La production délibérée du vin par les hommes est sans doute liée à la domestication de la vigne eurasienne dont la forme sauvage (Vitis vinifera sylvestris) s’étend de nos jours sur 6000 Km d’Est en Ouest, de l’Asie centrale en Espagne, et sur 1300 Km du Nord au Sud, de la Crimée en Afrique nord ouest. Cette forme sauvage qui est à l’origine des cépages utilisés actuellement pour produire la quasi-totalité des vins mondiaux est encore retrouvée le long du bassin méditerranéen, de l’Espagne jusqu’au Liban, à l’intérieur des terres le long du Danube et du Rhin, autour de la mer noire et de la mer Caspienne, aux sources du Tigre et de l’Euphrate et jusqu’en Asie Centrale (McGovern, 2003 ; Figure 1).
Beaucoup de légendes se plaisent à raconter l’apparition du vin mais, aussi séduisantes qu’elles soient, elles n’en sont pas plus véridiques et des hypothèses plus rationnelles ont essayé d’expliquer l’apparition de cette boisson. Une ‘‘hypothèse paléolithique’’ suppose que les hommes ont commencé à mimer à cette époque la transformation fortuite du raisin en vin qu’ils observaient dans la nature, mais elle manque encore à ce jour de preuves tangibles. Un consensus tiré des preuves archéologiques et historiques découvertes jusqu’à présent suppose que le vin est apparu durant la période néolithique (8500–4000 av. J.-C.) dans les parties nordiques du proche orient. De là on croit qu’il s’est graduellement répandu aux régions voisines comme l’Egypte ou la Mésopotamie inférieure (~ 3500–3000 av. J. C.) pour arriver en Crête (~2200 av. J.-C.) puis Rome et ses colonies et emprunter les cours des grandes rivières pour s’installer en Europe et atteindre à partir de là le ‘‘nouveau monde’’ (McGovern, 2003). C’est probablement l’association de plusieurs facteurs durant la période néolithique qui a permis à des aliments comme le vin, le pain ou la bière, ainsi qu’une gamme de viandes et de céréales d’émerger. En effet cette période se caractérise par la sédentarisation des hommes, la conséquente domestication des plantes et le développement d’une cuisine néolithique, ce qui a rendu possibles la transformation des aliments ainsi que leur stockage (Cavalieri et al., 2003) .
L’une des premières preuves d’une production vinicole sophistiquée et maîtrisée remonte à 5400-5000 av. J.-C. : des jarres abritant des résidus organiques ont été trouvées sur le site archéologique de Hajji Firuz Tepe dans les montagnes de Zagros en Iran. L’analyse des résidus tapissant les jarres a mis en évidence la présence d’une combinaison d’acide tartrique, de tartrate de calcium et de résine de thérébinte. Sachant que le thérébinte produisait sa résine en cette région en même temps que la vigne sauvage produisait ses raisins, que la résine de thérébinte était utilisée pour éviter la détérioration du vin et que l’acide tartrique ne se trouve en grande quantité que dans les grappes, il est clair que les jarres contenaient un produit issu de la vigne, fort probablement du vin. Il semble qu’à cette époque la production de vin était déjà maîtrisée et les six jarres d’une capacité de près de 9 litres trouvées dans ce qui ressemblait à une cuisine, étaient apparemment scellées et recouvertes par des couvercles en argile pour éviter leur transformation en vinaigre (McGovern et al., 1996).
Le vin au Liban depuis l’antiquité
Le Liban qui se trouve dans une région qui a fabriqué du vin depuis la préhistoire, ne semble pas avoir fait exception au développement de l’activité vinicole depuis les anciens temps et il demeure encore aujourd’hui un pays producteur de vin. Bien qu’on ne dispose pas de preuves à l’appui, on croit que le vin était produit au Liban et qu’il en était exporté aussi loin que 3000 av. J.-C. et qu’il pourrait même remonter à près de 7000 ans av. J.-C. Des hypothèses parlent d’une introduction en France par les croisés de variétés de raisin phéniciennes qui ont donné après plusieurs croisements certaines variétés actuellement connues (Karam, 2005). Mais un travail archéologique et historique reste à faire pour démêler le faux du vrai. Quoi qu’il en soit et que la production vinicole libanaise soit aussi ancienne qu’on le suppose ou pas, il est néanmoins sûr qu’elle était déjà bien établie vers la seconde moitié du 8 ème siècle av. J.-C. En effet des recherches archéologiques maritimes ont permis de repérer dans la méditerranée au large d’Ashkelon (à l’ouest d’Israël) les plus anciennes épaves de bateaux trouvées en mer. Il s’est avéré que les deux bateaux découverts, baptisés Tanit et Elissa, étaient phéniciens et qu’ils étaient partis durant la seconde moitié du 8ème siècle av. J.-C. du port de la cité de Tyr chargés d’amphores remplies de vin en destination de Carthage ou d’Egypte. Les amphores d’une capacité individuelle de ~18 litres étaient destinées au transport maritime et elles étaient fabriquées, ainsi que d’autres ustensiles trouvés sur les épaves, dans une cité maritime phénicienne, fort probablement Tyr qui abritait le plus grand port du second âge du fer. Ces amphores abritaient des résidus d’acide tartrique indiquant qu’elles étaient initialement remplies de vin, et elles étaient scellées avec de la résine de pin pour prévenir la détérioration du vin et les fuites pouvant survenir durant le transport maritime. La découverte de décanteurs de vin renforce l’idée que les bateaux transportaient cette boisson (Ballard et al., 2002). Les deux bateaux d’une charge individuelle dépassant les 10 tonnes ainsi que des textes anciens comme ceux d’Ezechiel, témoignent d’un riche échange commercial basé à Tyr. Cet échange portait notamment sur des vins importés vers Tyr pour y être décantés puis exportés vers diverses destinations. Ces vins provenaient d’Helbon (actuellement en Syrie) connue pour ses bons vins, ou encore d’Izalla (près de Mardine en Anatolie) (Ezechiel, 27 : 18 ; Ballard et al., 2002). Les vins du Liban étaient eux aussi réputés et on peut y trouver référence dans des textes bibliques comme ceux du prophète Osée datant du 8ème siècle av. J.