L’EDUCATION DE BASE POUR LES ENFANTS TALIBÉS DANS LES RUES DE LA CAPITALE SENEGALAISE

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CONCEPTS ET MODELE D’ANALYSE

Pour les concepts que nous abordons ci-dessous, nous avons pu constater au cours de nos différentes lectures, que le contenu des concepts n’est pas identique suivant l’interprétation du chercheur qui prend le pas et transforme le concept. Pour les concepts généraux c’est déjà une difficulté majeure et cela devient encore plus inextricable lorsqu’il s’agit de concepts plus spécifiques.
En effet, parler de l’éducation de base qui est un concept qui théoriquement devrait pouvoir s’appliquer à toutes les catégories sociales nous amène dans notre cas spécifique de recherche sur les exclus de l’éducation de base, vers une clarification d’un ensemble de termes.
Ainsi, les concepts d’éducation formelle, non formelle, informelle où devraient entrer certaines catégories d’apprenants posent problème. C’est ainsi que pour réaliser une analyse systémique, choisissant un modèle stratégique de l’acteur comme cadre conceptuel avec les talibés issus des écoles coraniques, il est nécessaire de clarifier certains termes comme ceux de talibé, daara, marabout.

Education de base

Le concept d’éducation de base nous semble donc le point de départ de notre recherche. Pour l’UNESCO, l’éducation de base se définit, selon l’article 1, paragraphe 1, de la déclaration mondiale sur l’éducation pour tous (Jomtien, 1990) :
Toute personne – enfant, adolescent ou adulte – doit pouvoir bénéficier d’une formation conçue pour répondre à ses besoins éducatifs fondamentaux. Ces besoins concernent aussi bien les outils d’apprentissage essentiels (lecture, écriture, expression orale, calcul, résolution de problème) que les contenus éducatifs fondamentaux (connaissances, aptitudes, valeurs, attitudes) dont l’être humain a besoin pour survivre, pour développer toutes ses facultés, pour vivre et travailler dans la dignité, pour participer pleinement au développement, pour améliorer la qualité de son existence, pour prendre des décisions éclairées et pour continuer à apprendre. Le champ des besoins éducatifs fondamentaux et la manière dont il convient d’y répondre varient selon les pays et les cultures et évoluent inévitablement au fil du temps. »21
Cette définition est acceptable puisqu’elle prévoit la diversité culturelle et les besoins individuels. Elle ne représente pourtant qu’un grand principe, ambitieux, une ligne de conduite, un objectif éthique de l’humanité.
Pour LEGENDRE, dans son dictionnaire de l’éducation, ce concept ainsi défini est synonyme de celui d’éducation fondamentale dont la définition donnée est :
Education dont l’objet est de répondre aux besoins éducatifs fondamentaux, premier niveau d’instruction ou niveau de base pouvant servir d’assise à des apprentissages plus poussés, source même du développement humain. »22
On peut constater que la définition de l’UNESCO est beaucoup plus exhaustive et explicite puisqu’elle s’enrichie des résultats des recherches qui se sont succédées au cours des années. Mais il faut dire que cela reste encore insuffisant et que la définition donnée est soit trop vaste soit pas assez précise.
La variation des besoins éducatifs est telle que la pertinence d’une définition des outils d’apprentissage est relative et définir des contenus éducatifs fondamentaux, en outre, est risqué. Quels choix opérer pour un respect des différences culturelles? Qui doit faire les choix? Si chaque individu doit pouvoir bénéficier d’une éducation de base telle que définie, cela suppose que des programmes scolaires soient mis au point pour être offerts aux enfants dès le plus jeune âge. Quels sont les besoins éducatifs fondamentaux des jeunes talibés des rues de Dakar?
Promouvoir une éducation pour tous est en effet un défi puisqu’il faudrait d’abord connaître les besoins au cas par cas pour adapter une politique d’enseignement adéquate. Les contenus éducatifs fondamentaux devraient s’adapter aux besoins éducatifs fondamentaux pour éviter l’exclusion et l’élitisme.
Ainsi, l’éducation de base n’est pas uniquement celle qui s’apprend à l’école mais c’est aussi, l’ensemble des expériences vécues au sein d’une société. Joseph KI-ZERBO, qui affirme ne pas minimiser «le rôle positif fondamental que joue l’institution scolaire en Afrique», 23 affirme que l’éradication de l’analphabétisme considérée comme une épidémie implique souvent aussi l’éradication de savoirs et cultures autochtones. Il ajoute que :
