« Si l’on demande à quoi sert le trust, on peut répondre : à tout ! Il est plus indispensable que le thé à la vie anglaise et le base-ball à la vie américaine » .
Le trust a toujours été considéré par les praticiens les plus pointus comme l’un des outils les mieux adaptés pour la gestion du patrimoine des particuliers. Cette institution connaît une importance sans borne dans les systèmes de droit anglo saxon, ce qui se reflète particulièrement bien dans la qualification qu’attribue D.J Hayton au trust : « The guardian angel of the anglo-saxon » .
Pour beaucoup le trust ne constitue pas un instrument d’évasion fiscale mais, plutôt, une très bonne alternative à la disparition du secret bancaire tel qu’il a pu exister de par son opacité certaine quant à ses bénéficiaires. En effet, il est assez courant que les bénéficiaires d’un trust ne sachent pas même qu’ils le sont, et quel plus grand secret y at-il qu’un secret dont le sujet lui-même n’a pas connaissance. Le trust se retrouve donc être un très bon outil de planification successorale ou de gestion patrimoniale, bien plus qu’un instrument d’évasion fiscale, contrairement à la vision qu’en rend la loi de finance rectificative pour 2011, qui a durci, au-delà de toute mesure et raison, le traitement fiscal du trust en France.
Le trust trouve, contre toute attente, son origine en France. A l’époque des croisades, il était de commune habitude pour les croisés lorsqu’ils quittaient leur pays, de confier la gestion de leurs biens à des proches ou personnes de confiance. La personne désignée disposait de pouvoirs étendus sur les biens et leur gestion et se trouvait en charge de reverser les bénéfices tirés de ces biens aux familles et proches du croisé. Le trust a ensuite traversé la Manche avec l’aide de Guillaume le Conquérant, s’est alors implanté dans les traditions anglaises et par la suite dans la pratique juridique de tous les pays de droit de Common Law.
En parallèle, au sein des pays de tradition romano-germanique, alors que la notion de trust se perdait, s’est développé le nouveau concept de fiducie qui, bien que proche de son nouveau voisin anglais, présente des différences significatives, tant sur la forme que sur le fond, ne permettant pas d’assimiler les deux outils juridiques.
Le trust se définit généralement comme une relation triangulaire. Schématiquement les trois acteurs sont les suivants, le constituant ou settlor ; l’administrateur ou trustee et enfin le bénéficiaire ou beneficiary. Le premier décide de se dessaisir d’une partie de son patrimoine, biens, droits ou produits, et les confie au second, l’administrateur, qui a pour charge de gérer ces biens selon les dispositions prises par le constituant au sein d’un acte constitutif possiblement amendé, le trust deed. Cette gestion faite par le trustee doit se faire au profit du ou des bénéficiaires à qui, à terme, doivent revenir les biens, droits et autres produits objets du trust. Le trust réside donc dans la volonté d’une seule partie, celle du constituant, qui décide d’abandonner une partie de son patrimoine. Cette particularité représente d’ailleurs une des distinctions fondamentales entre le trust et la fiducie, qui s’est particulièrement opposée à l’identification des deux outils.
Le mécanisme du trust ne trouve aucun équivalent dans les institutions de droit français, la doctrine s’est évertuée à le comparer au contrat, mandat, à la stipulation pour autrui ou encore la fondation de famille, mais chacun de ces instruments diffère significativement du trust. Par exemple le contrat s’oppose au trust dans le même point que la fiducie, en ce qu’il nécessite la rencontre de volonté d’au moins deux personnes. Il en est de même pour la stipulation pour autrui, mais celle-ci se distingue surtout en ce le bénéficiaire de la stipulation est titulaire d’une simple créance chirographaire à l’encontre du stipulant tandis que le bénéficiaire du trust se trouve assuré dans le patrimoine qui lui revient dès lors que celui-ci lui est spécifiquement affecté. Enfin la fondation, qui elle aussi peut mener aux mêmes objectifs qu’un trust, se distingue nettement de celui-ci en ce qu’elle possède une personnalité juridique, c’est une personne morale, tandis que le trust n’est qu’un instrument juridique. La propriété légale des biens mis en trust revient à l’administrateur, tandis que celle des biens mis à disposition de la fondation revient à cette dernière.
La particularité du trust par rapport à notre système de droit civil se trouve dans la conception de la propriété sur laquelle repose le trust. En effet, il est basé sur la superposition de deux propriétés distinctes le legal ownership et le beneficial ou equitable ownership selon les auteurs. Le legal ownership constitue le pouvoir de propriété, qui appartient alors à l’administrateur, maitre de la gestion des biens. Le beneficial ownership, comme son nom l’indique revient aux bénéficiaires qui retirent tout l’intérêt, les produits et autres, de l’objet du trust, il s’agit de la propriété économique. Cette distinction apparaît plus qu’incongrue dans notre système de droit civil ou la théorie de l’unicité du patrimoine a toujours été maîtresse et cela explique pour une part certaine la réticence de notre système de droit à apprivoiser cet étrange instrument qu’est le trust.
