Le virus de la paralysie chronique, ou CBPV

Le virus de la paralysie chronique, ou CBPV

Le CBPV est différent des autres virus des abeilles, par son classement, sa forme, sa taille, ses symptômes et sa répartition. Ses signes cliniques sont connus depuis l’antiquité, avec notamment des abeilles noires et sans poils décrites comme des « voleuses » venues piller la ruche par Aristote (Ribière et al., 2010). Le CBPV est bien connu des apiculteurs sous le nom de maladie noire, ou de mal de mai. Une partie des symptômes de la paralysie chronique se traduit par des abeilles ayant perdu leurs poils, ce qui leur donne un aspect très différent, et/ou ayant pris une couleur noire et un aspect brillant (Figure 8 B). Cependant les symptômes les plus caractéristiques sont des tremblements, des abeilles incapables de voler, des paralysies, et enfin une accumulation d’abeilles mortes en grande quantité devant les ruches. Ce dernier symptôme peut être confondu avec les symptômes induits par des expositions aigues aux pesticides (Johansen, 1977) (Figure 8 A). Le CBPV est assez prévalent, notamment en France, mais ne présente qu’un faible taux de maladie déclarée (symptômes visibles communiqués par les apiculteurs) (2% de signes cliniques, EPILOBEE entre 2012 et 2014 (Laurent et al., 2015)). Ce pourcentage restant plus élevé que dans tous les autres pays suivis dans le programme. En France une étude réalisée sur 360 colonies (Tentcheva et al., 2004) a mis en évidence que 28% des ruchers étaient infectés par le CBPV, mais peu de colonies infectées (moins de 4% des colonies échantillonnées en été). En Autriche, seulement 10% des ruchers testés étaient infectés (Berényi et al., 2006) et aucun en Hongrie (Forgách et al., 2008). Le CBPV n’appartient pas à l’ordre des Picornavirales contrairement à la majorité des virus qui infectent l’abeille domestique. Le CBPV n’est pas encore classifié, mais il a pour l’instant été rapproché des familles Nodaviridae (une famille de virus à ARN positif simple brin généralement segmentés en 2 segments, de capside icosaédrique, non enveloppés, infectant des invertébrés et des vertébrés, notamment des poissons) et Tombusviridae (une famille de virus à ARN positif simple brin en général non segmentés, de capside icosaédrique, non enveloppés, infectants principalement des plantes) (ICTV, https://talk.ictvonline.org, consulté le 07/08/2017) (Figure 11 B). Il est parfois identifié comme un Parachrovirus (pour paralysie chronique, classification créée pour le CBPV) (Blanchard et al., 2007).

Structure, classification

Le CBPV possède une capside anisométrique (ne présentant pas de géométrie particulière) de 20 à 60 nm. Son génome est composé de deux segments d’ARN positif, simple brin (figure 11 A). Le segment 1, de 3674 bases, possède 3 cadres ouverts de lecture (ORF) chevauchants ; le segment 2, de 2305 bases, présente 4 ORF chevauchants. Ces segments ne possèdent pas de queue poly-A en 3’ mais sont coiffés à leur extrémité 5’. Il est prédit que l’ORF3 du segment 1 code pour l’ARN polymérase ARN dépendante (RdRp), tandis que les ORF2 et 3 du brin 2 pourraient encoder des protéines structurales (Blanchard et al., 2012; Olivier et al., 2008; Ribière et al., 2010, 2007; Youssef et al., 2015). Le CBPV démontre un certain neurotropisme, ce qui est cohérent avec les symptômes de paralysie qu’il cause (Chevin et al., 2012; Olivier et al., 2008; Ribière et al., 2007). Les mécanismes d’action spécifiques du CBPV sur les cellules ne sont pas encore connus.

Ecologie

Il n’existe aucune évidence de transmission du CBPV par l’acarien Varroa destructor (Celle et al., 2008). Les infections inapparentes (covert), identifiées comme étant nombreuses pour ce virus, peuvent cependant évoluer en infections apparentes (overt), avec signes cliniques visibles, après que les abeilles de ruches populeuses ont été confinées pour de longues périodes de temps, en général en sortie d’hivernage et dû à un temps médiocre au printemps (Ribière et al., 2010). Ce virus est en effet capable de se transmettre de façon horizontale, outre par trophallaxie ou transmission oro-fécale, seulement par contact, en particulier lorsque les abeilles se frottent les unes contre les autres, abrasant leur cuticule (Ribière et al., 2010). La plupart des ruches positives pour le CBPV mais sans signes cliniques possèdent des taux de virus par abeille détectables, souvent quantifiables mais relativement bas, aux  alentours de 104 copies de génome par abeille(la limite de quantification pour le CBPV se situant à 103.9 copies de génome par abeille (Blanchard et al., 2007)). Ce taux est plus élevé chez les individus développant des symptômes, où il dépasse généralement 108 copies de génome de CBPV par abeille (Blanchard et al., 2012; Chevin et al., 2012). L’intérêt porté dans cette thèse au CBPV est lié à plusieurs rapports internes à l’ANSES sur l’observation d’abeilles présentant certains symptômes coïncidant avec ceux du CBPV, comme des abeilles tremblantes et incapables de voler, et/ou des tas d’abeilles mortes, devant des ruches qui auraient été exposées, ou butinant près de champs de colza traités au Cruiser ®, un pesticide contenant du thiaméthoxam (ANSES, 2015).

