Le Transit Oriented Development
Les processus historiques qui ont porté la dépendance à la voiture
L’évolution technologique des systèmes de transport et le changement associé des pratiques de mobilité ont sûrement contribué, au cours de l’histoire, à modifier la manière dans lequel l’homme a modèle la forme urbaine des villes. Une relation qu’on peut associer, en outre, aux concepts de perception des distances et du temps, continuellement en évolution, au cours de l’histoire, en fonction des progrès technologiques et des changements de modes de vie. Ces dynamiques évolutives se répercutent bien évidemment sur la configuration et l’adaptation des territoires urbains. « L’histoire des villes montre l’interdépendance étroite entre le développement des réseaux de transport et celui de l’espace urbain, en termes d’extension, de densification et d’évolution des activités urbaines. » (AFD, 2010) Au niveau général, en suivant la classification proposée par A. Bertaud (2010), on peut identifier certaines typologies fondamentales des structures urbaines (AFD, 2010). Une structure monocentrique qui prévoit la concentration des activités et des résidences au centre d’un système territorial, desservi par un système de transport de type radial. Une structure polycentrique, qui ne prévoit pas la présence d’un pôle dominant mais plusieurs pôles attractifs où est distribuée la localisation des résidences, des activités et des services. Un modèle composite qui présente « un centre dominant et différents sous centres avec un modèle de déplacement radial et orbital ». Si on avance dans l’analyse d’A. Bertaud (2010), au niveau urbain les différents niveaux de densité et de polycentrisme peuvent donner lieu à trois principales catégories de configuration urbaine. Des formes monocentriques et à forte densité, structurées principalement sur les transports en commun; des formes polycentriques à densité moyenne et desservies par un système de transport de type mixte (transport collectif et voiture particulier) et enfin une configuration polycentrique et dispersée, caractérisée par des faibles densités et basée sur les déplacements en voiture (typique des villes nord-américaines) (AFD, 2010). En particulier si on analyse rapidement l’évolution des formes urbaines dans l’histoire, on peut tout d’abord définir la typologie de ville traditionnelle qui, depuis l’antiquité et jusqu’au début du XIX° siècle (Scheurer, 2001), s’est développée autour d’un noyau central (une place, un temple, une forteresse, etc.) en s’étendant en direction radiale vers la banlieue et en suivant essentiellement un schéma monocentrique. À la suite de l’avènement de l’industrialisation et donc de l’introduction des systèmes de transport sur rail, le long des marges urbaines, de nouveaux noyaux se sont progressivement formés, connexes au centre traditionnel, à travers 87 des systèmes de transport collectifs et en suivant, de plus en plus, un schéma polycentrique (T. Stojanovski, 2012). Puis, avec le passage à la ville préindustrielle (Scheurer, 2001) fondamentalement conçue pour être parcourue à pied (Walking city) et structuralement développée par cercles concentriques, denses, réunis par un réseau routier caractérisé par une faible hiérarchisation et souvent protégé par des fortifications, on a, graduellement, évolué vers des formes urbaines projetées et organisées pour s’adapter aux différentes typologies de transports collectifs en usage.
Le modèle urbain orienté vers la voiture
Un système de transport auto-dépendant signifie que presque chaque utilisateur du système possède ou utilise une voiture pour y accéder et l’utiliser. En ce cas, les personnes qui ne conduisent pas auront, comme seule possibilité pour accomplir leurs déplacements, celle d’être transportées par un utilisateur possesseur d’une voiture privée. Il est, dans ce contexte, important introduire la définition de deux nouvelles typologies d’espèce humaine: celle de l’homo automobilis et celle de l’homo transportatis, comme Gabriel Dupuy (2011) a efficacement observé. Une large partie de la population, constituée par les jeunes qui n’ont pas l’âge pour conduire une voiture (O. P. Dubois-Taine, 2010), les personnes âgées, les retraités, les handicapés, ceux qui vivent en conditions de pauvreté ou d’indigence ou simplement les non-conducteurs par choix, se retrouvent à devoir vivre avec des possibilités limitées de mobilité en respectant ceux qui possèdent et qui peuvent conduire une voiture privée. “L’automobility domine soit les usagers que le non usagers de la voiture, organise leur vie à travers l’espace-temps.” (Urry, 2003) En substance, la dépendance à la voiture réduit les alternatives de mobilité et l’indépendance personnelle d’une partie de la population, en augmentant les inégalités et les phénomènes d’exclusion et de marginalisation sociale. Cette condition d’écart est, en outre, encore plus sensible dans les territoires à basse densité c’est-à-dire dans les zones suburbaines et rurales ou dans les grandes périphéries urbaines (O. P. Dubois-Taine, 2010). En outre, ce modèle de transport auto-dépendant comporte une intensification et un enracinement de problèmes tels que la congestion, la pollution, les accidents et donc des coûts environnementaux et sanitaires considérables ainsi qu’une réduction essentielle des niveaux de qualité de la vie. Urry (2003) dans son analyse sociologique sur les habitudes de mobilité des sociétés modernes, introduit en outre le terme automobility pour définir le bouleversement apporté par la diffusion massive de la voiture dans les pratiques et dans la perception même du concept de déplacement. Le sociologue britannique observe en fait comment l’usage de la voiture conduit à multiplier et à accroître les besoins de déplacements, en alimentant par conséquence le caractère dominant de la voiture sur les dynamiques de mobilité (Urry, 2003). À ce propos, il est intéressant cependant d’observer, en appui à la théorie de l’insoutenabilité d’un modèle exclusivement « auto oriented », que l’auto-dépendance ne cause pas seulement des coûts mais procure aussi des bénéfices (Litman, 2002) ; mais pendant que les coûts se répercutent en substance sur toute la communauté, les bénéfices concernent exclusivement les utilisateurs directs de la voiture.