La maîtrise de la lecture et du calcul élémentaire augmente les rendements, mais l’alphabétisation ne signifie pas ipso facto la mise en branle d’un processus général d’accumulation des progrès. La décision d’avancer qui est la matrice du développement, est un mouvement plus vaste auquel l’alphabétisation doit être intégrée afin de contribuer à accélérer le rythme de la libération des énergies positives d’une communauté. »24
Il est très difficile de faire la différence entre le concept d’éducation de base, qui peut aussi se dire éducation fondamentale, et le concept d’alphabétisation. Comme le souligne Efua Irene N. AMENYAH, « la question de l’alphabétisation n’a jamais cessé d’évoluer et de préoccuper la communauté internationale … Du principe d’apprendre à lire, écrire et calculer on est passé à une formulation plus dynamique selon laquelle, il est nécessaire de savoir lire, écrire et calculer pour comprendre, participer et apprendre, c’est-à-dire devenir après la formation un être autonome soulignait Nodjigoto» 25Apprendre, en fait est une action humaine qui se situe toujours dans un contexte social et culturel particulier. Aussi, quel que soit le contenu du programme enseigné, ce que l’on va désigner soit par le terme d’éducation de base ou d’alphabétisation fera toujours partie du processus d’éducation au sens large.
Comme le remarquent Pierre BAUCHET et Paul GERMAIN : «Pour certains, l’éducation de base se réduit à l’enseignement primaire. D’autres disent que l’éducation de base va au-delà et comprend le premier cycle de l’enseignement secondaire. Il y en a qui ajoutent qu’on ne prend pas suffisamment en compte dans l’éducation de base les démarches non formelle et informelle d’éducation qui doivent y être intégrées.
Donc, si l’éducation de base est le minimum nécessaire à tout individu pour vivre en phase avec sa société, elle dépend du niveau d’évolution des sociétés. Savoir lire et écrire peut suffire dans certaines sociétés, mais dans d’autres savoir utiliser l’ordinateur est quasiment nécessaire.
Les invariants universels de l’éducation de base (savoir lire, écrire, compter, calculer, communiquer et résoudre des problèmes) peuvent être remis en cause en termes d’utilité et d’utilisation de contenus d’éducation et de formation. On peut se poser la question de savoir ce « qui leur donne un sens par rapport aux besoins de l’individu et de la collectivité ?».26Il n’en reste pas moins que le concept d’éducation conserve sa valeur morale au-delà de la question de sa valeur opérationnelle. En effet, ce concept a l’avantage de stimuler des émotions et des énergies par l’ambition d’offrir un semblant d’égalité de chance. Offrir des outils aux individus de toute origine qui leur permettraient de s’épanouir de leur société ou d’un monde de l’échange interculturel. Chacun pourrait trouver ainsi sa place, sans avoir à tendre la main à l’autre, mais plutôt en mettant la main à la pâte. Mais l’éloquence philosophique a ces limites aux portes de la réalité quotidienne.
Pour lors, concernant le rôle éducatif, ce qui est sûr, c’est que l’éducation peut être intégrationniste selon la thèse durkheimienne27 ou bien réformiste et pragmatique selon la théorie piagétienne28, l’éducation reste toujours pour les enfants à la charge des adultes, pour les adultes à la charge d’autres adultes. Il n’existe pas d’« auto-éducation ». Des choix s’imposent. C’est ainsi, que dans les sociétés dites en voie de développement, qui ont connu l’imposition d’un système en un temps donné, d’autres cadres ont vu le jour pouvant accueillir l’éducation de base des enfants. Les individus ont tenté de trouver des solutions pour répondre à des besoins éducatifs spécifiques; mais les difficultés rencontrées sont multiples et les imperfections qui en découlent sont un frein au développement.
A notre avis, ces difficultés ont poussé vers la création de concepts mal définis, incomplets, et parfois inadéquats de l’éducation : scolarisation, éducation formelle, éducation non formelle, éducation informelle, autant de termes qui selon leur utilisation et les contenus qu’ils renferment en fonction du lieu et du temps, dévoilent en fait les défaillances des systèmes éducatifs.

