Le traitement comptable au service de la neutralité fiscale des fusions silencieuses

Les fusions silencieuses présentent plusieurs intérêts, mais revêtent également un certain nombre de difficultés, comptables et fiscales. Si elles remplissent toutes les conditions d’immunisation, ce n’est pas pour autant qu’aucune charge fiscale ne leur sera appliquée. Pour cela, il faut encore que le comptable effectue correctement son travail, et comptabilise de manière appropriée les réserves immunisées, le goodwill ou badwill de fusion. Ce n’est que si toutes ces conditions sont remplies que la fusion silencieuse sera entièrement immunisée. C’est là tout l’intérêt de cette contribution.

FUSION SILENCIEUSE : DÉFINITION ET PROCÉDURE APPLICABLE EN DROIT DES SOCIÉTÉS

Avant d’analyser quel sont les traitements comptables et fiscaux d’une fusion silencieuse, nous commencerons par la définir et analyser la procédure applicable en droit des sociétés. Nous verrons que le projet de fusion que nous présentons dans le chapitre précédent obéit bien à la définition de fusion silencieuse, et respecte le formalisme requis par l’article 719 du Code des sociétés.

DEFINITION

Nous analysons une fusion entre une SCRL « Pharmacie G », la société absorbante, et les SPRL « Pharmacie T » et SCRL « Pharmacie F », les sociétés absorbées. La société Pharmacie G est propriétaire de la totalité des actions des Pharmacies T et F. Ces sociétés opèrent une double fusion par réunion de tous les titres en une seule main. La fusion par réunion de tous les titres en une seule main correspond à une fusion dite silencieuse, encore appelée simplifiée ou informelle .

Elle est définie par l’article 676 du Code des sociétés, qui prévoit que : « Sauf disposition légale contraire, sont assimilées à la fusion par absorption : 1° l’opération par laquelle une ou plusieurs sociétés transfèrent, par suite d’une dissolution sans liquidation, l’intégralité de leur patrimoine, activement et passivement, à une autre société qui est déjà titulaire de toutes leurs actions et des autres titres conférant un droit de vote dans l’assemblée générale; (…) ».

Jusqu’à la loi du 5 décembre 1984, la « réunion de toutes les actions en une seule main » opérait de plein droit la disparition de la société en cause, au motif que les anciennes lois coordonnées sur les sociétés commerciales de 1935 requéraient au moins deux associés pour constituer un contrat de société. Depuis l’entrée en vigueur de la loi de 1984, si l’associé unique fait constater, dans un acte authentique, sa volonté de dissoudre la société, alors la dissolution interviendra. « Cet acte est publié aux annexes du Moniteur belge et la société entre alors en liquidation. Mais comme l’actionnaire unique s’engage dans l’acte notarié à reprendre tout l’actif et tout le passif de la société dissoute, la liquidation de celle-ci est automatiquement clôturée » .

Ces mots ont été écrits en 1990. Aujourd’hui, ils ne sont plus d’actualité. Un nouveau concept a été instauré par la loi du 29 juin 1993, celui de la dissolution sans liquidation préalable à la fusion par absorption. Elle est définie comme étant « l’opération par laquelle une ou plusieurs sociétés transfèrent à une autre société, par suite d’une dissolution sans liquidation, l’intégralité de leur patrimoine, activement ou passivement, moyennant l’attribution à leurs actionnaires ou à leurs associés d’actions ou de parts de la société absorbante et, le cas échéant, d’une soulte en espèces … » .

Lorsque les formalités de la fusion sont remplies, elles vont permettre le transfert de plein droit de l’intégralité du patrimoine d’une société à une autre société, sans aucune autre formalité que le respect du code des sociétés. L’opération de fusion entraine de plein droit et simultanément les effets suivants :
a) Les sociétés absorbées vont cesser d’exister ;
b) L’ensemble du patrimoine actif et passif de chaque société dissoute sera transféré aux sociétés bénéficiaires (absorbantes) ;
c) Toutefois, dans le cas d’une fusion silencieuse, les associés de la société dissoute ne deviennent pas des associés de la société bénéficiaire (absorbante).

Ainsi, les sociétés Pharmacie F et T vont disparaitre, et l’ensemble de leur patrimoine sera transféré à la société Pharmacie G. Les associés des Pharmacies F et T ne pourront pas devenir des associés de la société absorbante, soit Pharmacie G. La fusion a également pour effet de faire disparaitre du bilan de la société absorbante toutes les actions des sociétés absorbées, qui sont remplacées par le patrimoine des sociétés absorbées. Le capital et les réserves de la société absorbante restent, eux, inchangées. La différence éventuelle entre la valeur comptable des actions détenues par la société absorbante et l’actif net des sociétés absorbées est traitée comptablement, selon une procédure que nous développerons ultérieurement .

PROCEDURE APPLICABLE EN DROIT DES SOCIETES

Projet de fusion : article 719 C.Soc.
Il est important que le projet de fusion, et la fusion qu’il décrit, respecte le code des sociétés et ses dispositions à plusieurs égards : si la fusion respecte les formalités requises par le droit des sociétés, elle pourra sortir ses effets, et le principe de continuité comptable sera d’application .

