Le traitement des usagers de drogues
Des types de drogues multiples en circulation
En 1991, le rapport « The drug nexus in Africa » montrait la part occupée par le cannabis dans le trafic de drogues à Dakar. « Cannabis is the main drug of abuse in Senegal, though heroin and cocaine abuse are increasing rapidly particularly in Dakar among the middle class and unemployed » (United Nations Office for Drug Control and Crime Prevention, 1999). Au début des années 2000, une enquête du CILD décrit plusieurs types de produits médicamenteux utilisés au Sénégal. Il s’agit des sédatifs de première intention en raison de leur moindre toxicité comparée aux barbituriques : le diazépam (Valium), l’oxazépam (Seresta), le lorazépam (Témesta) et le clonazépam (Rivotril). Il en est de même du flunitrazépan (Rohypnol) appelé Roche dans les milieux toxicomanes où il est fort prisé par les héroïnomanes (CILD, 2003). En 2005, lors de ses enquêtes de terrain, Ndione décrit les types de drogues utilisées par ses interviewés parmi lesquelles l’héroïne, la cocaïne, le chanvre indien. L’héroïne, pousuit-il, se présente sous forme de poudre qui se trouve dans une sorte de capsule. Elle est sniffée et se vend dans les quartiers tels que Grand Dakar, Pikine, Thiaroye, etc. Son coût varie entre 2 500 et 15 000 francs, la différence se trouve au niveau de la qualité et de la quantité. La dose de 2 500 francs ne donne qu’un flash de cinq minutes tandis celle de 10.000 ou de 15.000 francs peut être consommée en plusieurs prises. Elle est disponible dans des endroits chics tels les bars, les discothèques ou boîtes de nuit. L’héroïne est un produit qui vient brut, c’est une fois arrivée à destination qu’elle est traitée et mélangée avec une poudre. Le coût est fonction alors de sa pureté (la qualité) et de sa gamme (Ndione MS, 2005).
Le yamba, produit principal au Sénégal ?
Le Sénégal a la particularité d’être un pays à la fois producteur, exportateur et importateur de chanvre indien. Chronologiquement, selon Werner, on peut estimer que la consommation de chanvre est devenue un phénomène sociologique à partir de 1968 avec l’apparition de la mode dite « rasta » dans les années qui ont suivi. En effet, contrairement à la croyance répandue concernant le caractère traditionnel de l’usage du chanvre indien au Sénégal, cette plante n’y serait pas spontanée (Kerarho, 1974) même si, dans l’état actuel des connaissances, il est impossible de savoir avec certitude quand elle y a été introduite (Werner, 1992). Il semble que le chanvre ait été employé depuis longtemps en Casamance, notamment par les femmes. Un indice en faveur d’une introduction initiale en Casamance est à rechercher dans l’étymologie du terme « yamba » (communément utilisé pour désigner le chanvre indien) qui dériverait de l’appellation brésilienne « djamba » (Kerharo, 1974 ; Werner JF, 1992). Depuis le début des années 80, le marché dakarois est approvisionné en niakoye et en lops (ou « lopito »). Le niakoye est cultivé en Gambie et en Casamance, acheminé par voie terrestre ou maritime jusqu’à Dakar où il était vendu entre 10 et 20 000 francs le kilo en 1988. Il est concurrencé par le lops en provenance du Ghana ou du Nigéria, qui parvient à 43 Dakar après avoir transité par la Gambie. Dans les années 1990, malgré son prix élevé (entre 60 000 et 80 000 francs le kilo en 1988), la plupart des usagers préfèrent se procurer du lops s’ils en ont les moyens. Enfin, note Werner, le marché dakarois est aussi investi, depuis les années 1990, de nouvelles variétés cultivées en Gambie et en Casamance, comme le « sansemilla » qui seraient des hybrides entre des plantes de lops et de niakoye (Werner, 1991). Le trafic de yamba est rapporté comme ayant joué un rôle fondamental dans les mouvements de rébellion en Casamance. Dans son ouvrage la drogue, l’argent et les armes (1991), Labrousse, responsable de l’Observatoire géopolitique des drogues, écrit : « Au Sénégal, en Casamance, la drogue pourrait jouer un rôle dans un conflit armé. Déjà en 1987, la police a détruit 12 tonnes de « yamba » (marijuana) dans le village de Ndombor Dir, près de la frontière de la Gambie. Au printemps de 1990, est apparue la rébellion des forces démocratiques de Casamance (MFCD) qui luttent pour l’indépendance de la région. Le gouvernement (du Sénégal) accuse ce mouvement d’être aidé par la Mauritanie et de se financer grâce à l’argent du yamba. Il est probable que si cette situation économique continue à se dégrader, la production et le trafic se développeront en Afrique » (Fottorino, 1991 : 44). D’après un correspondant de l’Observatoire Géopolitique des Drogues en