L’ECHEC DE LA TENTATIVE DE FONDER LA SCIENCE EN DIEU
Une autre ligne de commentaire, nettement plus critique envers Descartes, maintient la thèse d’une recherche en Dieu du véritable et ultime fondement de la connaissance par Descartes, mais conclut, à l’inverse des précédentes interprétations à l’échec de cette recherche.
L’ENTREPRISE FUNESTE DE LA MÉTAPHYSIQUE CARTÉSIENNE
Cette interprétation est notamment celle d’Ernst Cassirer97. Malgré la divergence franche de conclusion avec la ligne précédente, nous avons tendance à considérer cette interprétation comme une forme dérivée de la première, à partir du moment où elle ne remet pas en cause l’intention de Descartes de fonder la science sur la connaissance préalable de Dieu. En effet, la véracité divine reste la pierre angulaire de toute vérité accessible à l’homme, dans l’esprit de Descartes métaphysicien, selon E. Cassirer98. En abordant les questions de métaphysique Descartes aurait, selon E. Cassirer, changé radicalement de critères pour déterminer le vrai. Il serait passé de la certitude fournie par l’intellect à la dépendance à l’égard de Dieu, puissance extérieure et transcendante à notre intellect. Descartes aurait abandonné l’autonomie de la raison telle qu’elle semble accomplie dans les Regulae, pour définitivement basculer, avec la métaphysique, dans une doctrine de l’hétéronomie de la raison99. Ce basculement aurait été funeste, car Descartes aurait cessé de se contenter d’une doctrine épistémologique cohérente, pour la compléter par une doctrine métaphysique incohérente. En plaçant Dieu au fondement de la science, Descartes serait tombé dans un cercle logique auquel il était impossible d’échapper, puisque l’être de Dieu ne peut être démontré autrement que sur la base de l’idée claire et distincte que nous en avons100. E. Cassirer adhère donc parfaitement à l’objection du cercle cartésien que soulevaient déjà les auteurs des Secondes objections, Arnaud dans les Quatrièmes objections et Gassendi dans ses Instances. Pour E. Cassirer, nous pourrions dire que Descartes a eu tort de ne pas avoir su se satisfaire de ce qu’il avait réussi avec la méthode : fonder la vérité sur l’intellect humain. Il estime, toutefois, que Descartes reste, comme malgré lui, fidèle à sa doctrine de départ, puisque Dieu n’est affirmé qu’à partir de la connaissance que nous en avons. De ce point de vue, la thèse d’E. Cassirer nous semble particulièrement intéressante. Elle est à rapprocher, sur ce point, de la ligne d’interprétation que nous présenterons, en dernier lieu du présent aperçu de l’état de la question et qui prend l’ego comme seul fondement cartésien de la science. Bien qu’il ait essayé d’y parvenir, Descartes n’a pas pu sortir du cercle du cogito, affirme E. Cassirer, mais sa recherche d’un fondement en Dieu de la certitude est, en réalité, selon lui, plus vaine que préjudiciable aux avancées de la elle cherche, incompréhensiblement, à sortir pour la critiquer102. La garantie divine est, en quelque sorte, un sceau fictif apposé sur les propositions nécessaires de la logique déjà mises à jour par la méthode. Pour E. Cassirer, la raison continue, en fait, à se reconnaître, malgré les apparences, comme majeure et capable d’embrasser le tout de l’être, mais sous un jour métaphysique modifié et sans véritable intérêt103. E. Cassirer nous dit, finalement, que Descartes a été distrait de sa doctrine de départ par les prétentions inutiles de sa métaphysique, mais qu’il ne s’est, toutefois et paradoxalement, pas totalement égaré chemin faisant, puisque son aventure métaphysique n’a pas abouti.
SORTIR DE DOUTE, UNE ENTREPRISE VOUÉE À L’ÉCHEC
L’on citera encore, comme défenseur critique de la thèse de la recherche par Descartes du fondement de la science en Dieu, Monsieur Dominik Perler. Monsieur D. Perler attribue à Descartes la tentative de vouloir fonder la science en Dieu, tout en soulignant son insoutenable faiblesse. Ainsi, Monsieur D. Perler souligne la contradiction qu’il y a à vouloir fonder la correspondance entre nos pensées et les choses sur la garantie divine, alors qu’elle doit elle-même pouvoir être garantie, mais il ajoute que c’est bien, et malgré cette incohérence, ce que Descartes a cherché à établir, se rendant coupable d’un cercle logique105. Descartes aurait donc tenté, en en appelant au point de vue extérieur de Dieu, de dépasser le problème que pose la validation de la vérité de correspondance. Or, puisque nous ne disposons, pour nous assurer de la conformité de nos jugements avec la réalité, que de nos jugements, l’entreprise ne nous est accessible que par le biais des idées. Nous ne pouvons donc pas davantage examiner l’éventuelle correspondance de notre jugement avec l’état de choses « en soi ». Descartes tente de dépasser cette difficulté par le recours à Dieu. Il est tout à fait suffisant, dit-il, d’examiner simplement nos jugements sans que nous ayons aussi à constater une correspondance avec les états de choses. Dieu garantit en effet qu’une certaine classe de jugements, à savoir ceux qui reposent sur des idées claires et distinctes, correspond effectivement aux états de choses dans le monde. Grâce au fait que Dieu n’est point trompeur et ne veut point nous induire en erreur (AT VII, 79 sq.), nous pouvons avoir la certitude que ceux de nos jugements qui reposent sur des idées claires et distinctes correspondent effectivement aux états de choses du monde. Pourtant, tenter de résoudre ainsi le problème ne suffit pas à l’éliminer. De fait, la question se pose immédiatement de savoir comment nous pouvons être certains que Dieu existe véritablement et qu’il est véritablement le garant de la vérité. On sait que Descartes tente de répondre à cette question par la démonstration du fait que nous avons une idée claire et distincte de Dieu. Cette démonstration a pourtant l’air d’un cercle argumentatif, comme l’ont déjà remarqué nombre de de Dieu, ce que les logiciens appellent un cercle106. Le moins que l’on puisse dire est que les thèses de Monsieur D. Perler et d’E. Cassirer, comme celles de tous les tenants de la présence d’un cercle logique dans la philosophie première de Descartes, ont écarté de leur lecture tout principe de charité interprétative.