Le vrai sens de l’absolutisme hobbien

Le vrai sens de l’absolutisme hobbien

Les théories du pacte social constituent une véritable entreprise de remise en cause du droit divin des rois. Désormais le contrat est devenu le nouveau fondement de l’autorité politique et la source de l’obligation qui lie les gouvernés à ce qui ont le pouvoir. Sous ce rapport, la légitimité de l’Etat dépendra de sa capacité ou non à préserver la liberté individuelle, liberté qui, d’après Rousseau, est le principe et la fin du politique. Cette liberté individuelle, nous l’avons dit, semble ne pas constituer une grande équation chez Hobbes. En effet, si l’homme a pactisé, c’est fondamentalement pour la sécurité et la tranquillité sociale. Dès lors, les libertés individuelles apparaissent comme sacrifiées à l’autel du monarque hobbien. C’est sans doute ce qui justifie les nombreuses critiques adressées à l’encontre de Hobbes.
Hobbes est largement incompris à cause de l’étendue des pouvoirs qu’il attribue au souverain et de l’épée de guerre de ce dernier qui est ce qui retient le plus l’attention des lecteurs. Beaucoup se sont souciés du sort des libertés humaines qui, à leurs yeux, ne trouvent dans le système politique hobbien aucun lieu d’expression. Nombreux sont ceux qui se sont posés la question de savoir si l’homme sera un bon militant du droit positif si son droit naturel n’est pas pris en compte à l’intérieur de l’espace public. De toute évidence, c’est le problème de l’absolutisme du pouvoir qui est ici directement soulevé. En en croire l’analyse de certains lecteurs non avertis, le passage de l’état de nature à l’état civil a fini de dégrader la condition humaine. Selon eux, ce changement d’état traduit non la conversion de l’homme en citoyen mais en sujet politique, ce qui est contraire à la finalité du politique. Jaume confirme que « nombre d’entre eux, depuis le XVIIe siècle, ont prétendu que l’homme de Hobbes ne jouissait d’aucune part privée, et que, par conséquent, le souverain avait droit de regard sur tout. Le thème de la « cessation du droit naturel » a en effet égaré nombre d’esprits, qui ont cru pouvoir conclure que l’artificialisme de notre auteur équivalait par avance à la dénaturation rousseauiste »41.
Pourtant, à regarder de plus prés la doctrine hobbienne du contrat social, nous constatons que le théoricien anglais a mis l’accent sur le caractère inaliénable de certains droits, principalement le droit de protéger sa vie et de se mouvoir librement. Ces droits ne peuvent être transférées ou abandonnées sous aucun motif qu’il soit car étant intimement rattachées à la dimension humaine. Ce qui montre à suffisance que le souverain, contrairement à ce que pensent certains commentateurs, a des limites. Pour étayer notre propos, considérons ces déclarations incompatibles des chapitres 20 et 14 du Léviathan « Dans l’Etat, la puissance souveraine doit être absolue»42 ; « Tous les droits ne sont pas aliénables »43. Ces deux chapitres dégagent deux thèses apparemment contradictoires.
D’une part, nous avons une aliénation totale due à une souveraineté absolue ; d’autre part, une souveraineté limite en raison du droit naturel inaliénable. Ce que nous retenons de ces deux thèses mises en exergue, c’est que l’homme qui vit désormais en société sous la direction d’une force commune, a à la fois des droits et des devoirs. Il est donc un citoyen.
Mais si être citoyen c’est convenir volontairement de se soumettre aux règles de vie et aux manières d’être du public, est ce à dire que le pouvoir souverain, pour assurer la pérennité du corps social, doit user de la force et annihiler toutes les tendances privées en l’homme ?Ce qui se joue ici, c’est une dialectique au sens de conflit entre l’intérêt particulier et celui général, entre l’homme et le citoyen. En effet, même si le souverain, en sa qualité de juge dans ce conflit se penchera logiquement du coté du public qui est sa raison d’être, il n’en demeure pas moins qu’il ne peut pas ne pas prendre en charge les exigences du privé qui n’hésiteraient pas à se manifester dynamiquement à chaque fois que l’occasion se présentera. Jaume aurait donc raison d’affirmer que « Le coeur de la question, afin de ne pas s’en tenir aux généralités, sera de savoir comment le service de l’intérêt public, assuré par Léviathan, appuie en même temps la promotion de l’intérêt privé »44.La réponse à cette question se trouve incontestablement dans la nécessité de corrélation entre le privé et le public, entre l’homme et le citoyen.
Reconnaître en l’homme l’existence de droits inaliénables, c’est en même temps admettre qu’il a un droit de résistance. Ce droit de résistance, défini comme la possibilité qu’a l’homme d’user des moyens qui sont à sa disposition pour défendre sa propre vie, confirme une fois de plus que l’autorité politique n’est pas illimité, ce qui montre que l’homme n’a pas tout transférée, qu’il garde en lui une parcelle de pouvoir. Dès lors, l’on est en droit de se demander si Hobbes n’est pas en train de remuer une ancienne plaie dont le seul remède est de tout faire pour éviter une éventuelle confrontation du souverain d’avec qui que ce soit disposant ou voulant disposer d’un pouvoir déterminé. On se rappelle que la guerre civile anglaise de 1640 a pris forme à partir de la volonté du Parlement à se constituer en pouvoir opposé à celui du roi. En outre, avec la reconnaissance du droit naturel et avec lui, le droit de résistance, Hobbes n’est-il pas en train de réduire la puissance de l’Etat ? Si tel est le cas, sur quelle base repose un tel procède ?
