L’éducation aux médias dans les programmes éducatifs
Les textes d’orientation stratégique définissent le périmètre et dans certains cas les contenus de l’éducation aux médias. Or pour que celle-ci devienne effective dans les systèmes éducatifs, il faut qu’elle soit inscrite dans les programmes scolaires. En effet, « l’inscription de l’éducation aux médias au sein des curriculums scolaires permet d’en généraliser les pratiques, dans une optique de développement de savoirs et de compétences priorisés et de réponse aux enjeux et aux préoccupations soulevées par la médiatisation des sociétés. Ainsi considérés, les curriculums scolaires sont au cœur des politiques éducatives, puisqu’ils établissent tout à la fois les priorités éducatives, définissent les orientations disciplinaires, attribuent les responsabilités aux différents acteurs scolaires et définissent les mesures d’évaluation560 ». Les programmes fournissent un cadre légal et définissent des savoirs. Or malgré leur intérêt, « les travaux qui procèdent à l’analyse critique des curriculums scolaires en matière d’éducation aux médias demeurent rares561 », d’une part en raison de leur volume (plusieurs centaines voire milliers de pages par pays) et d’autre part de leur hétérogénéité. Cette difficulté avait été pointée par Lászlo Hartai dans le cadre de l’étude sur l’éducation aux médias dans le système scolaire formel en Europe : « en raison de la diversité culturelle, il y a des différences significatives dans la fonction, la structure, l’approche et l’élaboration des programmes. Pour empirer les choses, ces différences changent constamment562 ». Notre étude se limite à deux cas : les programmes scolaires du Bade-Wurtemberg563 , maintenant BW, d’une part, et les programmes français d’autre part. Ces programmes sont structurés différemment. Le système scolaire allemand opère par exemple plus tôt une séparation entre les filières éducatives. Il nous fallait donc choisir entre le « secondaire premier niveau » (Sekundarstufe 1), court et professionnalisant, qui englobe la Realschule et la Hautpschule, et le Gymnasium. Ce dernier est général et mène aux études supérieures. Le volume de texte très élevé (700 pages pour ceux du secondaire premier niveau et plus de 500 pages pour le Gymnasium, soit un total d’environ 1200 pages) ainsi que la comparabilité avec les programmes français, dans lesquels nous voulions inclure ceux du lycée564, nous ont menée à retenir le niveau du Gymnasium. Nous avons par ailleurs observé qu’il existait de nombreuses similarités entre Gymnasium et secondaire premier niveau dans les enseignements fondamentaux ainsi qu’en éducation aux médias. Dans les deux systèmes, les élèves peuvent choisir un profil en sélectionnant plusieurs matières (à partir du lycée en France565). Pour créer notre corpus, nous avons inclus les programmes de langue première (allemand et français), langues vivantes (nous avons inclus uniquement l’anglais en raison de redondances entre les programmes), mathématiques, histoire et géographie (deux enseignements distincts dans le BW), physique et chimie (également séparés dans le BW), biologie et sciences de la vie et de la Terre, sport, musique et arts plastiques. Dans le cas français, nous avons inclus les programmes d’éducation morale et civique (maintenant EMC) et pour le BW, le programme de l’enseignement transversal « éducation à la démocratie ». Quant à l’éducation aux médias, celle-ci fait l’objet d’un court chapitre dédié dans les programmes du cycle 4 en France. Dans le BW, il s’agit d’une ligne directrice transversale, abordée dans chaque matière sous la forme d’un paragraphe identifié ainsi que de mentions dans le corps du texte. En outre, le « cours de base d’éducation aux médias » dispose d’un programme dédié qui décrit précisément les connaissances et compétences attendues. Nous avons également inclus les programmes du « cours d’initiation à l’informatique » qui, comme le cours de base d’éducation aux médias, est dispensé aux élèves du BW entrant dans le secondaire pour harmoniser leurs connaissances et compétences.
