Le processus d’éclosion de la partie
L’adoption de la partie IV a été le résultat d’un long processus de négociations et de travail poussé par des réclamations faites par les P.E.D. dénonçant d’une part, l’inefficacité de l’accord général qui, ainsi établi, ne peut garantir un accès facile aux marchés des pays industrialisés. D’autre part, ils critiquent l’insuffisance des mesures d’assouplissement prévues pour modérer l’application du P.N.P.F. l’épine dorsale du G.A.T.T. Ces assouplissements à savoir ceux qui sont prévues par les dispositions des articles 12, 18 et 24 de l’accord général 20 sont prévus, d’une manière dérogatoire, ce qui implique pour pouvoir en bénéficier, le respect des mesures et des procédures qui sont non seulement longues mais très complexes. Face à l’inquiétude des P.E.D. qui voyaient le rythme de développement de leur commerce international s’affaiblir par rapport à celui des pays développés, il a été confié par les pays développés parties contractantes du G.A.T.T, à un groupe d’experts la mission d’examiner les problèmes du commerce des P.E.D. Cette commission a abouti à l’élaboration d’un rapport qui reprend plusieurs propositions émises par les P.E.D21. Ces résolutions bien qu’importantes pour les P.E.D. n’ont pas eu la portée voulue en raison de la démarche prudente tenue par les Pays développés ; tout en considérant positivement ces résolutions, ils ont admis des clauses échappatoires ce qui les a considérablement affaiblies22.
C’est dans le cadre de la C.N.U.C.E.D. 23 que les P.E.D ont préféré continuer leur démarche d’établir « un statut juridique qui leur soit applicable et qui ne soit plus conçu sous une forme dérogatoire »24 En conséquence, la C.N.U.C.E.D a joué un rôle déterminant dans la réorientation des intérêts économiques des P.E.D et dans le revirement doctrinal du G.A.T.T grâce aux débats et aux délibérations qui se sont déroulées en son sein. C’est lors de sa première réunion qui s’est tenue à Genève en 1964 qu’une importante déclaration a été faite par le secrétaire général de la C.N.U.C.E.D, Mr Raoul Prebisch, comme suit : « … Si valable que soit le principe de la nation la plus favorisée, dans les relations commerciales entre égaux, ce n’est pas là un concept acceptable et adéquat pour un commerce entre pays de puissance économique inégale »25 C’est ainsi que le principe de l’inégalité compensatrice a été soulevé et que la nécessité d’établir un lien entre le commerce et le développement s’est fait imposer « non pas dans une perspective globale comme c’est l’objectif premier de l’accord général, mais de façon différencié pour que le commerce devienne un moyen de promouvoir plus particulièrement le développement » 26
Le contenu de la partie
La partie IV comprend trois articles : 36, 37, 38 qui fixent les principes à faire valoir et les objectifs à atteindre. L’objectif principal de la partie IV est l’élaboration d’un régime spécial qui permet de promouvoir le commerce des pays peu développés et d’élargir les débouchés ouverts à leurs produits sur les marchés mondiaux28. C’est ce qui est énoncé expressément à l’article 36 de la partie IV intitulé « principes et objectifs » qui souligne la nécessité d’efforts positifs pour faciliter l’accès aux marchés mondiaux des produits primaires, transformés et manufacturés présentant un intérêt particulier pour les PED » 29. Pour se faire, les articles 37 et 38 incitent les pays développés à prendre des engagements à titre individuel, visant à réduire les obstacles aux exportations présentant un intérêt pour les P.E.D, et des engagements collectifs qui se manifestent d’une part, dans la conclusion d’arrangements internationaux sur les produits de base dont, souvent, dépendent les P.E.D. et d’autre part, dans « la collaboration en matière de conseil pour procéder périodiquement à l’examen de la situation du commerce mondial, rechercher les méthodes pratiques en vue d’accroitre l’échange mondial dans le sens des objectifs tracés par l’article 36 et analyser les plans de développement des PED »30 Par ailleurs, afin d’assurer l’application de la partie IV, l’article 38 § 2 F, prévoit la création d’ un organe permanent appelé « comité du commerce et du développement » chargé de suivre l’application des dispositions de cette partie IV en même temps que toutes les activités du G.A.T.T en veillant à ce que les problèmes des P.E.D retiennent l’attention en priorité 31.
