Le transmédial ou l’épopée contemporaine

Le transmédial ou l’épopée contemporaine

Notre étude se place à cheval entre production et réception : nous avons observé que, dans l’analyse du phénomène représenté par Romanzo Criminale, il est nécessaire de prendre en compte chaque brique réalisée par les spectateurs afin de saisir le sens global du produit. La définition heuristique de récit transmédial nous a permis de trouver un cadre pour l’étude du rôle actif des spectateurs et de leurs pratiques d’appropriation dans le contexte socio-culturel contemporain, où les hiérarchies entre les produits se font plus souples (on peut parler d’une fluidification des hiérarchies) et qui est caractérisé par un renouveau des forces de l’action performative du public. Dans notre enquête, les résultats que nous avons organisés entre « narrations » et « sujets » nous ont montré un entrelacement de la sphère du privé et de la sphère publique. Il nous faut à présent interroger ces deux pôles afin de définir l’étendue du phénomène que nous analysons et comprendre comment le produit transmédial fonctionne comme charnière entre ces deux sphères. Nous avons besoin d’une notion qui va nous permettre de parler d’un territoire défini par les échanges entre les utilisateurs d’Internet, qui soit le cadre des discours variés des communautés et qui, tout à la fois, nous aide à rendre compte d’une superposition entre des formes d’usage privé et des formes d’usage public du monde de Romanzo Criminale (la notion se rapproche de celle bourdieusienne de champ). Un monde qui est aussi un phénomène capable d’opérer un travail performatif. La réponse d’un questionnement sur le sens et le fonctionnement de l’activité des spectateurs par rapport au monde narratif, que nous avons pu observer dans notre enquête, vient d’une réflexion autour des innovations concernant le rôle des consommateurs de l’audiovisuel à l’ère du « Web 2.0 », où le sens d’une communauté d’acteurs sociaux est défini moins par la présence dans le même espace que par des formes de communication « virtuelles ». L’époque contemporaine semble être caractérisée par une « connectivité » globale. Le texte, nous l’avons vu, n’est plus caractérisé par son lien à un support : sa base matérielle disparaît, on peut en faire l’expérience loin de son lieu d’origine, il est relocalisé dans de nouveaux espaces.

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Il se compose de pistes multiples, qui se perdent ou qui circulent : certaines dilatations du monde du récit consistent en ajouts innovants, cohérents au récit matriciel, par lesquels l’intrigue s’enrichit de détails inédits ; d’autres créent des liens entre des espaces ou des idées originairement éloignées (c’est le cas de certaines fanfictions). Le consommateur circule à son tour au travers de ce réseau intertextuel en en choisissant les modalités de lecture, en inventant de nouvelles pistes, proposant des usages. Le « Web 2.0 » détermine des innovations sur le plan quantitatif et sur le plan qualitatif : d’un côté, les nouvelles pratiques que nous pouvons observer sont la réalisation d’anciennes modalités de participation au spectacle qui correspondent, dans un espace en réseau et accessible à faibles coûts, à la possibilité pour les spectateurs de participer en tant que créateurs pour donner lieu à des formes de dilatation ou des remakes (YouTube, les blogs). De l’autre côté, les innovations concernent la qualité des échanges, notamment dans la superposition entre espace intime et espace public (les forums, les blogs, les réseaux sociaux). Dans le cas des productions sur YouTube, la créativité personnelle est exposée à un public avec une rapidité inconnue aux productions amateurs traditionnelles : des formes d’interactivité, une nouvelle rapidité, ainsi qu’un élargissement de l’audience deviennent évidents. Les vidéos trouvent leur public (et sont identifiables par les internautes) grâce à un fonctionnement en réseau. D’un côté, les mots-clés attribués à chaque extrait par son auteur réalisent une cartographie de ces productions ; le territoire devient explorable d’une manière inédite. Pour un site comme Vodkaster1, à l’échange de fichiers se substitue un tissu de connexions immatérielles dans lesquelles les critères liés à la culture d’origine du produit produisent de nouveaux sens selon les intentions des spectateurs. De l’autre, dans le cas de certaines vidéos de YouTube, comme les exemples de karaoké interprété par les fans, le réseau donne une visibilité globale à des objets qui, par leur nature, se placent entre la sphère intime et la sphère publique.

 

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