L’EMI dans les programmes en France (2008-2018)
Un ancrage croissant lié aux dispositifs législatifs et institutionnels Le CLEMI a publié en novembre 2003 un document de synthèse, mis à jour en juillet 2008, compilant les références qui sont faites à l’éducation aux médias dans les programmes afin d’aider les enseignants à identifier les éléments pouvant être reliés à l’éducation aux médias. Les auteurs déterminent cinq axes de lecture des programmes scolaires : les ouvertures sur une éducation aux médias, premier axe assez large puisqu’il regroupe les références à la citoyenneté, la découverte, l’esprit critique, la lecture et l’analyse de l’image, les médias comme objet d’étude, comme support pédagogique et d’autres références comme des activités, compétences et productions d’élèves. L’éducation par les médias est considérée comme une première étape dans la démarche d’éducation aux médias : « l’objectif général de ce travail est de repérer dans les programmes disciplinaires l’utilisation des médias comme supports pédagogiques afin de légitimer et de mettre en place une éducation aux médias ». Cela témoigne d’une légitimité alors plus forte de l’éducation par les médias que des démarches pédagogiques traitant des médias comme objets d’étude. Le document se présente sous la forme d’un tableau, avec les différents axes en colonne et en ligne, les parties des programmes concernées. Les auteurs ont ensuite rapporté les extraits des programmes dans les cellules, afin d’en produire une vue synthétique et rapide. La longueur du document (58 pages) témoigne de la pluralité des mentions de termes renvoyant à l’éducation aux médias (« information », « actualité », « presse », « journalisme », « pluralisme », « analyse d’image », « argumentation », « attitude critique », « point de vue », « message », « stéréotypes », « représentation », « codes », « films et émissions de télévision », « publicité », « cinéma et audiovisuel », « fiabilité d’une source »…), bien que les termes « médias », « médiatique » eux-mêmes apparaissent rarement. Certains termes n’y renvoient pas directement mais sont considérés comme une porte d’entrée, liée à des thématiques de citoyenneté : « autonomie », « débat », « argumentation », « libertés et droits ». Enfin, les mentions aux médias comme supports pédagogiques ou acquisition de compétences instrumentales sont recensées : « TIC », « usage de l’ordinateur » ; en anglais, « le professeur peut exploiter toutes sortes de documents authentiques (son, image, vidéo) et actuels (notamment à travers internet : presse écrite, radiophonique et télévisée) ». L’ECJS (éducation 207 civique, juridique et sociale) est alors un nouveau dispositif où de nombreuses mentions des médias apparaissent (lire la presse, faire intervenir des journalistes, créer des dossiers de presse et des productions audiovisuelles…). On remarque que les mentions s’appliquent à l’ensemble des matières, bien qu’en français et en ECJS les médias soient plus souvent abordés comme objets d’étude qu’ailleurs. La relecture des programmes en 2008 était justifiée par l’entrée en vigueur du Socle de Connaissances et de Compétences. Les programmes scolaires ont de nouveau été amendés en 2015 suite à son actualisation. Nous avons étudié la dernière version en vigueur des programmes du cycle 4 et du lycée, datant de 2018566. Celle-ci intervient après la réforme du collège et du lycée, entre 2016 et 2018. Les programmes évoluant rapidement, nous ne pouvons proposer ici qu’un jalon qui aurait vocation à être actualisé dans des travaux futurs. Nous observons tout d’abord un ancrage croissant de l’éducation aux médias et à l’information, devenue une thématique transversale567 . En 2018, les programmes du cycle 4 consacrent une rubrique de l’introduction à l’EMI, en lien avec le socle commun, ainsi qu’un court chapitre en fin de document : Dans une société marquée par l’abondance des informations, les élèves apprennent à devenir des usagers des médias et d’Internet conscients de leurs droits et devoirs et maîtrisant leur identité numérique, à identifier et évaluer, en faisant preuve d’esprit critique, les sources d’information à travers la connaissance plus approfondie d’un univers médiatique et documentaire en constante évolution. Il s’agit de faire accéder les élèves à une compréhension des médias, des réseaux et des phénomènes informationnels dans toutes leurs dimensions : économique, sociétale, technique, éthique. Quelques connaissances sur l’histoire de l’écrit, des différentes étapes de sa diffusion et de ses supports mettent en perspective sa place dans la société contemporaine. Les élèves sont formés à une lecture critique et distanciée des contenus et des formes médiatiques. Ils sont incités à s’informer suffisamment, notamment par une lecture régulière de la presse en français et en langues vivantes, ainsi qu’à produire et diffuser eux-mêmes de l’information (Programmes cycle 4 – Introduction).