L’élaboration par le juge d’un régime fiscal opportun pour les trusts
L’incroyable casse-tête des règles de territorialité
Les règles de territorialité disposées aux articles 885 A CGI pour l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et 750 ter CGI pour les droits de mutation à titre gratuit ont amené de nombreux questionnements face à la situation souvent internationale des trusts. Pour être imposé en France, le trust doit nécessairement présenter un lien avec elle, dès lors cela peut se caractériser de plusieurs manières : un trust constitué par un résident fiscal français, pour le bénéfice d’un résident fiscal français, ou encore un trust comprenant des actifs situés en France (immeubles français ou parts dans des sociétés françaises).
Dans chacune de ces éventualités les impôts sont potentiellement exigibles, mais c’est lors de l’appréciation de cette potentialité que les choses se compliquent. Tout d’abord se pose l’évidente question de la date d’appréciation du critère de rattachement. Les droits de mutation étaient-ils dus si le constituant était résident fiscal français au moment de la constitution du trust ou bien lors de la cessation de celui-ci, lorsque la condition mettant fin au trust était réalisée (bien souvent le décès du constituant) ? Cette question semblait, et semble toujours, devoir être étroitement liée au statut révocable ou irrévocable du trust. En effet, si le trust est révocable, est il vraiment possible de considérer la date de constitution comme celle où les actifs sont transmis alors qu’à tout moment le constituant pourrait reprendre possession des ces biens ? Un trust irrévocable, quant à lui, amènerait plutôt la réflexion inverse.
En cascade se posait alors la question du fait générateur de l’impôt et de sa date. En effet, pour l’ISF par exemple, quel fait pouvait faire considérer que le bien était dans le patrimoine du bénéficiaire ou était encore dans celui du constituant ? Pour les droits de mutation la question était encore plus frappante, quel acte pouvait faire considérer les droits comme exigibles, était-ce la mise en trust d’un bien, la décision de rendre ce trust irrévocable ou la transmission effective des biens ?
Toutes ces questions étaient autant d’obstacles à la détermination de l’application ou non des règles de territorialité françaises. Une fois une date fixée, il était en effet plus aisé de déterminer si l’un des trois critères de rattachement au sol français était réuni. La jurisprudence, appelée à se prononcer sur nombre de ces questions pour les deux impôts concernés, prit un chemin courageux, celui de la distinction selon la nature des trusts.
Le traitement approprié par le juge des droits de mutations à titre gratuit face au trust
Deux situations se sont clairement distinguées au sein de la doctrine puis de la jurisprudence, celle des trusts révocables et celle de trusts irrévocables.
Tel qu’expliqué les trusts révocables laissent la disposition des biens au constituant, ce qui fait de ceux-ci plus des outils de gestion du patrimoine que des instruments destinés à la planification de la succession, il n’est donc jamais sur, jusqu’à la cessation du trust, que l’actif finira bien dans le patrimoine des bénéficiaires du trust. La solution logique qui s’imposerait alors en la matière serait de rendre exigible les droits de mutation uniquement lorsqu’il y a réel transfert des actifs aux bénéficiaires et non lors de la constitution du trust, puisque ce dernier pourrait à tout moment disparaître et aucun transfert de biens ne pourrait avoir lieu.
Cette idée s’imposait sans peine en doctrine et lorsque la jurisprudence se retrouva face à la question elle suivi cette tendance logique. Ainsi dans l’arrêt Zieseniss du 20 février 1996 la Cour de Cassation prit la décision de donner effet à la mutation au moment de la cessation du trust, en l’espèce la mort de son constituant :
« Alors que la Cour d’Appel constate que lors de la constitution du trust, le constituant s’est dépouillé d’un capital pour en recevoir les revenus sa vie durant, tout en chargeant le trustee de le remettre, au jour de sa mort, au bénéficiaire désigné par lui à cette date, et alors que cette opération…a réalisé une donation indirecte qui, ayant reçu effet au moment du décès du donateur par la réunion de tous ses éléments, a donc pris date à ce jour… » .
Par cela la Cour répondait également à une question portant débat au sein de la jurisprudence, à savoir si les trusts à cause de mort se qualifiaient de donation à part entière ou bien de simple disposition testamentaire.
Fiscalement cette décision eut donc d’importantes conséquences, permettant d’imposer au titre des droits de mutation à titre gratuit des trusts constitués par des non résidents fiscaux français à l’époque de la constitution du trust mais qui l’étaient devenus lors de leur mort ou de l’autre évènement provoquant la cessation du trust ou l’avaient été pour au moins six ans dans les dix dernières années. A l’inverse, échappaient à la taxation les constituants, résidents fiscaux français lors de la constitution du trust, mais qui ne l’étaient plus lors de la cessation de ce dernier et ne l’avaient été pendant minimum six des dix dernières années.
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