Émergence de la notion de tourisme alternatif
Bien entendu, malgré des bénéfices sociaux et économiques incontestables, une industrie aussi importante que le tourisme amène son lot de conséquences négatives pour les communautés hôtes, notamment dans le cas du tourisme que l’on qualifie de masse, que ce soit sur les plans social, environnemental, culturel, économique, etc. (Burgos & Mertens, 2017; Fiorello & Bo, 2012; Parent, Klein, & Jolin, 2009; Delisle & Jolin, 2007; Urbain, 2002; Lequin, 2001 ; Butler, 1992). Ces conséquences remettent en question la durabilité, à long terme, du tourisme comme outil de développement des communautés (Burgos & Mertens, 2017). C’est donc dans une optique de contestation face au tourisme de masse que l’on voit apparaître, entre les années 1950 et 1960, la notion de tourisme altematif(Lapompe-Paironne, 2015; Delisle & Jolin, 2007; Pearce, 1992). Ce mouvement contestataire « pousse sur les chemins routards et hippies à la recherche d’expériences rares» (Lapompe-Paironne, 2015, p. 48). Il faudra cependant attendre jusqu’au début des années 1980 pour voir apparaître le terme « alternatif» dans la littérature scientifique et jusqu’en 1989 pour que l’Organisation Mondiale du Tourisme adopte officiellement l’expression alternative tourism (Lapompe-Paironne, 2015).
Si, à la base, l’expression « tourisme alternatif » servait surtout à justifier les bonnes pratiques touristiques, son approbation par le milieu scientifique en a grandement fait évoluer le sens. En effet, au fil des années « les travaux universitaires vont faire basculer cette notion vers une définition alliant à la fois le rejet du tourisme de masse et la recherche d’une expérience considérée comme aut.hentique » (Lapompe-Paironne, 2015, p. 53). L’ intégration de la notion d’expérience à la définition du tourisme alternatif donne un poids important aux nouvelles pratiques et demandes des touristes (Lapompe-Paironne, 2015; Barthon & Lequin, 2011 ; Lequin, 2001). Cette compartimentation du tourisme alternatif mène à l’émergence d’une multitude d’expressions qui mettent l’accent sur les différentes valeurs qui y sont rattachées de manière plus ou moins explicite telles que l’écotourisme, le tourisme solidaire ou encore le tourisme équitable (Delisle & Jolin, 2007). Face à cette pluralité de typologies et de définitions, on assiste, au début des années 1990, à l’émergence de l’expression « alternative forms of tourism ».
Selon LapompePaironne (2015), celle-ci est entre autres mise de l’avant par les membres de l ‘International Academy for the Study of Tourism dans leur ouvrage intitulé Tourism Alternatives. Cette expression plus englobante illustre bien l’ idée selon laquelle il n’existe pas seulement une, mais bien plusieurs formes de tourisme offrant une alternative au tourisme traditionnel dit de masse (Nash & Butler, 1990). Selon Kottelat (20 Il), « force est de constater que le tourisme alternatif, quelle que soit sa forme, ne bénéficie pas d’une unicité de représentation» (p. 336). En d’autres termes, il ne semble pas y avoir de définition qui fasse l’unanimité. Tourisme durable, responsable, solidaire, social, communautaire ou équitable; les différences demeurent difficiles à cerner. Pour Delisle et Jolin (2007), [ .. . ] les organismes qui font la promotion de cet « autre tourisme » s’ affrontent sur le terrain de la sémantique. Les différentes expressions s’appuient cependant sur un socle de valeurs communes qui se déclinent différemment selon les continents et les pays, selon les cultures et les ressources. (p. 39) À cet effet, leur ouvrage Un autre tourisme est-il possible?, consacre un chapitre entier (Des mots pour le dire) à l’explication générale des formes alternatives de tourisme les plus populaires ou du moins celles pour lesquelles les expressions utilisées peuvent parfois porter à confusion. Pour Delisle et Jotin (2007), les différentes formes de tourisme évoluent sur un double continuum (voir Figure 1) selon « des degrés divers de conscientisation, de responsabilisation et de participation permettant d’atteindre un véritable tourisme durable» (p. 61), c’ est-à-dire un tourisme« qui tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs » (Organisation Mondiale du Tourisme, 2017). Sur ce double continuum, les auteurs proposent un point de vue fort intéressant qui facilite la compréhension des différentes formes de tourisme. En effet, ceux-ci les divisent en deux grandes catégories; celles qui dépendent des visiteurs et celles qui découlent des actions des visités.
