Etude de cas : Les espaces urbains
Dans le but de mettre en exergue d’autres dynamiques spatiales, nous avons réalisé une carte des 75 ans et plus, qui aurait pu comporter une structure spatiale différente de celle des 60 ans et plus. Pourtant, elle est relativement semblable à celle des 60 ans et plus ce qui nous laisse penser que les personnes âgées ont très peu de mobilité au Maroc. Nous retrouvons les mêmes structures spatiales à deux âges différents. Nous pouvons également dire que le phénomène de vieillissement est bien ancré car ce sont les mêmes espaces qui polarisent une part importante de 60 ans et plus et de 75 ans et plus. A noter que les recensements sont soumis à un aléa, conséquence de l’analphabétisme principalement : des erreurs sont souvent commises dans les déclarations d’âges élevés. Cela est principalement dû à une méconnaissance de la date de naissance exacte, à l’analphabétisme et à l’attraction des chiffres ronds. Le vieillissement serait alors faussé par un paramètre extérieur, qui le relie intimement à l’alphabétisation.
Mais alors que nous avons principalement étudié les dynamiques rurales jusqu’à présent, nous allons ici nous concentrer sur les espaces urbains pour analyser le vieillissement sur un territoire de haute densité, de forte population et aux caractéristiques urbaines.
Les infrastructures sont souvent concentrées en ville, ce qui en fait des espaces privilégiés pour accéder à la santé, l’éducation, etc.
Par ailleurs, les données du recensement nous renseignent sur ces avantages.
L’analphabétisme est, par exemple, moindre en ville (41%) qu’à la campagne (60%). La santé est également avantagée. En conséquence, l’espérance de vie est plus élevée dans les espaces urbains (71,2 ans), que dans les espaces ruraux (66,5 ans). Par ailleurs, l’information circule mieux dans un espace urbain. Les phénomènes de diffusion sont donc favorisés par la proximité physique des individus. Toutes les conditions sont réunies pour que les espaces urbains atteignent un vieillissement important d’ici quelques années, alors que la transition démographique y arrive à son terme avec une fécondité de 2,1 enfants par femme. En revanche, dans les espaces ruraux, la fécondité s’élève toujours à 3,1 enfants par femme en 2004. En effectif, les 60 ans et plus sont plus nombreux dans les espaces urbains que dans les espaces ruraux. Cependant, en pourcentage, c’est en milieu rural que l’on retrouve la part la plus importante de personnes âgées. Cela montre la nécessité de rester attentif aux pourcentages, lorsque les autres classes d’âge sont si importantes qu’elles minimisent la part de personnes âgées. (Sajoux 2010)
Tous ces indices démographiques font des espaces urbains un moteur pour la transition démographique du Maroc tout entier. Ils voient l’émergence de nombreux phénomènes. C’est pour cela qu’il faut les prendre en compte dans l’étude du vieillissement démographique.
Le découpage administratif dont nous disposons sépare en quartiers les plus grandes villes.
C’est le cas de Casablanca et Rabat sur lesquelles nous menons une étude de cas. La Carte 15 de l’Atlas Cartographique présente la part des 60 ans et plus dans ces deux villes. On y retrouve un centre ancien très vieillissant. Le phénomène diminue en allant vers la périphérie.
Etudes sociologiques sur le vieillissement
Alors que « le Maroc est souvent présenté comme un pays « jeune » dans la mesure où près d’un habitant sur trois a moins de 15 ans. », d’ici 2050, un marocain sur 4 aura plus de 60 ans. (Sajoux., 2010., p 1) Dans la mesure où les personnes âgées vont augmenter, les prestations sociales et coutumes autours de la vieillesse seront amenées à évoluer elles aussi. Dans ce contexte, les chercheurs en sociologie nous éclairent sur les changements qui risquent de s’opérer dans des structures sociales, déjà instables, et dans les pratiques et mœurs des communautés. Nous nous concentrerons d’abord sur les origines du système social Marocain actuel. Apres un état des lieux de la protection sociale, nous essayerons de comprendre les changements qu’annonce le vieillissement prochain.
Conditions préalables à la mise en place d’un système de retraites performant
Dans les années 90, la banque mondiale et le fond monétaire international imposent des ajustements structurels aux pays en difficulté dans le but de libéraliser leur économie.
En méditerranée, ces ajustements structurels ont été causés par la baisse des taux de croissance économique et la stagnation à un haut niveau des fécondités. L’apparition de déficits dans les budgets des états est synonyme de réformes du système social. (Cogneau., 1995)
Dans les pays d’émigration, les financements sociaux sont principalement issus des retombées migratoires. Dans d’autres pays, ils sont principalement dus au pétrole (économie rentière), de l’aide extérieure, du tourisme, mais dans tous les cas peu de la fiscalité intérieure.