BasseCasamance, les revenus du cannabis, qui alimentent les séparatistes en armes modernes, grenades et Kalashnikov, intriguent les forces officielles sénégalaises. « Des militaires chargés de réprimer la guérilla auraient torturé des séparatistes pour obtenir des renseignements précis sur les lieux de production et les réseaux de commercialisation de la drogue afin de les exploiter à leur profit », indiquait la dépêche internationale des drogues dans son premier numéro de juin 1991 (Fottorino, 1991). Le développement du trafic local de cannabis est également mis en rapport avec le déclin de l’agriculture de subsistance exposé aux changements climatiques et à la baisse de leur prix de vente. Le rapport des Nations Unies sur les drogues en Afrique indique : « Peanut farming in Senegal, long a driving force for development, has in recent years been hard hit by adverse weather conditions and price falls on the world market. There have been reports of Ghanaian sponsors operating out of the Gambia, supplying seeds, supplies and a cut of the profit for the labour of 44 Senegalese farmers » (United Nations Office for Drug Control and Crime Prevention, 1999: 23). Les revendeurs s’approvisionnent directement chez le cultivateur ou chez le grossiste. Il existe des filières et des réseaux de production, de stockage, de distribution et de vente du cannabis avec de gros trafiquants et de petits distributeurs recrutés en général parmi la jeunesse délinquante ou prédélinquante des villes (Collomb, Diop et Ayats, 1962). L’usage toléré du cannabis à des fins thérapeutiques jusqu’à une période récente est devenu un facteur de toxicomanie chez les jeunes. En outre, l’augmentation de ce produit a entraîné une désaffection de la culture de plusieurs produits vivriers, au moment où des essais de cultures d’autres drogues sont signalés sur le continent africain (Sénégal, 1997). Le chanvre, comparé à la cocaïne et l’héroïne, est plus accessible géographiquement et financièrement. Dans les années 2000, son coût varie entre 250 francs pour un joint et 30 000 ou 40 000 francs pour le kilogramme. Un paquet de yamba de 500 francs peut donner 5 ou 6 joints (Ndione MS, 2005). Le yamba (ou boon, ou wii, ou shit) se présente sous la forme d’un broyat, mélangé ou non à du tabac, il est fumé sous forme de joints (jum en wolof). Il est consommé de préférence de façon collective par des groupes d’amis de la même classe d’âge (United Nations Office for Drug Control and Crime Prevention, 1999 ; Werner, 1993). En analysant les motifs de consommation du chanvre indien chez les fumeurs à Dakar, Werner écrit que l’usage du yamba répond à certaines attentes des usagers. Il leur permet d’abord d’améliorer leurs compétences sociales (diminution de l’agressivité, augmentation des échanges verbaux, accès au plaisir partagé, meilleure acceptation des rôles sociaux) ; ensuite de restaurer leur estime de soi (il rend l’usager soucieux de son hygiène corporelle, de son apparence vestimentaire et fier de lui-même) ; et enfin d’apprécier les modifications de l’humeur qu’il entraîne (« ça donne de l’espoir »), (« ça donne la forme »), (« ça donne de la science ») (Werner, 1993). Le cannabis peut représenter non seulement un facteur d’intégration au groupe, comme dans les pays occidentaux, mais aussi un important facteur d’acceptation et d’intégration sociale de la différence, comme dans le cas des lépreux de Casamance, qui renouent économiquement et socialement avec la collectivité par le biais de la consommation, mais aussi de la vente, pourtant illégale, de 45 cannabis (Cesoni, 1992).
Médicaments psychotropes
La disponibilité des médicaments psychotropes est signalée dans les années 1970 par Césoni qui écrit que ces substances sont disponibles sur les marchés parallèles, où il est possible de s’approvisionner lorsqu’une réglementation stricte est appliquée dans le circuit des pharmacies. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, les produits psychotropes peuvent être achetés sans ordonnance auprès des pharmacies ou dans les dispensaires. Les clients peuvent aussi se procurer sur les marchés clandestins, à Dakar aussi bien qu’en province, un grand nombre de substances dites illégales dont la composition exacte est inconnue. Une enquête de Frères des Hommes constate l’existence de cette activité au Mali, en Côte-d’Ivoire, au Sénégal, au Zaïre (actuel RDC) et au Congo. Selon cette étude, le marché pharmaceutique illicite en Afrique est caractéristique d’une économie de pénurie ; ces médicaments déconditionnés et parfois moins chers sont quelquefois le seul recours possible des plus défavorisés (Cesoni, 1992).
