L’eau souterraine en Abitibi-Témiscamingue
L’eau souterraine est une ressource élémentaire et de plus en plus sollicitée au Québec. Cependant, sa gestion a été négligée et sous-évaluée dans cette province (CAC, 2009). En Abitibi-Témiscamingue, l’eau souterraine est un véritable enjeu puisqu’elle alimente environ 73% de la population en eau potable, ce qui correspond à environ 110 700 personnes, dont 41% possèdent des puits d’approvisionnement en eau potable. Certains secteurs sont plus vulnérables que d’autres, notamment les eskers. Ces derniers correspondent à des formations fluvio-glaciaires de sables et de graviers, sous la forme d’une crête allongée, rectiligne ou sinueuse, pouvant atteindre plusieurs kilomètres de longueur et quelques dizaines de mètres de hauteur. Les eskers sont réputés pour avoir une eau d’excellente qualité constituant une zone de recharge pour les aquifères. En région, cette ressource n’est pas à l’abri d’une surexploitation et de contaminations diverses et variées. L’Abitibi-Témiscamingue est une région marquée par l’exploitation et l’extraction de sable et de gravier.
La pression exercée par l’exploitation de sablières et de gravières sur les ressources aquifères formées par les eskers et les moraines de la région peut être considérable, notamment dans les endroits où le nombre des puits d’approvisionnement en eau potable est conséquent et où la ressource en eau souterraine est fortement utilisée pour combler les besoins de consommation de la population humaine. La région, en raison de son hétérogénéité géologique et de son réseau de failles minéralisées, est au coeur de gisements d’or et d’éléments polymétalliques qui font de l’Abitibi-Témiscamingue la plus importante région minière du Québec. Néanmoins, cette minéralogie diversifiée et les conditions physico-chimiques exposent l’eau souterraine à plusieurs contaminants géogéniques. Les aquifères liés au roc fracturé présentent une eau souterraine contaminée au fer, au manganèse et à l’arsenic dans plusieurs secteurs sur le territoire (Bondu et al., 2017; 2018). Cette situation démontre le nécessité de sensibiliser la population à l’importance d’assurer un suivi de la qualité de l’eau ciblant surtout les puits de particuliers les plus concernés par les problématiques de contamination naturelle des eaux de consommation par les métaux. Le développement économique et social que connaît actuellement la région souligne l’importance d’étudier et de parfaire les connaissances sur le fonctionnement des systèmes aquifères régionaux en vue d’une gestion durable de la ressource, tant en terme de sa quantité que de sa qualité.
Le contexte de l’étude
Le projet de doctorat s’inscrit dans le cadre des travaux du PACES, dont l’acronyme signifie le Programme d’Acquisition de Connaissances sur les Eaux Souterraines du Québec. Avant 2008, l’état des connaissances sur la ressource en eau souterraine à l’échelle du Québec demeurait incomplet et limité. Les données étaient limitées ou encore difficilement accessibles. Peu d’études avaient abordé la caractérisation des eaux souterraines dans une perspective régionale. Afin de remédier à ce manque de connaissances, le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) a instauré et financé en 2008 le Programme PACES afin de parfaire la connaissance de la ressource en eau souterraine des territoires municipalisés du Québec méridional. L’objectif principal est de connaître la ressource en eau souterraine (en quantité et en qualité) afin de mieux la protéger et la préserver pour les générations futures. L’initiative PACES repose sur la volonté de répondre à l’engagement numéro 5 de la Politique nationale de l’eau relative à l’inventaire des grands aquifères du Québec. Entre 2009 et 2015 un nombre de 13 projets du PACES se sont développés à travers le Québec méridional en collaboration avec des universités du Québec (Figure 1.1). Les équipes de recherche des universités impliquées, incluant l’UQAT, se sont mobilisées et ont collaboré au développement de protocoles uniformisés pour une réalisation concertée des projets à l’échelle de la province.
En Abitibi-Témiscamingue, les projets du PACES se sont déroulés en deux phases afin de couvrir la totalité du territoire municipalisé. La phase 1, connue sous le nom de PACES-AT1, concerne la portion Nord-Est du territoire couvrant principalement les municipalités régionales de comté d’Abitibi et de La Vallée-de-l’Or. La phase 2, appelée PACES-AT2, couvre la portion ouest du territoire d’étude et complète le reste de la superficie des municipalités régionales de comté de l’Abitibi-Ouest et de la Ville de Rouyn-Noranda et inclue celle de Témiscamingue. Les objectifs des projets du PACES sont d’établir le portrait hydrogéologique d’un territoire afin de générer des connaissances indispensables à la protection des ressources aquifères et d’intégrer les acteurs de l’eau ainsi que les gestionnaires du territoire afin d’accroître leur participation dans la mise en oeuvre d’une gestion saine et durable de la ressource. Les travaux des projets du PACES consistent en (1) le recensement et la compilation des données hydrogéologiques préexistantes, (2) la réalisation de travaux de terrain pour acquérir des données complémentaires et (3) l’analyse des données, leur représentation en cartes et le transfert aux acteurs de l’eau et du territoire. L’ensemble des projets du PACES au Québec a permis (1) le développement de bases de données hydrogéologiques et géochimiques régionales géoréférencées homogènes et compatibles à l’échelle provinciale et (2) l’acquisition de connaissances relatives aux caractéristiques physiques des aquifères afin de répondre au besoin gouvernemental d’assurer une gestion saine et durable de la ressource en eau souterraine.
