Le travail des enfants saisi par le droit

La prolifération normative visant à interdire le travail des enfants

La lutte contre le travail des enfants constitue une priorité mondiale. Pléthore de normes, adoptées tant au plan supranational qu’au niveau national, s’efforcent de limiter les possibilités d’employabilité des enfants en édictant un âge minimum d’admission à l’emploi. Toutefois, ces divers textes ont une portée relative pour différents motifs.
L’encadrement juridique du recours à la main-d’œuvre enfantine est ancien et porté par de nombreux Etats. Bien qu’à l’origine, les restrictions du recours au travail des enfants n’aient pas été dictées par des considérations louables, elles sont désormais motivées par l’impératif de protection des enfants. Au plan international, le texte majeur émane de l’Organisation Internationale du Travail. Cette convention adoptée en 1973 prévoit, en son article 2 que les Etats doivent « fixer un âge minimum d’admission à l’emploi ou au travail ». Cependant, l’article tutelle cette faculté car l’âge minimum « ne devra pas être inférieur à l’âge auquel cesse la scolarité obligatoire, ni en tout cas à quinze ans ». L’âge minimum d’accès à l’emploi est d’ailleurs rehaussé à dix-huit ans si le «travail ou l’emploi qui, par sa nature ou les conditions dans lesquelles il s’exerce, est susceptible de compromettre la santé, la sécurité ou la moralité des adolescents». Cette interdiction réapparaît au sein de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant19. L’Union Européenne s’est également saisie de la question.
Enfin, en droit interne, le travail des enfants a été encadré dès le 19è siècle. La première loi a été adoptée le 22 Mars 1841 en réaction au rapport établi par le docteur Villermé. Ce rapport mettait en exergue la dureté des conditions de vie des enfants travailleurs. Ce texte avait posé des seuils d’âge progressifs pour l’accès à l’emploi des enfants occupés dans les manufactures, usines et ateliers.
L’âge minimum d’admission était fixé à huit ans et la durée du travail dépendait de l’âge du jeune travailleur. Désormais, l’article L.4153-1 du nouveau Code du travail dispose que « les mineurs de moins de seize ans ne peuvent être admis ou employés ». Le non-respect de cette prescription est condamné pénalement.
Communément, ces évolutions normatives reflètent la volonté d’œuvrer aux fins de l’éradication du travail des enfants. Elles fixent toutes un âge minimum d’admission à l’emploi qui concorde en réalité avec la fin de l’obligation scolaire.

L’insaisissable intérêt supérieur de l’enfant, notion fonctionnelle27 et essence du principe de la prohibition du travail infantile

La protection de l’intérêt supérieur de l’enfant est l’un des fondements principaux de la prohibition du travail des enfants. Consacré par la CIDE, plusieurs facettes de cet intérêt confortent une telle interdiction. Cependant, la mouvance de ce principe, particulièrement visible en droit de la famille, se répercute avec un écho particulier en droit du travail.
La CIDE a consacré l’intérêt supérieur de l’enfant. Le principe de prohibition du travail des enfants participe à la protection de l’intérêt de l’enfant « non seulement contre les abus de son employeur, mais également contre ceux de ses propres parents ». La prohibition du travail des enfants permet ainsi de protéger certaines facettes de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Tout d’abord, l’article 28 de la CIDE pose un droit à l’éducation au profit des enfants. Elle confie aux Etats le soin de rendre ce droit effectif. Les normes supranationales et nationales se sont emparées de ce droit et l’ont utilisé comme un biais pour parvenir à l’éradication du travail infantile. L’école est érigée comme «le meilleur rempart contre le travail des enfants». Cependant, il existe des situations dans lesquelles les enfants sont incités à participer à la vie économique du foyer, très jeune, quitte à remettre en cause leur assiduité scolaire. Pire encore, les enfants peuvent être contraints d’entrer sur le marché de l’emploi, qu’ils aient ou non suivi les enseignements obligatoires.
L’incitation des parents est motivée par l’insuffisance des ressources disponibles au sein du foyer et les revenus que l’enfant est susceptible de rapporter par un travail. La confrontation des intérêts inaccordables en présence mène fréquemment au sacrifice de la scolarité de l’enfant au profit de la subsistance de l’ensemble du foyer permise par le travail de l’enfant. Aussi, pour assurer aux enfants la pleine jouissance du droit à l’éducation et plus généralement la protection de leur intérêt supérieur, l’attribution de bourses est primordiale. La bourse est un moyen de prioriser la scolarité des enfants, d’éviter que les familles dont les ressources ont été reconnues insuffisantes ne contraignent leurs enfants à sortir du système scolaire pour contribuer au gain des revenus du foyer. Le versement de bourses constitue donc une façon de combattre le travail des enfants. En outre, le devoir parental de scolarisation des enfants est un vecteur de l’élimination du travail infantile. D’une part, quand le mineur atteint l’âge de seize ans et donc la fin de l’obligation scolaire, l’entrée dans le monde du travail n’est pas totalement libre. La conclusion d’un contrat de travail suppose le consentement du mineur mais également l’autorisation de ses représentants légaux. L’exigence d’un double assentiment à l’exercice d’un emploi par le mineur de seize ans est gage d’une décision susceptible de s’inscrire davantage dans l’intérêt supérieur de l’enfant. D’autre part, en droit français, le manquement à l’obligation de scolarité est sanctionné. Les législations successives sont marquées par un durcissement des sanctions en cas d’absentéisme scolaire. Face à des absences réitérées et injustifiées, les allocations familiales seront suspendues. L’obligation scolaire est l’outil de prédilection pour parvenir à l’élimination du travail des enfants.