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Scolarisation/ éducation formelle/éducation non formelle/ éducation informelle

Au regard de ce qui précède, il n’est pas possible de confondre les concepts d’éducation et de scolarisation. Pourtant souvent les deux sont amalgamés. C’est pourquoi, il en découle une distinction entre les concepts d’éducation formelle, d’éducation non formelle et d’éducation informelle. Nous proposons ci-dessous une classification et une analyse sommaire de ces concepts qui mériteraient plus d’attention par des investigations plus poussées. Seulement le cadre de ce travail qui est une étude de cas nous ne permet pas d’aller au-delà; une thèse pourrait y trouver une orientation de recherche privilégiée.

*Éducation formelle

La Classification Internationale Type de l’éducation (CITE) définit ainsi l’enseignement formel : «Enseignement dispensé dans le système des écoles, des collèges, des universités et des autres établissements éducatifs formels. Ils constituent normalement une échelle » continue d’enseignement à plein temps destiné aux enfants et aux jeunes, commençant, en général entre cinq et sept ans et se poursuivant jusqu’à vingt ou vingt-cinq ans… »
Appelée également « scolaire », l’éducation formelle a pour cadre une organisation nationale relevant du domaine de l’Etat. Elle est dispensée dans des institutions dûment mandatées (écoles), par des professionnels (formés et rémunérés par l’Etat), selon un processus pédagogique prédéterminé (Objectifs, contenus, méthodes et outils). Les principales caractéristiques de l’éducation formelle sont :
l’unicité et la normativité : l’éducation formelle est prédéfinie dans un cadre législatif, applicable pour tous sur l’ensemble du territoire national ;
la hiérarchisation des enseignements (en programmes et en cycles) et des entités éducatives (suivant une organisation verticale) ;
la cohérence et la permanence des enseignements à travers des programmes et des cycles allant du préscolaire à l’enseignement supérieure ;
Selon le paradigme d’une éducation gratuite, égalitaire, globale et universelle : l’éducation formelle s’adresse à tous les citoyens « scolarisables », elle est censée leur offrir des chances égales de réussite et d’intégration sociale à travers un enseignement prenant en compte les besoins essentiels d’éducation et de formation.29
On retrouve ici les idées avant-gardistes d’Auguste BLANQUI (1805-1881). Cité par DOMMANGET M, dans « les grands socialistes et l’éducation (1970), « caractère de l’enseignement nouveau en ces termes : nanti du monopole en sens contraire, l’Etat révolutionnaire peut, en dissipant les ténèbres, exercer son « influence sur le sort des masses ». L’enseignement nouveau est gratuit, obligatoire, complet et professionnel ». Il est laïc, cela va sans dire, mais BLANQUI, évite d’employer cette épithète sur le plan constructif … cela veut dire qu’il doit comprendre pour tous les français de cinq à quinze ans sans exception : la langue française, l’arithmétique, la cosmographie et la géométrie élémentaire, la géographie, l’histoire, le dessin, des notions de géologie, de physique et de chimie. Enfin, l’enseignement doit être professionnel, autrement dit « organisé » partout sur une vaste échelle pour l’agriculture, l’industrie et le commerce.»
Mais en pratique, dans les sociétés, d’après LE THAN KHOI, (1984), le processus éducatif se divise en trois groupes :
Au sens le plus général du terme, l’éducation est un processus qui s’étend sur toute la vie de l’individu, de sa naissance à sa mort. L’individu apprend, s’éduque, est éduqué dans sa famille, dans son milieu social, à l’école, à l’université. L’école est un moment de ce processus, elle n’est pas le seul, ni, pour beaucoup, le plus important : pour certains même, elle n’existe pas car ils n’ont pas pu y entrer.
Ce qui caractérise l’éducation formelle et non formelle de l’informelle, c’est donc son caractère organisé, délibéré, construit.
Ce qui distingue l’éducation formelle de l’éducation non formelle, ce n’est pas son estampille publique. » 30
C’est la raison pour laquelle il n’est pas aisé de classer par type d’éducation puisque toute forme éducative entre dans un processus historique des sociétés et des individus.
Malgré une tentative d’explication ordonnée de la dichotomie que créént les termes, la rupture dans le dit processus éducatif n’en est que plus profonde. Un fossé se creuse irrémédiablement entre des structures formelles qui sanctionnent et d’autres peu reconnues ou mal considérées. La valeur sociale de l’éducation reçue par un enfant se pèse en critère de formel ou de non formel.
Nous sommes toujours dans le processus général de l’éducation, mais selon la combinaison entre le mode d’éducation et les caractéristiques. Nous avons des processus qui jamais les vouer expressément à une profession particulière. Cette « instruction intégrale » par l’expérience et la comparaison vise à développer surtout le jugement.
LE THAN KHOI, 1984, « Problématique des relations entre l’éducation formelle et non formelle », dans Le formel et le non formel dans le contexte d’une politique d’éducation de masse, Bamako (Mali), 7-19 mai 1984, Agence de coopération culturelle et technique, (page 1 à 12).