Le ginz, produit et mode de consommation à la fois
Le terme de ginz employé par les usagers désigne des solvants organiques (essence, diluant, vernis, colle, etc.) dont l’inhalation (moo ou ginz en wolof) provoque un état d’ivresse intense, de courte durée, souvent associé à des hallucinations visuelles effrayantes. Également d’apparition récente, cette pratique a constitué le mode d’entrée dans l’univers de la « prexion » (terme employé pour désigner un état altéré de conscience). En général, l’usage du ginz est rapidement abandonné du fait de sa toxicité et de son caractère péjoratif de pratique considérée comme relevant d’un comportement infantile (Werner, 1993). 2.3. La consommation de drogues au Sénégal Le passage d’une consommation « traditionnelle contrôlée » à un usage de type problématique s’opère dans la décennie 1980. Au début de cette décennie, Gueye et Omais 46 signalait qu’« au Sénégal, nous ne rencontrons presque jamais, pour le moment, de véritables toxicomanies et encore moins de toxicomanies aux drogues dures » (Gueye et Оmaïs, 1983). Puis, plusieurs enquêtes constatent la manière dont les bouleversements profonds de la société sénégalaise, de même que les stratégies commerciales extérieures introduisent de nouvelles consommations et modifient la situation. Les préparations traditionnelles, écrit Césoni, sont de moins en moins utilisées dans les milieux jeunes au profit des substances importées. Une enquête menée en 1980-1981 dans les milieux scolaires urbains fait état d’une consommation élevée de cannabis (70 % de l’échantillon), suivi de l’alcool (15 %) et, pour le reste, des médicaments psychotropes et les solvants (Cesoni, 1992). En 1982, une montée de la consommation de médicaments psychotropes, notamment des hypnotiques et des tranquillisants, a obligé le Ministère de la Santé Publique à en limiter les importations. Césoni rapporte que 39 % des jeunes entre 15 et 24 ans consomment au moins une des drogues dites « licites » (tabac, alcool et tranquillisants) et 14 % ont expérimenté une des « drogues illicites » (cannabis, médicaments psychotropes achetés sans ordonnances, solvants) (Cesoni, 1992). L’héroïne et la cocaïne font leur apparition au début des années 1980 à Dakar (Cesoni, 1992), mais ne circulaient pas encore en banlieue (Werner, 1993). En 1989, Werner constate l’apparition d’héroïne à Pikine et le début de sa diffusion, malgré son prix relativement élevé puisqu’un « képa » (dose permettant de confectionner 1 à 3 cigarettes) se négociait entre 1000 et 2000 FCFA. De même, poursuit Werner, la cocaïne et son dérivé, le crack, n’ont fait leur apparition à Pikine qu’en 1990. La diffusion de ces nouvelles drogues vers la périphérie de Dakar est corollaire à l’intensification de la répression qui s’est exercée à l’encontre des « dealers » dakarois à partir de 1988 et le déménagement de certains d’entre eux vers les quartiers plus tranquilles de la banlieue (Werner, 1993). À propos du profil des consommateurs de drogues au Sénégal, la littérature rapporte des éléments d’identification qui concernent le sexe et la catégorie socio-professionnelle des usagers. Dans les années 1990, à partir d’informations concernant la catégorie socioprofessionnelle de leurs pères, Werner constate qu’une majorité des usagers est issue 47 du prolétariat urbain (petits commerçants, artisans, ouvriers), d’une population paysanne appauvrie (des migrants) ou d’une petite bourgeoisie urbaine (fonctionnaires, employés …) durement éprouvée par la baisse du pouvoir d’achat. En particulier, ces jeunes sont confrontés à une crise du marché du travail visible au niveau de la baisse importante des emplois salariés. Ils se trouvent même exclus du secteur dit « informel » de l’économie qui se révèle incapable d’absorber cette masse de demandeurs d’emploi. Au cours des entretiens de Werner, la gravité du problème de l’emploi a été soulignée de façon répétée et insistante par ses interlocuteurs, qui en faisaient la cause primordiale de leurs comportements déviants (Werner, 1993). En terme de distinction de sexe, le CILD constate que la toxicomanie semble être l’apanage beaucoup plus des garçons que des filles. Leurs observations montrent cependant que de plus en plus de filles sont concernées par la consommation de drogues. Dans les années 2000, environ 20% de la population des usagers de drogues identifiés par le CILD sont des femmes avec une prédominance, chez elles, de consommation de sédatifs. Il n’existe certes pas de statistiques sur la prévalence de la toxicomanie chez les femmes mais le recoupement des données au niveau hospitalier, pénitencier et de certaines ONG permet de s’en faire une idée même si elle est parcellaire de l’ampleur du phénomène. Des études faites au niveau de la clinique psychiatrique du CHU de Fann montrent que le problème de la toxicomanie féminine existe et prend de l’essor. Si en 1982 un seul cas avait été signalé parmi les hospitalisés, ce nombre est passé à 5 en 1988 et à 11 en 1997 (CILD, 2003)
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