Le discutable aménagement du principe de l’interdiction du travail des enfants au sein de la
sphère familiale

Dans le cadre du cercle familial, les seuils d’âge fixés pour l’accès à l’emploi sont soit aménagés soit supprimés. Il en est ainsi dans les débits de boissons et pour les activités saltimbanques. Pour l’entraide familiale, il n’existe pas de réglementation. Cependant, de tels accommodements peuvent compromettre la santé, la sécurité ou encore la moralité des enfants et mettre à mal leur intérêt supérieur, au profit d’intérêts antagonistes.
Concernant les débits de boissons à consommer sur place, eu égard à l’environnement de travail régnant dans ces établissements, le Code du travail y proscrit l’emploi de jeunes âgés de moins de dix-huit ans. Les mineurs, par nature influençables, peuvent être tentés par les boissons disponibles. Cette interdiction s’inclut dans l’intérêt supérieur de l’enfant et garantit notamment la préservation de sa santé et de sa moralité. Elle est en outre conforme à l’article 3 de la Convention n°138 de l’OIT. Mais le même Code prévoit un aménagement, l’interdiction devenant inapplicable au jeune âgé de moins de dix-huit ans s’il est le conjoint de l’exploitant, un parent ou un allié jusqu’au 4ème degré exclusivement de l’exploitant. Par ailleurs, le Code du travail interdit «à toute personne de faire exécuter par des enfants de moins de seize ans des tours de force périlleux ou des exercices de dislocation, ou de leur confier des emplois dangereux pour leur vie, leur santé ou leur moralité». L’interdiction a sans aucun doute été guidée par la volonté de protéger la santé et la sécurité des enfants compte tenu du caractère risqué de ces activités. Cette interdiction est très vite atténuée. Une lecture a contrario de l’alinéa 2 du texte autorise les père et mère qui pratiqueraient les professions d’acrobate saltimbanque, de montreur d’animaux, de directeur de cirque ou d’attraction foraine d’employer dans leurs représentations des enfants âgés de moins de treize ans. Enfin, le troisième alinéa pose une limite, ces mêmes père et mère ne pouvant employer dans leurs représentations leurs enfants âgés de moins de douze ans. Le seuil d’âge est donc abaissé à douze ans si les représentations sont organisées au sein de l’entreprise familiale.
Enfin, et conformément à la distinction opérée par l’OIT entre le «child work» (travail accompli par les enfants sans qu’il ne leur soit nocif, travail bénéfique) et le «child labour» (emploi nocif, qui doit être interdit aux enfants), le droit français admet l’entraide familiale. L’entraide familiale peut être définie comme « une aide ou une assistance apportée à une personne proche de manière occasionnelle et spontanée, et en dehors de toute rémunération et de toute contrainte ». Cela signifie que des mineurs peuvent apporter leur aide à leurs proches, sans rémunération, peu importe leur âge, dès lors que cette participation n’est pas imposée.