Ces sources de financements sont fragiles car ils sont sensibles aux aléas économiques mondiaux tels que les chocs pétroliers, crises économiques, fermeture des frontières…
Dans la plupart des domaines du développement, le Maroc est moins avancés que les autres pays du Maghreb et du Moyen Orient (Destremeau., 2004). La prise en charge de la santé par l’état est relativement faible. C’est également le seul pays dans lequel l’alphabétisation n’est pas proche de 100%, avec un grande part de femmes analphabètes.
Protection sociale et retraites au Maroc
Le système de retraite Marocain a des avantages et des inconvénients. Il est plutôt avantageux pour ceux qui en profitent, mais ne couvre qu’une très petite part de la population. Il s’agit d’un système de retraite bismarckien, à l’image du système Français. Les retraites sont financées par les salariés eux-mêmes de façon horizontale. Mais seulement 26% de la population cotise au Maroc, et 20% sont couverts par un système de retraite. (Dupuis., 2009)
Cela est la conséquence de la nature informelle de l’emploi, très souvent dans les campagnes avec une agriculture de subsistance quasi générale, mais aussi dans les villes avec notamment l’artisanat et le commerce informel. En réalité, la couverture par un système de retraite s’adresse surtout aux travailleurs formels et fonctionnaires. Les autres sont dans l’impossibilité d’arrêter de travailler, ou doivent faire appel à d’autres formes informelles de solidarité. Subsistent de nombreuses inégalités de couverture par le système de retraites. Les femmes, en particulier, sont très peu couvertes, alors que ce sont elles qui sont les plus nombreuses aux âges élevés. C’est la conséquence de leur moindre participation à la vie sociale et économique, ainsi que d’une discrimination important à l’embauche. (Sajoux., 2010)
La couverture sociale au Maroc est en pleine évolution. L’état a essayé de la développer ces dernières années, mais a été freiné par les difficultés économiques, les problèmes du secteur informel, et le vieillissement imminent de la population. Le but est d’intégrer une plus large part de la population ayant droit à la couverture sociale. Pour cela, plusieurs réformes ont été engagées.
Le Maroc possède un secteur agricole très important. La moitié de la population y est employée. Ce secteur représente 20% du PIB national. La croissance limitée de ces dernières années a freiné le processus de développement des systèmes contributifs. Mais « Le gouvernement continue à adopter des réformes et à poursuivre la libéralisation économique afin de stimuler la croissance et la création d’emplois. » (Amrani., 2010., p6)
La croissance reprend dans le pays en 2010, avec le tourisme, les importants transferts de fonds des migrants et le développement de l’Offshoring pour palier au chômage, particulièrement chez les jeunes.
Au Maroc on compte plusieurs caisses d’allocations qui sont venues se juxtaposer au fur et a mesure de l’extension de la couverture de la population. Aujourd’hui, on compte quatre caisses de prévoyance qui se concentrent chacune sur un secteur d’activité.
Parmi les pays du Maghreb, le Maroc est le seul qui n’a pas étendu sa couverture sociale aux étudiants et aux travailleurs du secteur informel. Les travailleurs non salariés et les chômeurs ne disposent non plus d’aucune couverture sociale malgré le fait que ces populations représentent une grande part de la population totale.
Pour ce qui est de la couverture sociale, on observe également de grandes différences entre urbain (22,4%) et rural (3,2%). La différence homme/femme est également marquée. Le système social marocain supporte donc de nombreuses inégalités qui sont la conséquence d’un inégal développement. (Sajoux., 2010)
Les conséquences du vieillissement sur le système social
Cohabitation intergénérationnelle
Les structures domestiques et familiales des pays du sud sont très diverses, même au sein d’un même pays. Cela a des conséquences sur les conditions de vie des personnes âgées. Pour palier au manque de couverture par le système de retraites, l’organisation sociale fait appel à des éléments culturels anciens et pérennes. La cohabitation intergénérationnelle est une réponse à la dépendance forcée des aînés à une source de revenu extérieure. (Yaakoubd., 2010)
Cependant, « La famille marocaine réagit […] aux nombreuses transformations de la société : sphères économique et familiale de moins en moins liées, urbanisation, exode rural, hausse de la scolarisation, extension du salariat des femmes en milieu urbain, mobilité sociale, individuation, affaiblissement du contrôle social, nouveaux moyens de communication, etc.» (M. SAJOUX., 2010, p12). Cela a des conséquences sur les solidarités familiales. De plus, la fécondité déclinant, il a de moins en moins d’enfants pour prendre en charge les ainés. La situation économique de la famille devient donc plus instable. D’autant que les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses à vivre âgées et en bonne santé. Initialement, les enfants accueillent les parents dans leur foyer pour palier au manque financier alors que leurs aînés ne peuvent plus travailler. Les nouvelles normes sociales liées à l’occidentalisation des pratiques, et la baisse du nombre d’enfants par femme permettent de moins en moins de solidarité familiale. Les personnes âgées vivant seules sont de plus en plus courantes, ce qui est également un facteur de pauvreté. Pour éviter ces situations d’urgence, les enfants conservent souvent une certaine proximité géographique avec leurs parents, même si ils ne partagent pas le même foyer. Cela permet un soutient économique et moral.
