L’éducation aux médias à l’UNESCO et dans les institutions européennes
Le rôle de l’UNESCO dans la définition du domaine
Enjeux démocratiques de la maîtrise de l’information et des médias L’engagement de l’UNESCO en faveur de l’éducation aux médias, corollaire de l’internationalisation du domaine, se développe dès la création de son association partenaire, le Conseil International du Cinéma et de la Télévision (CICT) en 1958. Les missions de cette instance sont de stimuler la création et favoriser la production et la diffusion d’œuvres audiovisuelles de qualité. Elle doit également contribuer à l’éducation audiovisuelle. Une des premières définitions communément admises de l’éducation aux médias est produite par cet organisme : « Par éducation aux médias, il convient d’entendre l’étude, l’enseignement, l’apprentissage des moyens modernes de communication et d’expression considérés comme faisant partie d’un domaine spécifique et autonome de connaissances dans la théorie et la pratique pédagogiques, à la différence de leur utilisation comme auxiliaires pour l’enseignement ..L’éducation aux médias à l’UNESCO et dans les institutions européennes 96 et l’apprentissage dans d’autres domaines de connaissances tels que celui des mathématiques, de la science et de la géographie ». Cette définition est notable par la distinction qu’elle opère entre « domaine spécifique et autonome de connaissances » et « utilisation comme auxiliaires pour l’enseignement et l’apprentissage ». L’éducation aux médias commence à se séparer de l’éducation par les médias. La « théorie et la pratique pédagogique » dont il est alors question sont encore assez protectionnistes. Il s’agit à ses débuts d’une éducation contre les médias, qui doit apprendre à chacun à se battre contre la propagande, les messages omniprésents et les tentations des médias de communication de masse, contre le risque d’aliénation et même d’antiéducation que ces médias peuvent apporter. Cet enseignement doit aider les jeunes à recevoir et comprendre les contenus médiatiques, à utiliser les médias de masse de façon à enrichir leur personnalité. La définition de l’éducation aux médias évolue ensuite vers une conception plus englobante et moins pessimiste vis-à-vis des médias. En 1982, la Déclaration de Grünwald est rédigée à l’issue d’un symposium international réunissant des éducateurs, des communicateurs et des chercheurs issus de 19 pays différents355. Tout en faisant une synthèse des débats, elle renforce la reconnaissance de l’éducation aux médias comme domaine international. Elle marque également un retournement dans la manière de considérer les médias. Ils ne sont plus diabolisés mais considérés comme une partie de la vie sociale et de la culture contemporaine. L’enjeu est d’encourager les systèmes politiques et éducatifs à « assumer les obligations qui leur reviennent pour promouvoir chez les citoyens une compréhension critique des phénomènes de communication » et encourager la « participation active des citoyens dans la société ». La déclaration de Grünwald se termine par un appel à « organiser et soutenir des programmes intégrés d’éducation aux médias » tout au long de la scolarité et dans les formations pour adultes, ce qui implique de développer la formation des éducateurs, animateurs et médiateurs qui interviendront dans ce cadre. L’enjeu majeur est alors la formation des formateurs, dont il s’agit de faire reconnaître l’importance. Par la suite, diverses conférences et rencontres internationales réunissant des experts en éducation aux médias organisées par l’UNESCO et ses partenaires contribuent à renforcer la coopération internationale. Par exemple, en 1990 a lieu un colloque international intitulé « éducation aux médias et nouvelles orientations », à Toulouse ; il est coorganisé par l’UNESCO,le CLEMI et le British Film Institute. Cette conférence organise la coopération entre les différentes parties prenantes autour d’une définition de plus en plus consensuelle de l’éducation aux médias devant amener à développer l’esprit critique des apprenants et les inciter à participer à la vie publique, une position théorique assimilable à l’approche politique. On pourrait aussi citer la conférence internationale « Eduquer pour les médias à l’ère du numérique » (Vienne, Autriche, du 18 au 20 avril 1999), réunissant 41 experts de 33 pays différents. Cette conférence a proposé une définition de l’éducation aux médias comprenant tous les