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Les réponses de l’abeille aux pathogènes 

D’autres pathogènes que les virus affectent les abeilles. Cependant à quelques exceptions près, les réponses immunitaires individuelles ou sociales que déploient les abeilles ne sont pas spécifiques et s’appliquent à plusieurs, et peut-être à tous les pathogènes susceptibles de les infecter (Doublet et al., 2017; Evans et al., 2006; Evans and Spivak, 2010). i) Immunité sociale La vie en colonies de plusieurs milliers d’individus réunis en un seul endroit peut présenter des avantages comme des inconvénients. En effet, la colonie, avec sa relative homéostasie, notamment sa température relativement stable autour du couvain (environ 34°C)(Bruneau et al., 2006), une humidité forte et régulée, une concentration de ressources venant de l’extérieur, ainsi que sa forte densité d’individus génétiquement proches (demisœurs), est une cible très attractive pour les parasites et les pathogènes (Evans and Spivak, 2010; Gherman et al., 2014). Cependant, elle offre également, tout spécifiquement pour l’abeille domestique, une grande variété de barrières et comportements sociaux permettant de diminuer, voire d’éliminer ces pathogènes et parasites.  Les ouvrières de la colonie sont capables de développer des interactions comportementales coordonnées telles que le toilettage (ou épouillage) – de l’abeille ellemême, ou le toilettage mutuel entre abeilles, ou certains comportements hygiéniques spécifiques. Les abeilles détectent et éliminent, par éjection de la ruche ou cannibalisme, le couvain infesté par des parasites (type Varroa) et/ou infecté par des pathogènes (virus ou bactéries), et les abeilles malades ou mortes (Evans et al., 2006; Evans and Spivak, 2010). Les abeilles peuvent aussi réguler ou modifier l’environnement interne de leur colonie de plusieurs façons (Evans and Spivak, 2010). L’environnement peut par exemple être modifié par l’apport et l’application de mixtures de résines de plantes appelées propolis, possédant des propriétés antifongiques et antibiotiques. Il a été observé qu’un apport de propolis réduisait l’investissement individuel des abeilles dans leur immunité, notamment en entraînant une baisse des coûts énergétiques pour ces abeilles (Simone et al., 2016). Les abeilles ont également à leur disposition dans leur nourriture (nectar, pollen, miel) des éléments antifongiques et antibiotiques. Elles sont capables de changer d’alimentation pour contrer une infection. Ainsi, des abeilles infectées par Nosema choisiraient préférentiellement du miel de tournesol par rapport à d’autres miels : le miel de tournesol contient significativement plus de molécules antibiotiques, et aurait pour effet de diminuer significativement la quantité de microsporidies comparativement à d’autres miels (Gherman et al., 2014). La consommation de miel (en apportant de l’acide para-coumarique) a également été observée comme un déclencheur de certaines réponses immunitaires, telles que la production de peptides antimicrobiens (Mao et al., 2013). L’essaimage d’une partie de la population peut permettre de diminuer les populations de certains parasites comme le Varroa, et de créer une nouvelle colonie moins parasitée (Kurze et al., 2016). En effet, le Varroa se reproduisant uniquement dans le couvain operculé, le nouvel essaim constitué d’abeilles adultes aura une pression parasitaire réduite. De plus, la période d’installation du nouvel essaim, sans couvain, va encore ralentir l’infestation (Fries et al., 2003; Kurze et al., 2016). L’essaimage pourrait ainsi permettre de freiner également les virus dont le Varroa est un vecteur (particulièrement le DWV et les virus du complexe AKI)(Kurze et al., 2016). Il existe également sur le même principe, particulièrement observé chez les abeilles africanisées, la stratégie de désertion (« absconding ») à des conditions trop défavorables. Toute la colonie quitte subitement la ruche en abandonnant le couvain et les réserves pour créer un nouveau nid (Kurze et al., 2016; Winston, 1987).

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