La base de données géochimiques issue des travaux des projets PACES AT1-AT2 a été étudiée dans le cadre de cette thèse afin d’approfondir les analyses et les interprétations de la géochimie en relation avec de l’écoulement de l’eau souterraine dans les aquifères granulaires et les aquifères rocheux fracturés du Bouclier Canadien, dans un contexte d’une ceinture argileuse prédominante. Le travail de recherche repose sur l’étude de la dynamique régionale de l’écoulement de l’eau souterraine et de la caractérisation géologique et hydrogéologique des aquifères déterminés dans le cadre des PACES-AT (Cloutier et al., 2015). Le territoire d’étude de cette thèse surpasse les frontières imposées par les municipalités régionales de comté de l’Abitibi-Témiscamingue car il intègre l’ensemble des systèmes aquifères recouverts par la ceinture argileuse Barlow-Ojibway responsable par endroit du confinement des aquifères régionaux.
Le cadre hydrogéologique régional
La région de l’Abitibi-Témiscamingue, située au Nord-Ouest du Québec méridional, couvre un territoire d’une superficie totale de 57 320,55 km2 (MAMH, 2019). Située au coeur du Bouclier canadien, avec le socle rocheux archéen le plus ancien (3,5 Ga) de l’histoire de la terre, la région recoupe deux provinces géologiques principales, soit la province du Supérieur et celle de Grenville (Veillette et al., 2005). La province du Supérieur, qui englobe la sous-province de l’Abitibi et la sous-province du Pontiac, est composée d’alternance de roches volcaniques (ex. : basalte, gabbro, rhyolite) et métasédimentaires (ex. : argilites, grauwacke) datant de 2,7 Ga recoupées par des intrusions de granitoïdes (ex. : syénite, monzonite). La sous-province de l’Abitibi constitue le plus grand ensemble volcano-sédimentaire archéen au monde (Hocq et al., 1993). La composition géologique du substratum de la sous-province du Pontiac est faite de roches granitiques et de paragneiss et présente une résistance plus forte à l’érosion par rapport à la ceinture volcano-sédimentaire de la sous-province de l’Abitibi (Landry et Mercier, 1992). La province de Grenville occupe la portion sud de la région, elle est constituée de roches plus jeunes issues de l’orogénèse (1,5 Ga) essentiellement felsiques (roches acides) et métamorphiques (amphibolites) (Hocq et al., 1993). La région est entrecoupée d’un système de failles archéennes abondantes d’orientation préférentielle NO-SE, dont le potentiel minier est important en raison de leur tendance à la minéralisation donnant lieu à de nombreux gisements de métaux précieux (Au-Ag) et polymétalliques (Cu-Zn) (Hocq et Verpaelst, 1994; Veillette et al., 2005).
Les événements du Quaternaire (entre 8 000 et 10 000 ans) ont laissé une empreinte géomorphologique considérable sur la région. Le retrait et la fonte du glacier issu de la glaciation wisconsinienne a donné lieu à la création de nombreux lacs d’eau douce dans le Sud-Ouest du Québec, comme le lac proglaciaire Barlow-Ojibway, où se sont déposés les argiles et les limons glaciolacustres qui forment aujourd’hui les aquitards régionaux. Le retrait glaciaire est à l’origine aussi de plusieurs types de dépôts de surface : les eskers et les moraines, sédiments fluvioglaciaires formant les aquifères granulaires les plus productifs de la région (Nadeau et al., 2015) et les tills composés de sables, de silts et d’argiles glaciaires (Veillette, 1994). Les sédiments fins d’argiles glaciolacustres déposés en eau profonde dans le lac Barlow-Ojibway sont à l’origine de la ceinture argileuse Barlow-Ojibway à l’échelle régionale (Veillette, 1996; Roy et al., 2011). Le socle rocheux fracturé et les formations granulaires affleurent par endroit sur le territoire et constituent les points hauts de la région. Des couches plus ou moins épaisses de formations granulaires et d’argile recouvrent le socle précambrien.
Cet héritage géologique et géomorphologique de l’Achéen et du Quaternaire a permis la mise en place de quatre types d’aquifères majeurs en région : les aquifères au roc fracturé à nappe libre et à nappe captive présents sous la couverture argileuse, puis les aquifères granulaires à nappe libre et à nappe captive sous les dépôts glaciolacustres. Les travaux réalisés dans le cadre des projets du PACES en Abitibi-Témiscamingue (Cloutier et al., 2013; 2015) ont permis le recensement, l’acquisition et la compilation d’un nombre conséquent de données relatives au territoire, qui sont incluses au sein de bases de données géoréférencées contenant l’ensemble des informations géologiques et hydrogéologiques disponibles sur la région d’étude. Cloutier et al. (2013) ont proposé un modèle hydrogéologique conceptuel régional permettant une représentation simplifiée des caractéristiques, de l’architecture et des conditions d’écoulement de l’eau au sein des six contextes hydrogéologiques (CH) observés au niveau du territoire (Figure 1.2). Cloutier et al. (2016) a répertorié également un nombre de 15 séquences stratigraphiques sur le territoire, qui schématisent les types de superposition des dépôts régionaux sur le roc et qui sont susceptibles d’être rencontrés sur le territoire.
1. CHAPITRE I INTRODUCTION GÉNÉRALE |