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Dans le projet de fusion qui nous retient, le titre dit ceci « projet de fusion établi conformément à l’article 719 du Code des sociétés ». Cet article mentionne les formalités établies par le droit des sociétés que le projet de fusion doit remplir afin que la fusion qu’il décrit puisse être effective. Ainsi, les organes de gestion des sociétés voulant fusionner doivent établir un projet de fusion, par acte authentique ou par acte sous-seing privé. Ce dernier doit mentionner, à tout le moins :

– La forme, la dénomination, l’objet et le siège social des sociétés appelées à fusionner ;
– La date à partir de laquelle les opérations de l’absorbée sont considérées du point de vue comptable comme accomplies pour le compte de l’absorbante ;
– Les droits assurés par l’absorbante aux associés des absorbées qui sont titulaires de droits spéciaux, ainsi qu’aux porteurs de titres autre que les actions, ou les mesures proposées à leur égard ;
– Tous les avantages particuliers attribués aux membres des organes de gestion des sociétés appelées à fusionner .

Dans le cas d’une fusion silencieuse, aucune mention ne devrait figurer quant aux droits assurés par l’absorbante aux associés des absorbées, ou relative aux avantages particuliers attribués aux membres des organes de gestion des sociétés appelées à fusionner, puisque les associés de la société absorbée ne deviennent pas des associés de la société absorbante. Au moins six semaines avant l’assemblée générale destinée à se prononcer sur la fusion, le projet de fusion doit être déposé par chaque société appelée à fusionner au greffe du tribunal de commerce du lieu d’établissement de leur siège social respectif et publié, par extrait ou mention . Le projet de fusion des sociétés Pharmacie F, T et G est établi par acte sous seing privé en commun par les gérants et administrateurs des sociétés appelées à fusionner. Ce sont eux qui procéderont au dépôt du projet au Greffe du Tribunal de commerce compétent. Ce projet présente, au premier point, les sociétés appelées à fusionner. Ainsi, il donne leur forme juridique, leur dénomination, leur objet ainsi que leur siège social. Il respecte ainsi le prescrit de l’article 719, §1, 1° du Code des sociétés. Le second point correspond à l’article 719, §1, 2° du Code des sociétés qui prévoit que le projet de fusion doit mentionner la date à partir de laquelle les opérations de la société absorbée sont considérées du point de vue comptable comme accomplies pour le compte de la société absorbante. En l’espèce, il s’agit du 1er janvier 2011. Cette date revêt une importance particulière car le 18 janvier 2012, la loi du 8 janvier 2012 modifiant le Code des sociétés à la suite de la directive 2009/109/CE en ce qui concerne les obligations en matière de rapports et de documentation en cas de fusions ou de scissions est entrée en vigueur. Elle ne s’applique qu’aux procédures de fusions et de scissions dont les projets ont été déposés au greffe compétent après cette date.

Les points 3 et 4 du projet de fusion reprennent respectivement les 3° et 4° de l’article 719, §1 du Code des sociétés, et confirment qu’il s’agit bien d’une fusion silencieuse, puisqu’aucun actionnaire de la société absorbée n’a de droits spéciaux, qu’il n’existe aucun titre autre que les actions et qu’aucun avantage particulier n’a été attribué aux gérant et administrateurs. Le projet de fusion des Pharmacies F, G et T reprend à la lettre, et dans l’ordre, le prescrit de l’article 719, §1, 1° à 4° du Code des sociétés.

Table des matières

A. INTRODUCTION
B. PROJET DE FUSION SILENCIEUSE ENTRE LA SOCIETE « PHARMACIE G » ET LES SOCIETES « PHARMACIE T » ET « PHARMACIE F »
C. FUSION SILENCIEUSE : DEFINITION ET PROCEDURE APPLICABLE EN DROIT DES SOCIETES
A) DEFINITION
B) PROCEDURE APPLICABLE EN DROIT DES SOCIETES
1) Projet de fusion : article 719 C.Soc
2) Articles 720 à 727 C.Soc
D. TRAITEMENT COMPTABLE D’UNE FUSION SILENCIEUSE
A) PRINCIPE DE CONTINUITE COMPTABLE
B) PRINCIPE DE COMPTABILISATION
C) DEROGATIONS AU PRINCIPE
1) Goodwill de fusion (moins-value)
2) Badwill de fusion (plus-value)
E. TRAITEMENT FISCAL D’UNE FUSION SILENCIEUSE
A) OPERATIONS COUVERTES
B) CONDITIONS D’IMMUNISATION
1) Société résidente ou intra-européenne
2) L’opération est réalisée conformément aux dispositions du code des sociétés et, le cas échéant, conformément aux dispositions analogues du droit des sociétés applicables à la société intra-européenne ou bénéficiaire
3) Disposition anti-abus
C) CONSEQUENCES DE L’IMMUNISATION
1) Introduction
2) Principes généraux
3) Particularités dans le cadre d’une fusion silencieuse
F. IMPOTS INDIRECTS
A. T.V.A
B. DROIT D’ENREGISTREMENT
G. FUSION SILENCIEUSE ENTRE LA SOCIETE PHARMACIE G ET LES SOCIETES PHARMACIE T ET PHARMACIE F
1) Fusion immunisée
2) Traitement comptable
3) Traitement fiscal
H. CONCLUSION

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