L’abaissement du seuil d’âge pour les travaux légers

Une dérogation à l’âge général d’admission au travail est admise pour les mineurs de quatorze à seize ans qui effectueraient des travaux légers pendant les vacances scolaires. Peu d’enquêtes statistiques ont été réalisées pour mesurer l’ampleur du phénomène. En 1997, dix mille enfants avaient été recensés dans le secteur de l’agriculture. Les dispositions applicables à ces travailleurs sont superficiellement protectrices, notamment par rapport au régime des enfants mannequins. Enfin, cette dérogation questionne sur la place de l’intérêt supérieur de l’enfant. Le législateur s’est astreint à élaborer des règles en apparence protectrices de ces jeunes travailleurs. Les dispositions applicables aux mineurs employés dans le secteur agricole sont encore moins protectrices69. Pour tous les autres secteurs, l’article L.4153-1 conditionne l’accessibilité à l’emploi pendant les vacances scolaires des mineurs de quatorze ans à la réunion de plusieurs éléments. Les vacances scolaires doivent avoir une durée minimale de quatorze jours, ouvrables ou non. L’enfant doit bénéficier d’un « repos effectif d’une durée au moins égale à la moitié de chaque période de congés ». Enfin, il doit s’agir de travaux légers « qui ne sont pas susceptibles de porter préjudice à sa sécurité, à sa santé ou à son développement ». L’embauche de ces jeunes travailleurs est en outre subordonnée à la délivrance par l’inspection du travail d’une autorisation, réputée accordée en cas de silence gardé par l’administration dans les huit jours suivant l’envoi. Or, eu égard à la brièveté du délai prévu et à la quantité de travail dont sont affublés les inspecteurs du travail, il est légitime de douter de l’intensité de l’examen. Probablement, les inspecteurs ne se livrent qu’à un sommaire examen. En outre, cette formalité repose sur le système déclaratif, l’employeur devant indiquer « la nature et les conditions de travail envisagées ». Toute l’appréciation de l’inspecteur du travail repose alors sur les dires de l’employeur, dont l’authenticité peut être remise en cause. Il s’agit là d’une première faiblesse, atténuant la protection de la santé et de la sécurité de l’enfant. Par ailleurs, aucune information relative à l’état de santé de l’enfant n’est à renseigner par l’employeur dans la déclaration transmise à l’administration. Or, l’examen de l’adéquation entre l’exercice de certaines fonctions et la protection de la santé de l’enfant est biaisé en l’absence de toute information ayant trait à l’état de santé de l’enfant. Un emploi autorisé en raison de ses caractéristiques a priori inoffensives pour l’enfant peut en réalité nuire à sa santé s’il souffre déjà d’une pathologie. Le contrôle devient inopérant, cela constitue la seconde faiblesse du mécanisme de protection. Cette lacune aurait pu être compensée par l’organisation d’un examen médical préalable, comme cela est prévu pour les enfants mannequins.

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L’inadaptation des mécanismes visant à maintenir et rétablir la sécurité

L’employeur et les travailleurs supportent respectivement une obligation de sécurité. Mais compte tenu de la vulnérabilité des mineurs, il serait nécessaire que l’obligation de sécurité de l’employeur soit renforcée à leur égard. Par ailleurs, l’obligation de sécurité des mineurs ainsi que les droits dont ils disposent pour préserver leur santé et leur sécurité méritent également d’être adaptés. Conformément à l’article L.4121-1 du Code du travail, «l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs». Les mesures que doit prendre l’employeur se regroupent en trois catégories : des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation et enfin, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur doit moduler les mesures en fonction des besoins de chaque travailleur. Initialement appréhendée par la jurisprudence comme une obligation de sécurité de résultat, elle est désormais considérée comme une obligation de moyens. Cela signifie qu’en cas de contentieux, les juges examineront la réalité de l’action préventive de l’employeur, sa consistance. Les salariés sont également investis d’une obligation de sécurité qui peut être analysée comme le pendant de l’obligation de l’employeur. En effet, l’article L.4122-1 du Code du travail dispose qu’« il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail ». L’obligation que supportent les salariés est une obligation de moyen. Les deux parties au contrat de travail sont donc investies d’une obligation de sécurité.
Néanmoins, des adaptations à ces obligations devraient être apportées afin d’accroître leur efficience à l’égard des mineurs. Les données révèlent en effet que les jeunes travailleurs ont une probabilité plus élevée d’être victimes d’un risque professionnel que les autres travailleurs. À cet égard, l’Institut National de Recherche et de Sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles estime que « la fréquence annuelle des accidents du travail pour l’ensemble des salariés, tous secteurs confondus est de quatre pour-cent. Chez les jeunes de moins de vingt-cinq ans, cette fréquence est de dix pour-cent ». Ces chiffres reflètent l’inadaptation de l’obligation classique de sécurité que supporte l’employeur à l’égard de travailleurs vulnérables et inexpérimentés que sont les mineurs.

Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I : LE LACUNAIRE DROIT COMMUN DU TRAVAIL DES ENFANTS 
Chapitre 1 – La difficile articulation de l’intérêt supérieur de l’enfant et du droit à l’emploi
Section 1 – Le principe de la prohibition du travail des enfants appuyé sur la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant 
§1 : Une prohibition générale étroitement liée à l’objectif de préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant
A. La prolifération normative visant à interdire le travail des enfants
B. L’insaisissable intérêt supérieur de l’enfant, notion fonctionnelle et essence du principe de la prohibition du travail infantile
§2 : Les faiblesses intrinsèques du principe de prohibition
A. Les écueils endogènes au principe français de prohibition
B. Les potentielles collisions entre deux principes a priori indissociables
Section 2 – L’admission au travail des enfants et l’affaiblissement de leur intérêt supérieur 
§1 : Les clauses de flexibilité dérogatoires à l’âge minimum général d’accès à l’emploi
A. Le discutable aménagement du principe de l’interdiction du travail des enfants au sein de la sphère familiale
B. L’abaissement du seuil d’âge pour les travaux légers
§2 : L’assouplissement de l’interdiction du travail infantile au service de la formation
Chapitre 2 – Le faillible encadrement de l’exercice de l’emploi
Section 1 – Des conditions de travail en apparence protectrices 
§1 : Une protection malmenée par les intérêts antagonistes en présence
A. Un temps de travail déraisonnablement flexible
B. Le défaut de protection dans la détermination des fonctions de l’enfant
§2 : Une nécessaire adaptation des principes travaillistes
A. L’inadaptation des mécanismes visant à maintenir et rétablir la sécurité
B. Une souhaitable rupture avec le principe d’universalité du droit du travail
Section 2 – Les procédés de la protection des enfants travailleurs
§1 : Les voies de recours traditionnelles à l’épreuve du travail des enfants
A. La théorique mission protectrice dévolue à l’inspection du travail
B. L’office protecteur illusoire des acteurs satellites de la protection des travailleurs
§2 : Le déploiement de voies alternatives encadrant le travail des enfants
A. La prééminence de la sanction pénale
B. La mobilisation des protections a-juridiques
PARTIE II : LES ÉCUEILS DU RÉGIME FRANÇAIS DU TRAVAIL EXACERBÉS PAR LES NOUVELLES FORMES DE TRAVAIL
Chapitre 1 – Le déploiement morcelé du régime permissif applicable aux enfants silhouettes et figurants
Section 1 – Une protection relative des enfants silhouettes et figurants 
§1 : Recruter des enfants silhouettes et figurants : un jeu d’enfant
A. L’accès inconditionné à l’emploi et l’intérêt de l’enfant
B. Un encadrement théoriquement protecteur des conditions de travail
§2 : Les répercussions d’un cadrage insuffisant
A. La protection limitée des rétributions de l’enfant
B. L’imprévision juridique de protections au long court
Section 2 – La réponse émergente et partielle du droit du travail à l’un des défis numériques 
§1 : Un régime protecteur minimal et imparfait
A. Une impérieuse intervention juridique
B. La résurrection de l’intérêt supérieur de l’enfant
§2 : Une protection à parfaire
A. Un régime alternatif critiquable
B. Des garanties dérisoires
Chapitre 2 – Le travail invisible des enfants 
Section 1 – Une réglementation d’appoint propice au travail des enfants 
§1 : La tolérance culturelle du travail des enfants
A. La présence croissante et nocive des enfants dans l’économie parallèle
B. La participation tolérée des enfants à l’économie informelle
§2 : L’ambivalence du sport et sa professionnalisation
A. L’encadrement balbutiant et décevant de l’e-sport
B. Un esprit sain dans un corps sain, mais à quel prix ?
Section 2 – Vers une réglementation uniforme du travail des enfants ? 
§1 : L’avènement d’un socle commun de règles et le rétablissement d’une égalité formelle des enfants travailleurs
§2 : Un remaniement du contrôle et des sanctions au service de la protection des enfants travailleurs
A. Une autorité unique dédiée : la « Commission des enfants actifs »
B. Un renforcement du caractère coercitif des sanctions
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE 

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