux-ci les ont déjà atteints. Il ne nous reste plus que les programmes de formation générale à notre disposition.
Dans le cadre éducatif des programmes et guides pour les élèves handicapés par une déficience moyenne, le MEQ (1983) avait prévu implanter en plus des programmes de formation générale, des programmes de préparation technique au travail et un guide d’orientation à la vie communautaire. Malgré nos demandes, nous n’avons jamais reçu ou pu mettre la main sur ce matériel. Il est difficile d’offrir cette formation lorsque nous ne disposons pas d’une structure et des outils nécessaires pour supporter l’action éducative. Nous donnons tout de même des cours de travaux pratiques et d’éducation manuelle et technique qui, bien qu’insuffisants, constituent un premier pas vers une formation plus pratique. Ces élèves devront donc attendre d’avoir 16 ans pour accéder au programme d’Insertion Sociale et Professionnelle secteur Jeunes (I.S.P.J.) qui leur permettra de vivre des stages de travail. Bien que ce programme soit davantage à leur portée, leur intégration dans ces groupes, composés aussi de décrocheurs du secteur régulier, est difficile. Ils ont de la difficulté à se faire valoir. Ils arrivent rarement à prendre leur place. Leur participation se solde trop souvent par du rejet, de l’isolement, qui les entraînent jusqu’à l’abandon scolaire.
Ainsi, nous remarquons que la plupart de nos élèves quittent l’école entre 15 et 18 ans. Par la suite, ils vivront d’aide sociale, demeureront assez isolés, n’auront pas un rôle actif dans leur communauté et resteront un bon moment incapables d’assumer leur vie de façon autonome. Ces constatations sont similaires à celles observées suite à une étude de quatre ans de Gordon et Goldbach (1990)4 qui dénote qu’à la sortie de l’école et par après, les déficients sont très limités et ont de la difficulté à répondre adéquatement à leurs besoins aussi essentiels que de se loger, se nourrir, s’occuper (travail et loisirs).
En étant conscient de la situation dans laquelle évoluent nos élèves des CPC, il devient difficile de continuer à leur enseigner sans avoir le sentiment de de les tromper ou de contribuer à les maintenir dans un milieu d’échecs et de dévalorisation. L’enseignant se retrouve avec une lourde responsabilité et comme le cite Gélinas (1981): « l’intervenant en éducation spéciale « gère » en quelque sorte la vie des personnes en fonction de son pouvoir sur l’organisation des services qui leur sont offerts » . Hors, l’enseignant des CPC doit-il continuer à enseigner dans sa classe spéciale en ignorant cette réalité ou doit-il, de son propre chef, poser des actions qui tenteront d’améliorer cette situation?
Nous savons que la formation générale constitue la porte d’entrée principale et presqu’unique qui mène au monde du travail. Au Québec, il est véhiculé qu’il faut réussir un secondaire 5 pour obtenir un travail quelconque. Plusieurs élèves des CPC adhèrent à ce discours et, si parfois, ils arrivent à connaître certains succès, ils sont vite oubliés lorsque ces derniers se rendent compte du chemin à faire pour atteindre un diplôme d’études secondaires. Quand des élèves manifestent plus d’habiletés et d’intérêt dans des activités manuelles et souhaitent exercer un métier du secteur professionnel, malheureusement, ils s’aperçoivent qu’ils ne possèdent pas la formation générale requise pour y être admis, soit avoir réussi au moins un secondaire 3. Alors, comment leur offrir d’autres types de formation qui favoriseraient mieux leur développement ?
Notre expérience nous prouve qu’à elle seule, la formation générale en classe spéciale ne prépare pas suffisamment ces élèves à leur vie future. Celle-ci ne met pas assez en évidence leurs forces et leurs capacités. Elle n’arrive souvent qu’à maintenir l’image négative qu’ils ont d’eux-mêmes en leur faisant vivre des échecs répétés et en les gardant isolés des autres. Il nous faut mieux comprendre la situation de ces étudiants pour arriver à mettre à leur disposition des services éducatifs dont les activités des programmes permettraient une éducation plus orientée vers la valorisation de ces personnes en leur permettant de vivre des expériences où leurs capacités seraient mises en évidence, où ils seraient davantage reconnus par leurs pairs, leur famille, leur communauté.
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