Une première piste de réflexion
C’est en suivant cette logique qu’en 2013, dans le cadre d’un projet de fin d’études au baccalauréat en loisir, culture et tourisme, une étude sur les facteurs de réussite du tourisme communautaire a été réalisée à travers le cas précis de La Vieille Usine de L’Anse-à-Beaufils en Gaspésie. Ce projet touristique avait été sélectionné pour deux principales raisons. Premièrement parce qu’il s’appuyait sur les principes de base du tourisme communautaire et deuxièmement parce qu’il était (et est encore aujourd’hui) un exemple de réussite reconnu dans plusieurs domaines dont le tourisme, le développement communautaire, la diffusion en arts de la scène et l’entrepreneuriat collectif. L’Anse-à-Beaufils était, en 1997, un petit village gaspésien, près de Percé, d’à peine 3 000 habitants qui subissait une dévitalisation en raison, entre autres, de l’exode de la population, d’un taux de chômage élevé et d’une économie fragile et peu diversifiée (pêche et tourisme). Au coeur du village, une ancienne usine de transformation de poissons laissée à l’abandon assombrissait le paysage et ne faisait que témoigner aux habitants du déclin de leur milieu de vie. Suite à ce constat, un couple de Beaufilois décide d’élaborer un plan de revitalisation pour ce bâtiment et, de porte en porte, convainc d’autres citoyens d’investir dans le projet.
Un an plus tard, 49 personnes de L’Anse-à-Beaufils, s’ unissent à travers la création d’un OBNL et investissent, de leurs poches, pour racheter l’ancienne usine, la rénover et en faire un havre culturel touristique qui ouvrira officiellement ses portes en juin 2000. Le lieu contient aujourd’hui une salle de spectacle professionnelle de 130 places, une galerie d’ art, un studio d’enregistrement et un café-bistro qui met en valeur les produits locaux et régionaux. Depuis sa création, le projet de La Vieille Usine a reçu de nombreux prix et distinctions qui témoignent de sa grande réussite (Grands prix du tourisme québécois, ROSEQ, les Arts et la Ville, etc.). Actuellement, avec environ 100 jours d’exploitation par année, ce lieu touristique présente 80 spectacles, accueille 20 000 visiteurs et emploie une trentaine de personnes dont 95 % sont des locaux. Selon les témoignages recueillis, le projet a permis une augmentation des sentiments de fierté et d’appartenance des résidents, ainsi qu’un certain empowerment. En effet, plusieurs autres petits commerces ont vu le jour dans le village dont la microbrasserie Pit Caribou, le Magasin général historique et le bar laitier Aux Glaces de l’Anse.
Des sentiers de randonnée pédestre ont été développés à proximité, un pont piéton permet de se déplacer d’un côté à l’autre du havre de pêche, des aménagements ont été faits pour faciliter l’accès à la plage, etc. En somme, cette démarche témoigne de plusieurs principes de base et retombées ciblées par le tourisme communautaire dont la pnse en charge par la communauté, la protection et la mise en valeur des patrimoines, la gouvernance participative, l’augmentation des sentiments de fierté et d’appartenance, la diversification économique et l’amélioration des conditions générales de vie. À l’époque, un premier cadre de référence inspiré des propos de plusieurs auteurs, dont Guedda (2009), Parent et al. (2009) et Scheyvens (1999) avait été élaboré. Des entretiens réalisés auprès de quatre acteurs impliqués dans le projet (un représentant du CLD et de l’ATR, un membre de l’équipe de gestion et deux citoyens leaders du projet) avaient par la suite permis de confirmer ou d’infirmer les diverses dimensions contenues dans la proposition d’un modèle (voir Figure 2). Les éléments en noir qui se retrouvent dans la figure sont ceux qui, selon les résultats obtenus lors de cette étude, ont été confirmés comme étant des facteurs de réussite du projet.
Les éléments en mauve accompagnés d’un astérisque (*) sont ceux qui, suite à la collecte de données, semblent avoir joué un rôle dans la réussite du projet sans toutefois avoir été concrètement évoqués ou approuvés par les propos des répondants. L’élément en rouge surligné d’un trait pourrait, selon cette étude, être supprimé du modèle. Finalement, les éléments bleus et soulignés sont ceux qui, à la lumière des propos des répondants, devraient être ajoutés au modèle (Thériault, 2013). Tel que mentionné précédemment, ce cadre de référence est issu d’une seule étude de cas menée dans le cadre d’un travail de fin d’études au baccalauréat et que, par conséquent, son niveau scientifique demeure basique. Il est ainsi possible d’en faire une certaine critique. À cet effet, le concept de développement local à travers le tourisme communautaire n’a été qu’effleuré alors que certains auteurs comme Parent et al. (2009) y voient un lien privilégié. Il sera ainsi nécessaire de s’y attarder davantage. De plus, l’expression« facteurs de réussite » avait alors été employée sans pour autant être documentée. Étant donné que la réussite et le succès sont des notions subjectives qui peuvent souvent être questionnées, il devient essentiel de documenter cette expression afin de justifier son utilisation pour la présente recherche. Il en sera plus explicitement question dans la section 2.4 de ce mémoire.
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