médias, imprimés, numériques, audiovisuels ou encore graphiques et défini ce que l’individu devait tirer de cet enseignement : « analyser et avoir une approche critique des textes médiatiques et à créer ses propres messages médiatiques; identifier les sources des textes médiatiques, leur intérêt politique, social, commercial et/ou culturel dans leur contexte; interpréter les messages et valeurs transmis par les médias; sélectionner le média approprié pour ses messages ou récits, afin d’atteindre le public visé; obtenir ou réclamer l’accès aux médias, aussi bien en ce qui concerne la réception que la production de messages médiatiques356 ». Les participants de la conférence « recommandent que l’éducation aux médias soit introduite partout où cela est possible, dans le cadre des programmes d’études nationaux et tertiaires et dans les formations non formelles tout au long de la vie357 ». Cela passe par le soutien à des programmes de recherche, ainsi que l’obtention de partenariats et de financements et plus largement, par une coordination accrue des actions au niveau international. Le besoin de renforcer l’éducation aux médias est une nouvelle fois justifié par sa dimension démocratique : « dans tous les pays du monde l’éducation aux médias fait partie du droit fondamental de chaque citoyen à la liberté d’expression et à l’information. Elle est un instrument de la construction et du maintien de la démocratie358 ». Un consensus émerge autour de l’idée selon laquelle l’accès à la maîtrise des médias et de l’information est un droit humain. Celui-ci structure la Déclaration de Prague, issue d’une conférence ayant réuni des experts de la NCLIS, NFIL et de l’UNESCO de septembre 2003 : « la compétence dans l’usage de l’information comprend la reconnaissance de ses besoins d’information et les capacités d’identifier, de trouver, d’évaluer et d’organiser l’information – ainsi que de la créer, de l’utiliser et de la communiquer efficacement en vue de traiter des questions ou des problèmes qui se posent; elle est préalable à une pleine participation .
Le développement du media and information literacy (MIL)
La notion d’éducation aux médias et à l’information (media and information literacy ou MIL) apparaît dès 2008 dans les stratégies de l’UNESCO. Elle est formalisée lors du premier forum international sur l’éducation aux médias et à l’information, qui a donné lieu à la Déclaration de Fez363. Ce rassemblement de deux domaines jusque-là séparés, la maîtrise de l’information et l’éducation aux médias, est justifiée par « l’ère numérique » (today’s digital age) et la convergence médiatique. Il doit servir à atteindre les objectifs de l’UNESCO, c’està-dire le développement durable, la participation démocratique, la promotion de la paix et le dialogue interculturel. Cette position est renforcée l’année suivante par la Déclaration de Moscou sur la maîtrise de l’information et des médias364. Les participants à la conférence ont conjointement défini la littératie médiatique et informationnelle comme une combinaison de connaissances, d’attitudes, de capacités et de pratiques requises pour accéder à l’information et au savoir, les analyser, les évaluer, les utiliser, les produire et les communiquer de manière créative, légale et éthique en respectant les droits humains. Les individus éduqués aux médias et à l’information peuvent utiliser divers médias, sources d’information et canaux dans leurs vies privées, professionnelles et publiques. Ils savent de quelles informations ils ont besoin, quand, pourquoi, ainsi que où et comment l’obtenir. Ils comprennent qui a créé l’information et pourquoi, ainsi que les rôles, responsabilités et fonctions des médias, des fournisseurs d’information et des institutions mémorielles. Ils peuvent analyser l’information, les messages, les croyances et les valeurs transmises par les médias et tout type de producteur de contenus, peuvent valider l’information qu’ils ont trouvée et produite en fonction d’une variété de critères génériques, personnels et contextuels. Les compétences en littératie médiatique et informationnelle s’étendent au-delà des technologies d’information et de communication pour comprendre des capacités d’apprentissage, d’esprit critique et d’interprétation au-travers et au-delà des frontières professionnelles, éducatives et sociales. Elle s’applique à tous types de médias (oral, imprimé, analogue et numérique) et toutes formes et formats de ressources