Cependant, contrairement à l’Europe, les politiques publiques n’encouragent pas l’autonomisation des personnes âgées avec la mise en place de services à domicile. Les solidarités intergénérationnelles, bien que déclinantes, devraient résister au changement social qui s’opère. (Soudi., 2010)
Le rapport de dépendance
Nous allons ici essayer de comprendre les rapports entre les trois classes d’âge principales : les 0-15 ans, les 15-60 ans et 60 ans et plus. Les moins de 15 ans représentent les jeunes, qui ne sont pas encore entrés dans l’âge actif. Cependant, ils sont les futurs actifs. En l’absence de migrations massives, nous pouvons dire qu’ils donnent un aperçu du futur poids des actifs.
Les plus de 65 ans, sont eux aussi à la charge des actifs, soit indirectement avec le paiement des retraites, soit directement avec la cohabitation intergénérationnelle.
En 2000, JF. Ghekiere propose une liste d’indicateurs à utiliser pour analyser le vieillissement et met en garde contre les effets indésirables d’autres indicateurs. Par exemple, le calcul de l’âge moyen dans la population totale est très sensible aux valeurs extrêmes. Les âges élevés tirent beaucoup vers le haut cette moyenne alors que les jeunes tirent moins vers le bas du fait de leur âge faible.
En outre, il propose de calculer un indice de vieillesse, appelé aussi rapport entre générations, pour comparer le nombre de personnes âgées en fonction du nombre de jeunes. Nous l’avons calculé a partir du nombre de personnes de 60 ans et plus par rapport au nombre de moins de 15 ans par commune. Un indice autour de 100 indique que les 60 ans et plus et les moins de 15 ans sont présents selon à peu près les mêmes proportions sur le territoire d’étude. En revanche, plus l’indice est faible plus le rapport est favorable aux jeunes, plus il est élevé plus il est favorable aux personnes âgées.
Dans un second temps, nous avons calculé le taux de dépendance des aînés. Il est calculé à partir du nombre de personnes âgées par rapport au nombre de 15-60 ans. Lorsque le taux se rapproche de 100, les personnes âgées et les actifs représentent le même poids dans la population totale. Les fluctuations de cet indice nous indiquent la prévalence plus ou moins forte d’une classe d’âge sur une autre.
Nous avons cartographié les deux indices (Atlas Cartographique Cartes 16 et 17).
Sur ces deux cartes, on observe les mêmes phénomènes que précédemment : l’émigration dans l’arrière pays d’Agadir, l’immigration de militaires dans le Sahara Occidental, le fort taux d’actifs dans les espaces urbains et péri urbains. En revanche, on ne voit pas ressortir l’Atlas, ni dans une carte, ni dans l’autre.
Ces deux cartes, même si elles ne représentent pas le même phénomène, nous permettent de comprendre l’évolution de la dépendance des personnes âgées par rapport aux actifs. Les jeunes représentent, en effet, la génération suivante d’actifs, en l’absence de migrations massives. En ayant conscience que la part des personnes âgées aura évolué d’ici la génération suivante, que les phénomènes observables actuellement sont susceptibles de changer, et que les classes d’âge « jeunes » et « actifs » ne couvrent pas la même amplitude d’âges, nous pouvons néanmoins nous faire une idée de l’évolution de ce phénomène.
Actuellement, la part d’actifs est partout au moins deux fois supérieure à la part de personnes âgées, même dans les espaces les plus vieillis. En revanche, la carte suivante comprend des taux bien plus importants. Les espaces de forte dépendance, déjà visibles sur la carte précédente, sont ici exacerbées. On peut supposer que le rapport de dépendance sera donc plus fort dans l’avenir. Cela confirme les études sociologiques évoquées plus haut.
L’extension de la couverture de prévoyance sera un défi, alors qu’il y aura de moins en moins d’actifs pour payer les cotisations nécessaires.