-C. qui promet à Israël de fleurir comme la vigne et d’avoir la renommée du vin du Liban (Osée, 14 : 8) ou encore dans des textes plus anciens de poésie canaanite trouvés à Ugarit (actuelle Ras Shamra en Syrie) et écrits vers 1300-1200 av. J.-C. L’un de ces textes décrit les ‘‘Rapiuma’’ ou ‘‘Rephaïm’’, objets de culte des Cananéens, buvant le vin raffiné, doux et abondant du Liban issu d’un moût nourri par le dieu El (Parker, 1997). Le commerce du vin qui constituait l’une des marchandises les plus exportées des phéniciens leur était avantageux puisqu’il leur assurait un échange de denrées nécessaires à leur vie et dont la culture nécessitait de larges espaces qu’ils n’avaient pas à disposition (Karam, 2005). L’exportation se faisait vers l’Egypte, où le raisin de cuve était difficilement cultivable, Carthage, où la viticulture s’est développée après l’arrivée des colonisateurs phéniciens, ou encore en destination de la Grèce, où les vins sont longtemps restés d’une qualité moindre que celle des vins phéniciens (Ballard et al., 2002; http://phoenicia.org/). De nos jours, et bien que la consommation du vin au Liban ne soit pas très développée, l’activité vinicole se perpétue et le domaine vinicole est en croissance. L’association favorable de facteurs principaux influençant la production du vin, comme le climat, le sol ou la variété de raisin (Galet, 2000) est responsable de la perduration de l’activité vinicole et favorise la production de vins qui percent de plus en plus sur les marchés mondiaux.
Diversité des situations géographiques et conditions favorables à la viticulture
Le climat
Le territoire libanais s’étend sur environ 210 Km du Nord au Sud, et sur 25 à 85 Km d’Est en Ouest. Son climat est globalement méditerranéen caractérisé par une saison sèche affectant le pays entre la fin du mois d’avril et le début du mois d’octobre et une concentration des pluies durant la saison froide (Galet, 2000 ; ENITA, 2003). Ce climat sied à la culture de la vigne qui y prospère très bien et on trouve d’ailleurs la majorité des vignobles mondiaux dans des pays à climat méditerranéen (Galet, 2000).
Malgré une superficie réduite de 10452 Km2 , le Liban se caractérise par une topographie contrastée: d’étroites plaines côtières s’étirent en bordure de la Méditerranée et s’élargissent aux extrémités Nord et Sud. L’intérieur du pays est dominé par deux massifs calcaires encadrant la plaine d’effondrement de la Békaa: la chaîne du Mont-Liban au centre et l’Anti-Liban constituant la frontière avec la Syrie à l’Est. Globalement on peut distinguer quatre zones géographiques parallèles à la bordure de la méditerranée mais la diversité topographique dont elles sont dotées induit une diversité dans les situations climatiques rencontrées ce qui fait que ces zones abritent divers microclimats .
Les plaines côtières sont de quelques Km de largeur et se caractérisent par un niveau de précipitations de l’ordre de 800 mm. La proximité de la mer qui absorbe la chaleur estivale et libère de la chaleur en hiver, et la présence de la chaîne du Mont Liban qui protège des influences continentales venant de l’Est, font que le climat de ces plaines côtières est humide, son régime thermique modéré et peu contrasté, ses hivers moins froids et ses étés moins chauds que ceux des régions sous influence continentale (Riachy, 1998 ; Galet, 2000 ; ENITA, 2003).
La montagne du Mont-Liban d’une largeur variant de 20 à 30 Km, commence au sud par des plateaux de faible altitude de 300 à 940m, et s’étend par des pentes abruptes pour atteindre des sommets plus adoucis qui culminent à 3083 m. L’effet de barrière qu’elle constitue aux influences maritimes ouest qui diminuent plus on va vers l’intérieur et on monte en altitude, est par conséquent moins prononcé au Sud (Riachy, 1998). Alors que les températures diminuent avec l’altitude, le niveau de précipitations augmente et atteint les 1300 mm sur la face occidentale mais il est moins important sur la face orientale. Ces pluies sont des pluies de relief déclenchées ou intensifiées par l’ascendance forcée des vents d’ouest et du sud ouest sur les pentes du Mont-Liban exposées à la mer (MPT, 1977).
La plaine intérieure de la Békaa est d’une largeur de 10 à 15 Km et l’altitude y varie entre 600 et 1100 m. Les étés y sont plus chauds et plus secs, les hivers plus froids et le régime thermique plus contrasté que les dans zones côtières, l’écart annuel entre le mois le plus chaud et le plus froid pouvant atteindre les 20°C (MPT, 1977). On peut subdiviser cette plaine en deux parties :
– La vallée de l’Oronte où le niveau de précipitations est faible et varie entre 200 et 400 mm alors que le vent y est fort et les températures élevées l’été. Le climat y est semidésertique à tendance continentale.
– Bekaa Centrale et Sud où le niveau de précipitation est plus élevé (500-800 mm) que dans la vallée de l’Oronte et l’air plutôt sec dans cette plaine très fertile.
La montagne de l’Anti-Liban culmine à 2800 m. Le niveau de précipitations y est plus faible qu’au Mont-Liban. Le climat y est à tendance continentale.
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