Selon B.Stern, l’adoption de la partie IV a permis au commerce international de franchir une étape importante vers un certain rééquilibrage des relations économiques internationales.32 Cette position est également soutenue par Feuer et Cassan qui affirment que la partie IV du G.A.T.T, à savoir les articles 36, 37, 38, donne une base contractuelle et légale à l’action des parties contractantes en matière de développement33 . En effet, c’est pour la première fois depuis la création du G.A.T.T, qu’un cadre juridique et institutionnel a été élaboré dans l’optique de permettre aux parties contractantes de s’acquitter de leurs responsabilités dans le domaine de l’expansion des échanges des pays peu développés. Pour finir, on peut relever que l’approche de cette nouvelle partie renoue avec l’idéologie de la charte de la Havane, en ce qui est de la soumission des politiques et pratiques commerciales et économiques à l’impératif social de l’amélioration du niveau de vie 34. Cela implique la remise en cause de la clé de voute qu’est la clause de la nation la plus favorisée. La portée de la partie IV ne peut être perçue, réellement, qu’au travers de l’examen de ses effets, qu’en abordera comme suit :
L’introduction de la dualité des normes
A l’égard de l’ensemble des règles constituant l’accord général, la partie IV apparait, certes, comme un assouplissement des règles du G.A.T.T mais surtout comme un contrecourant des principes sur lesquels se fonde cet accord. Rappelons que pour régir les échanges commerciaux multilatéraux, le commerce international repose sur un principe fondamental qui est celui « de la non discrimination » qui exige un traitement similaire entre les partenaires commerciaux dans le but d’assurer une concurrence équitable. Cette exigence de non discrimination est prévue par les articles 01 et 03 de l’Accord général qui posent le Principe de la N.P.F. et le traitement national : Le principe de la nation la plus favorisée, impose l’obligation d’étendre les avantages accordés à un membre à tous les autres, ce qui exclut la possibilité de traitements préférentiels ou de rapports bilatéraux discriminatoires. Le traitement national, conduit à l’interdiction de réserver un traitement moins favorable aux produits étrangers par rapport aux produits nationaux notamment en matière d’imposition et de règlement intérieur35. Avec l’adoption de la partie IV, les parties contractantes au G.A.T.T ont renoncé à l’application du principe de non discrimination aux échanges commerciaux entre pays ayant un niveau de développement différent. L’originalité de la partie IV réside dans l’introduction du « principe de non réciprocité » énoncé dans le §8 de l’article 36 36qui permet d’appliquer des mesures discriminatoires dans les relations commerciales qui lient les pays développés et les pays en développement.
Selon Les dispositions de cet article les pays en développement ne sont pas tenus de faire des concessions en échange d’avantages offerts par les pays développés en matière de réduction ou d’élimination des droits de douane et autres obligations au commerce qui seraient incompatibles avec les besoins de leur développement, de leurs finances et de leur commerce.37 Cette réforme est venue perturber l’unité de la règlementation en vigueur au G.A.T.T, parce qu’elle concrétise, au plan juridique, le concept de « la dualité des normes » qui reconnait le traitement différentiel dans les relations commerciales selon le niveau de développement atteint.38 La dualité des normes est une théorie qui signifie l’existence de deux régimes juridiques distincts, le premier, l’originel, qui devrait s’appliquer dans les relations commerciales entre deux partenaires économiques de niveau de développement plus ou moins égal, et le second édicté par la partie IV concerne les échanges commerciaux entre les pays développés et les pays en développement. Il ressort donc, de la lecture des articles 36, 37 et 38 que toute décision prise dans le cadre du G .A.T.T doit prendre en considération les intérêts commerciaux présent et à venir des P.E.D. et par ailleurs, en cas de litige toute interprétation des dispositions du G.A.T.T devrait se faire dans cette optique 39, ce qui conduit à se poser la question de savoir si la partie IV et plus particulièrement le paragraphe 8 de l’article 36, constitue une dérogation au principe fondamental de l’accord général qu’est celui de la réciprocité des concessions ?
Selon la Doctrine, pour H.Cassan et G.Feuer « L’originalité de l’introduction de la règle de la non réciprocité est dans le fait qu’elle est en contradiction avec les principes fondamentaux du G.A.T.T. qui repose sur la non discrimination. Toutefois, cette contradiction n’est qu’apparente et elle se résout par l’application de la dualité des normes » 40 Donc, la C.N.P.F garde toujours son importance dans les relations commerciales multilatérales et n’est pas pour autant atteinte. « Cette forme de non réciprocité n’est pas incompatible avec un respect général de la non discrimination dans la mesure où la partie IV n’a pas elle-même autorisée l’application de traitements préférentiels ; un pays développé ne pouvait pas privilégier un P.E.D. parmi d’autre et d’autre part, l’avantage accordé à un pays en développement devait être accordé également à l’ensemble des pays développés, la CNPF continuait donc à s’appliquer»41 Ainsi, La partie IV ne constitue pas une dérogation à la clause N.P.F. en raison de l’acceptation limitée de la dualité des normes car à l’époque le concept de préférence pour les P.E.D. est inconcevable42.
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