L’économie comme un circuit

L’économie comme un circuit

Eléments d’économie monétaire

Dans son papier de 1999, Bruun souligne l’importance de la théorie monétaire de la production — ébauchée par Keynes, reprise et développée par les postkeynésiens — pour le chercheur qui souhaite construire un modèle macroéconomique multi-agents. « [. . . ] our choice of using Keynes’ theory of monetary production has to do with the role played by money in economic systems. » (Bruun 1999, p. 5) 

Une théorie monétaire de la production

Une pensée complexe Dans la Théorie Générale, Keynes insiste sur la nécessité de prendre en compte « les complexités et les interdépendances du monde réel » (Keynes 1936 [1998]). Il critique sèchement les méthodes qui reposent sur l’hypothèse de « l’indépendance rigoureuse des facteurs dont elles traitent ». Pour Keynes, c’est « la nature du raisonnement économique » que de « tenir compte, autant que possible, des réactions probables de ces facteurs les uns sur les autres ». « Trop de récentes économies mathématiques ne sont que de pures spéculations ; aussi imprécises que leurs hypothèses initiales, elles permettent aux auteurs d’oublier dans le dédale des symboles vains et prétentieux les complexités et les interdépendances du monde réel. » (Keynes 1936 [1998], p. 301) Tobin (1991) souligne que Keynes ne suppose pas que les marchés parviennent toujours à coordonner le comportement des agents. Au contraire, selon Tobin, les problèmes de coordination entre des agents divers et multiples sont l’objet essentiel de la macroéconomie de Keynes. 58 « In Keynes’ view, the essentiel task of economics was to explain how markets do and do not coordinate the behaviors of the diverse agents: households and firms, savers and investors, workers and employers, creditors and debtors, bulls and bears, citizens and governments. To assume away this diversity is to default the responsibilities of the profession to maintain seriousness and relevance. » (Tobin 1991, p. 12) Complexité des économies monétaires Pour Keynes, une économie monétaire n’est pas simplement une économie dans laquelle les échanges se font en monnaie. Dans une économie où la monnaie n’est qu’un moyen de faciliter les échanges de biens réels, on peut supposer que la monnaie est neutre, c’est-à-dire que le comportement macroéconomique de cette économie peut être assimilé à celui d’une économie d’échanges réels. Keynes pense au contraire que les règles de fonctionnement d’une véritable économie monétaire sont très différentes, et que par conséquent il y a nécessité de développer une théorie monétaire dans laquelle la monnaie n’est pas neutre. « The idea that it is comparatively easy to adapt the hypothetical conclusions of a real wage economics to the real world of monetary economics is a mistake. It is extraordinarily difficult to make the adaptation, and perhaps impossible without the aid of a developed theory of monetary economics. » (Keynes 1933 [1963], p. 9) Pour Legay (1997, p. 18) la perte d’un élément d’un système complexe peut le faire changer de nature, voire lui faire perdre sa nature complexe. C’est pourquoi nous pensons que la monnaie doit d’emblée être intégrée au modèle, comme un élément structurant.

Trois notions essentielles

Pour Keynes, la construction d’une théorie monétaire de la production est restée à l’état de projet. Ce sont les auteurs du courant dit post-keynesien qui ont repris ce projet et se sont efforcés de lui donner un contenu fort et cohérent, ancré dans l’observation du monde réel. De leurs travaux, nous retenons trois notions essentielles qui vont nous permettre de donner un contenu plus concret au principe de nonneutralité de la monnaie : – la notion d’économie monétaire de production, – la notion d’économie avec monnaie endogène, – la notion d’économie d’entrepreneurs. 59 Une économie monétaire de production Pour Keynes, la monnaie est un élément du processus de production. Elle est présente en amont et en aval du processus. « During the lengthy process of production the business world is increasing outgoings in terms of money — paying out in money for wages and other expenses of production — in the expectation of recouping the outlay by disposing of the product for money at a later date. » (Keynes 1923 [1971], p. 33, cité par Rochon 1999, p. 7) A partir de cette observation, les post-keynésiens ont développé la notion d’économie monétaire de production. Dans une telle économie, le premier rôle de la monnaie est de permettre le financement de la production. « Dans une économie monétaire, la monnaie est nécessaire non seulement pour faciliter les échanges des marchandises produites ; mais aussi et, pourrait-on dire en premier lieu pour rendre possible la production. L’entrepreneur doit payer les salaires en monnaie et il doit les payer à l’avance. Il a donc besoin de monnaie avant d’avoir réalisé la production [. . .] La relation la plus importante dans l’économie de marché n’est donc pas la relation monnaie–échanges mais la relation monnaie–production. » (Graziani 2003a, p. 126) On peut résumer la notion d’économie monétaire de production en disant que c’est une économie « dans laquelle la production commence et finit en monnaie » (Wray 2003, p. 58). Une économie avec monnaie endogène La notion de monnaie endogène vient compléter celle d’économie monétaire de production, en précisant la nature et l’origine de la monnaie qui y circule. « Si la fonction de la monnaie est de rendre possible la production, il est évident que la monnaie doit être employée par un agent qui n’a pas encore la disponibilité des biens ; il s’agit donc nécessairement d’une monnaie de crédit. » (Graziani 2003a, p. 126) Les entreprises doivent emprunter la monnaie dont elles ont besoin pour lancer le processus de production. Les banques constituent une catégorie particulière d’agents dont la fonction est de prêter aux entreprises les sommes dont elles ont besoin. Mais d’où provient la monnaie que prêtent les banques ? De nulle part, elle est créée à l’occasion du crédit. 60 « [. . . ] the circulation approach rejects the idea that deposits make loans, an idea that Schumpeter already considered an old prejudice. In the circulation approach the opposite conception is adopted, namely that loans make deposits. » (Graziani 2003b, p. 82) La création monétaire ne consomme aucune force de travail (Lavoie 1982, p. 212), ce n’est pas une production mais une création ex nihilo (Lavoie 2004, p. 73). La monnaie de crédit n’est donc pas une marchandise. La monnaie est éphémère et sa durée de vie est égale à celle du crédit : elle disparaît dans le remboursement de la dette qui lui a donné naissance. Le Bourva souligne que « dans ces conditions, la banque n’est pas un intermédiaire entre des déposants et des emprunteurs, elle est purement un organisme spécialisé dans la création et la résorption de la monnaie » (Le Bourva 1962, p. 37). Bien que le secteur bancaire joue un rôle essentiel dans la création monétaire, il ne contrôle pas la masse des dépôts. « Du fait que la monnaie est créée à l’occasion d’un prêt, l’initiative appartient d’abord aux clients des banques. La quantité de monnaie augmente parce que les entrepreneurs ont plus ou moins parallèlement sollicité des crédits accrus [. . . ] » (Le Bourva 1959, p. 721, cité par Lavoie 1982, p. 203) Dans une économie avec monnaie endogène, le processus de création monétaire est donc un processus essentiellement décentralisé — comme le sont les processus de production et de consommation. Dans une telle économie, la quantité de monnaie « est déterminée de manière endogène par la demande de crédit bancaire émanant des forces du marché » (Moore 2003, p. 41).

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