Le vol et ses multiples facettes

Le vol et ses multiples facettes

« Faulte d’argent, c’est doleur non pareille…Toutesfoys, il avoit soixante et troys manieres d’en trouver tousjours à son besoing, dont la plus honorable et la plus commune estoit par façon de larrecin furtivement faict » 405 . Voler constituait, au Moyen Âge, un des délits considérés comme les plus graves et par conséquent, les plus sévèrement réprimés. Dans une société où la solidarité était basée sur la confiance et sur la parole donnée, le vol allait bien au-delà de la part matérielle emportée. Il constituait une véritable trahison de cette confiance et excluait de fait son auteur de la communauté. Et pourtant, d’une manière générale, et toute population confondue, les vols semblent constituer la majorité des infractions commises en ville et en particulier à Paris406 . Mais cela n’est pas le cas pour les étudiants au vu de nos sources, même si celles-ci ne permettent pas de l’affirmer avec certitude. Dans leur ensemble, elles ne constituent que moins de 15% des délits, chiffre dont la fiabilité peut être mise en cause mais qui correspond cependant à d’autres statistiques fournies par d’autres historiens dans des villes universitaires407 . Même si nous pouvons penser que la grande sévérité de la répression était relativement dissuasive, il existe d’autres raisons à sa sous-représentation dans le monde universitaire, dont la principale se trouve sans doute dans les privilèges dont ils bénéficiaient, et en particulier, les plus pauvres d’entre eux. Car si seuls les petits larcins, et encore ne faisant pas l’objet d’une récidive, étaient punis d’une simple amende, la plupart des voleurs pouvait se voir fustigé, amputé, et bien souvent pendu408. Certes, pour les étudiants, la peine de mort et l’amputation étaient exclues en raison de leur statut de clercs, mais il n’en demeure pas moins qu’ils pouvaient se retrouver, et pour longtemps, dans la prison de l’évêque ou dans la fosse de son château. Malgré tout, plusieurs d’entre eux s’adonnèrent à cette forme de délinquance, certains – les plus démunis – pour se nourrir ou se vêtir, mais d’autres simplement par jeu ou par défi. Quelques-uns enfin, embrassèrent pour un temps, des carrières assimilables au grand banditisme : les cambrioleurs et les « robeurs »

Voler pour subsister ou voler pour s’amuser

« En l’université de Paris il y avait deux jeunes écoliers qui étaient bien fripons, et faisaient toujours quelques chatonnies ; ils prenaient livres, ceintures, gants,… » 409 Les vergers et les vignobles étaient nombreux dans les villes. A Paris, des espaces importants leur étaient réservés, en particulier sur la rive gauche. Les écoliers ne se privaient pas d’y aller faire des visites aux périodes où les fruits étaient mûrs. De plus, ils y venaient bien souvent armés, de façon à pouvoir se défendre au cas où ils seraient surpris par le propriétaire, par des voisins ou par les forces de l’ordre. C’est ainsi par exemple que le 24 août 1461, plusieurs d’entre eux étaient en train de cueillir des raisins dans le Clos au Bourgeois, un de ces terrains plantés de vignes qui appartenait à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Ce ne devait pas être la première fois car des sergents de cette maison religieuse les guettaient et, les ayant surpris, tentèrent de les arrêter. Mais les jeunes gens, qui étaient en possession de frondes, se défendirent en jetant des pierres sur les assaillants, et réussirent ainsi à s’enfuir, à l’exception de l’un d’entre eux, Jean Gaultier, un pensionnaire du collège de Versoris, qui fut appréhendé410 . Un autre chapardage du même genre est répertorié en août 1488 à Paris, où deux frères, Jehan et Jacquet Buc, étaient arrêtés et présentés au Châtelet pour avoir grappillé du raisin au pied des murs de la Cité. Ils avaient été surpris avec cinq grappes de vigne qu’ils avaient cueillies, ce qui, précise le registre, « est contre les criz et ordonnances » 411. L’un des deux frères était domicilié au collège de Calvy, ce qui tend à prouver sa pauvreté, même si, en cette fin de XVe siècle, ce type d’institution n’accueillait plus uniquement des écoliers sans ressources. Nous pouvons dès lors penser que ce type de délit, destiné à la nourriture et perpétré ici par des étudiants sans grandes ressources, était dû à la faim. Et lorsque ce n’était pas le cas, il est probable que pour eux, cueillir des fruits qui s’offraient ainsi à eux, était une sorte d’amusement, sans avoir vraiment conscience qu’il s’agissait d’un délit réprimé par la loi, ou bien encore une façon peu scrupuleuse de jouer une bonne farce et de défier l’autorité. D’autres chapardages du même genre ont d’ailleurs été répertoriés dans la plupart des villes universitaires. Ainsi, nous voyons des étudiants piller des poulaillers ou voler les pigeons des bourgeois, comme à Heidelberg en 1396. A Oxford, c’est le braconnage qui semble avoir été l’une des activités favorites des jeunes gens qui fréquentaient la faculté des arts.

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Les cambriolages

« par le moyen des soubzlievemens desdits crampons et crochetemens faictz esdites serrures ledit […] coffre a esté ouvert » 430 Les vols que commis Germain Barrant et que nous avons décrits précédemment auraient pu trouver leur place ici, puisque l’étudiant toulousain pénétrait dans des maisons vides de leurs habitants. Mais il ne semble pas qu’il ait commis de véritables effractions. Nous avons fait le choix de parler maintenant de ceux qui pratiquaient le crochetage de serrures ou qui s’associaient à des professionnels pour effectuer ce travail, dans le but de s’emparer de valeurs. L’un des exemples les mieux connus et les plus célèbres est celui du collège de Navarre dont un coffre fut fracturé et vidé de son contenu par une bande d’individus parmi lesquels se trouvaient deux étudiants dont l’un avait pour nom… François Villon431 . Tout dans cette affaire fut préparé avec soin et les coupables n’auraient sans doute jamais été interpelés si l’un d’eux n’avait eu la langue un peu trop pendue. Nous étions à la Noël 1456 et donc en période de vacances. Les écoliers qui logeaient là habituellement, le personnel et les responsables étaient probablement, pour la plupart, rentrés chez eux pour y célébrer en famille, cette fête traditionnelle. Les deux étudiants qui participèrent à l’opération n’étaient pas eux-mêmes collégiens du célèbre établissement parisien fondé un siècle et demi plus tôt par l’épouse de Philippe le Bel, mais ils possédaient beaucoup d’informations à son sujet par l’intermédiaire de camarades qui, eux, y étaient pensionnaires. Ils savaient, en particulier que personne n’y demeurait à ce moment de l’année, qu’on pouvait y entrer assez facilement sans être vu, et aussi à quel endroit se trouvait le coffre. Ces deux là s’appelaient François Villon et Guy Tabarie. Leurs complices étaient Petit-Jean, un expert en « crochèterie », Colin de Cayeux, dont le père était serrurier, art utile pour ouvrir un coffre, et un cinquième individu, un moine picard du nom de Dom Nicolas.

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