Facteurs, attributs et coûts de la dépendance de la voiture
Il existe différents facteurs et attributs qui peuvent être utilisés pour évaluer et définir si un système territorial (usage du sol et système de transport) favorise ou pas la dépendance à la voiture (VTPI, 2010). Les facteurs clés sont sûrement: le pourcentage des propriétaires d’une voiture en relation à la population totale, la distance moyenne parcourue annuellement en 97 voiture par personne et le pourcentage des déplacements effectués avec la voiture privée par rapport à l’ensemble des déplacements. D’autres attributs fondamentaux sont rapportés à l’éventuelle existence, au niveau des services, à la compétitivité et à la qualité de l’offre des systèmes de transports collectifs alternatifs à la voiture privée. En outre, pour évaluer le niveau de multimodalité d’un système de transport, il est nécessaire d’analyser les niveaux d’accessibilité, au-delà de la dotation en infrastructure et des caractéristiques urbanistiques de ces espaces publics (par exemple: km de rues et surface de parking per-capita, accessibilité par les modes actifs des arrêts des transports collectifs, etc.) (VTPI, 2010). La configuration territoriale et l’usage du sol influent, en effet, de manière décisive sur les comportements de mobilité, en fonction des densités (résidentiels et d’emplois) et de la consommation du sol. La dispersion et la fragmentation du tissu urbain sont des phénomènes qui favorisent la dépendance vis-à-vis de la voiture, au contraire des formes urbaines compactes favorisent la mixité fonctionnelle et l’accessibilité aux transports collectifs. Par ailleurs, il peut y avoir des phénomènes d’encouragement fiscal au niveau national et de distorsion du marché au service de l’industrie automobile, ou bien des orientations politiques plus ou moins favorables à l’investissement des ressources publiques visant à stimuler l’usage de formes de mobilités alternatives à la voiture. Une communauté qui habite dans un système de transport et d’usage du sol qui favorise des phénomènes de dépendance à la voiture, doit forcément faire front à des coûts que l’on peut définir comme directs ou indirects. Les coûts directs sont ceux qui se réfèrent au pourcentage du budget que chaque ménage doit investir pour ses déplacements, en particulier pour l’achat et l’entretien d’une ou de plusieurs voitures (coût du carburant et de maintenance, assurance, coût des parkings etc.). Comme l’indique le rapport sur les dépenses des familles américaines en 201119, « les Américains dépensent une grande partie de leur budget familial dans les transports » (Hawk, 2011). Environ 15-20 % des dépenses totales d’une famille américaine sont, en effet, destinés, en moyenne, aux transports c’est-à-dire environ le double de ce que dépense, en moyenne, une famille suisse (Litman, 2010). Les coûts indirects par contre sont dus au poids fiscal et aux impôts que payent les contribuables et aux coûts supportés par l’État pour ses investissements et interventions sur les infrastructures (construction ou maintenance des routes, des parkings, ou interventions de sécurité routière). D’autres coûts indirects sont attribuables aux coûts sanitaires, énergétiques et environnementaux dus, en partie, aux accidents routiers mais, également, aux effets négatifs pour la santé causés par la pollution (émissions de CO2 ) et la congestion (Litman, 2002).