Le pouvoir du souverain, au sens ou le chapitre 20 du Léviathan l’énonce, est sans conteste un pouvoir d’une seule personne qui n’a aucune réserve dans les rapports qu’il entretient avec les sujets. Mais il s’agit là d’un effet purement psychologique ou mental qui ne se vérifie pas dans les faits. En réalité si dans le principe l’Etat hobbien est absolu, il ne l’est pas totalement dans la réalité. Car en dépit de ce pouvoir absolu, Hobbes envisage des modalités de résistance face au souverain. « si le souverain ordonne à un homme, même justement condamné, de se tuer, de se blesser, ou de se mutiler, ou de ne pas résister à ceux qui l’attaquent, ou de s’abstenir d’user de nourriture, d’air, de médicaments, ou de quelque autre chose sans laquelle il ne peut vivre, cet homme a cependant la liberté de désobéir » 45.
En d’autres termes, le peuple étant l’auteur premier de ce qu’ordonne le souverain, ce qu’il ordonne n’est pas injuste, néanmoins si le souverain m’ordonne de me tuer, j’ai le droit de lui désobéir pour lui résister, car j’ai le droit de nature de me préserver. Un condamné peut aussi échapper au bourreau, car l’Etat ne peut décider de la vie ou de la mort d’un de ses sujets. De plus, il peut aussi désobéir pour protéger un innocent. Nul n’a la liberté de résister à l’épée de la République mais, les hommes peuvent désobéir pour protéger leur vie, ou s’unir, s’entraider, et se défendre les uns les autres, car ils ont la liberté de protéger leur vie et celle des autres. Ils peuvent notamment pour cela défendre leurs droits en justice. Ils peuvent aussi désobéir par crainte (si on leur demande de tuer quelqu’un, de faire la guerre) car ceci n’est pas désobéissance mais déshonorant. De plus, l’homme a aussi la liberté face au souverain quand celui-ci n’a pas établi de loi sur le sujet concerné. En parlant de l’Etat comme être artificiel à la puissance inégalable et irrésistible, Hobbes veut jouer sur la conscience des hommes. En effet, il cherche à décourager toute tentative visant à introduire dans la société des idées ou des doctrines séditieuses pouvant conduire à l’anéantissement du corps politique. Car si la société venait à se dissoudre, chaque homme entrerait sans hésiter en possession de son droit naturel d’autoconservation et la guerre de chacun contre chacun reprendrait de plus bel. De ce point de vue, l’absolutisme aurait alors été nécessaire en ce qu’il permet non seulement de maintenir en vie la société civile mais aussi et surtout de veiller à la sécurité et à la tranquillité de l’empire qui sont les raisons pour lesquelles les hommes ont contracté.
Contre Hobbes, Rousseau rend nul tout contrat dépourvu d’un caractère réciproque. Ainsi il entend repenser en vue de réaménager les termes du contrat Hobbien qu’il trouve trop favorables au souverain. Il s’agit pour lui de trouver une nouvelle forme d’association à travers laquelle la personne de chaque contractant, ses biens et surtout sa liberté seront garantis par la collectivité. Ce que le citoyen de Genève veut établir, c’est une souveraineté populaire, c’est-à-dire un régime politique dans lequel le pouvoir sera entre les mains du peuple, donc des hommes qui, à l’entendre parler, sont naturellement bons même si c’est la société qui les a dépravé. Le rôle de l’Etat, selon Rousseau, serait donc d’aménager la société de sorte que l’homme y retrouve ses avantages naturels, parmi lesquels la liberté occupera une place de choix. Par contre, ce qu’il faut retenir dans la théorie absolutiste Hobbienne et qui est déterminant, c’est que le droit naturel de l’individu est certes réduit mais n’est pas totalement nié. La réduction du droit est imposée à l’homme par la loi civile. Cette loi, parce qu’elle est contraignante, s’oppose au droit ou liberté absolue et ce, en vue de limiter les tendances naturelles dynamiquement maintenues en état d’éveil. Cette disposition permet d’assurer une cohabitation paisible entre les membres de la société. Heureusement qu’il y a des auteurs qui ont saisi le libéralisme hobbien. Benjamin Constant, Robert Dérathé, Lucien Jaume, entre autres, ont compris que la rupture du droit naturel est la condition d’expression du droit de résistance avec tout ce qu’il présente comme danger à la stabilité sociale. Sur cette question, Jaume se veut plus explicite : « Certes le souverain limite et contrarie l’individualisme premier, mais ce n’est toujours que pour favoriser la coexistence entre les individualités »47.

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