Table des matières

INTRODUCTION
1.1 PROBLÉMATIQUE
1.2. CONCEPTS ETMODELE D’ANALYSE
Education de base
Scolarisation/ éducation formelle/éducation non formelle/ éducation informelle
Exclus
Talibé ou élève d’école coranique
Ecole coranique ou daara
Maître d’école coranique ou marabout
CONCLUSION
DEUXIEME PARTIE : L’EDUCATION DE BASE POUR LES ENFANTS TALIBÉS DANS LES RUES DE LA CAPITALE SENEGALAISE
2.1 DESCRIPTIONMORPHO GEOGRAPHIQUE ET SOCIOLOGIQUE DE LA VILLE DE DAKAR43
2.1.1 L’URBANISME A DAKAR
2. 1.2 RURALISATION ET SOCIALISATION PAR LA RUE A DAKAR
2. 1.3 DAKAR : UNE CAPITALE ATTRACTIVE ET ENCOMBREE.
2.2 EDUCATION DE BASE AU SENEGAL
2.2.1 EDUCATION FORMELLE
2.2.2 EDUCATION NON FORMELLE
2.2.3 EDUCATION INFORMELLE
CONCLUSION
TROISIEME PARTIE :CADRE METHODOLOGIQUE
3.1. UNE HYPOTHESE POUR UN ECHANTILLON INSTABLE
3.2 OBJECTIF : POURQUOI SE PREOCCUPER EN PARTICULIER DE CES ENFANTS ?
3.3 METHODES ET TECHNIQUES : UNE APPROCHE QUALITATIVE POUR UN PHÉNOMENE COMPLEXE
Echantillon représentatif
Zone
Questionnaire et focus group
Observation
3.4 DEROULEMENT DE L’ENQUETE ET DIFFICULTES
CONCLUSION
QUATRIEME PARTIE : L’ECOLE CORANIQUE ET LES ENFANTS TALIBES DE DAKAR
4. 1 HISTORIQUE DE L’ECOLE CORANIQUE AU SENEGAL
4.1.1. AVANT LA COLONISATION
4.1.2 PENDANT LA COLONISATION
4.1.3 AUJOURD’HUI : DE L’INTEGRATION DES DAARAS AU SYSTEME EDUCATIF SENEGALAIS.
4.2 LES TALIBES ENQUETES A DAKAR
4.2.1 LES TALIBES ET LA MENDICITE A DAKAR : TRAVAIL MODERNE DES ENFANTS DE PAUVRES.
4.2.2 AU–DELA D’UNE ABSENCE D’EDUCATION DE BASE : UN MANQUE D’EDUCATION
4.2.3 QUELS SONT LES SOUHAITS DES ENFANTS TALIBES ?
CONCLUSION
CONCLUSION
BIBLIOGRAHIE
ANNEXES

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