Le tokamak Tore Supra, diagnostics et méthodes
Caractéristiques générales de Tore Supra
Sur Tore Supra, le champ magnétique toroïdal est crée par 18 bobines supraconductrices constituées d’un alliage Niobium-Titane, et refroidies à 1.8K par un bain d’Hélium superfluide. Le champ magnétique toroïdal peut atteindre jusqu’à 4.2 T au centre du plasma ; pour un usage courant celui-ci est toutefois limité à 3.85 T. Il peut être maintenu à la même valeur pendant toute une journée expérimentale. Le système de champ poloïdal se compose d’un solenoïde central servant à induire le courant plasma et de 8 circuits contrôlant l’équilibre (forme, position du plasma,…) . Les conducteurs sont en cuivre, à la différence du système de champ toroïdal. Le courant plasma est induit par le circuit A (sur la figure 3.1a), via un circuit magnétique en fer saturé. Le flux total disponible est limité par les valeurs extrêmes acceptables pour le courant traversant A : ±40kA. La valeur maximale de courant plasma atteignable est 57 Le tokamak Tore Supra, diagnostics et méthodes (a) Schéma simplifié du système poloïdal. (b) Intérieur de Tore Supra : principaux appuis et antenne (source www.fusionmagnetique.cea.fr) Fig. 3.1: Le tokamak Tore Supra de 2 MA, mais en pratique celle-ci est limitée à 1.5 MA afin de minimiser les risques de dommages causés par une disruption. Le contact plasma/ surfaces matérielles s’effectue au niveau d’un des limiteurs. Sur Tore Supra, trois différents appuis sont possibles, visibles sur la figure 3.1b . Le principal limiteur, axi-symétrique, est le Limiteur Pompé Toroïdal (ou LPT), refroidi activement et capable de supporter des flux de chaleur de 10 MW/m2 . L’appui peut également s’effectuer sur les anneaux de garde côté intérieur, et sur le Limiteur de Protection d’Antenne (LPA) côté extérieur. Ces deux éléments, le LPA en particulier, ne sont pas capables d’absorber des flux de chaleur aussi importants que le LPT. Quatre systèmes de chauffage additionnels sont installés sur Tore Supra : – le chauffage à Fréquence Cyclotronique Ionique ou FCI : trois antennes peuvent délivrer une puissance maximale d’environ 12MW (4MW/ antenne). La gamme de fréquence est 40-80MHz. – le chauffage à fréquence hybride basse ou LH : s’effectue à 3.7GHz. Jusqu’en 2009, deux antennes étaient capables de délivrer respectivement 2MW et 4MW de puissance. Une nouvelle antenne capable de d’injecter 3 MW a été installée à la place de l’antenne de 2MW, à l’occasion d’un arrêt des opérations entre Décembre 2008 et Octobre 2009. – le chauffage à Fréquence Cyclotronique Electronique ou FCE : 800kW peuvent être injectés par 2 gyrotrons. – l’Injection De Neutres ou IDN : délivre une puissance relativement faible en comparaison avec les systèmes FCI et LH. Son utilisation est orientée vers un usage diagnostic, 58 notamment pour la Spectroscopie d’Echange de Charge. Les particules neutres sont accélérées à des énergies comprises dans la gamme 50-80keV. La puissance maximale pouvant être injectée est proche de 800kW.
Diagnostics
Dans cette section, plusieurs diagnostics dont les données sont utilisées dans la suite de l’étude sont décrits brièvement. Il s’agit des mesures magnétiques, de la Spectroscopie de Recombinaison d’Echange de Charges (CXRS), de l’interférométrie, de la réflectométrie, des mesures d’Emission Cyclotronique Electronique (ECE). Mesures magnétiques La position de la dernière surface magnétique fermée du plasma est déterminée grâce à une série 51 bobines mesurant la composante radiale de B et 51 bobines mesurant sa composante poloïdale. Celles-ci sont placées à l’extérieur de la chambre à vide, au niveau d’un cercle de rayon 91.6cm centré en R = 2.42m, Z = 0. A partir des mesures et d’un développement de type Taylor, le flux poloïdal au voisinage des bobines peut être évalué. L’endroit de la paroi où le flux est maximal est le point de contact avec le plasma ; la surface isoflux correspondante est la dernière surface magnétique fermée. Celle-ci est paramétrée par les 5 grandeurs suivantes : les coordonnées du centre (Rp, Zp), le petit rayon a, l’ellipticité ǫ et la triangularité τ (toutes homogènes à des longueurs). Soit : R(θ) = Rp + a cos(θ + τ a sin3 θ) Z(θ) = Zp + (a + ǫ) sin(θ) (3.2) L’angle θ est mesuré à partir du point (Rc, Zc). Ce paramétrage spécifique à Tore Supra 60 n’est en général pas employé dans d’autres tokamaks. L’ellipticité “usuelle” peut être déduite par b/a = (a + ǫ)/a. Par défaut, la frontière du plasma est circulaire : ǫ = τ = 0. La triangularité et l’ellipticité évoluent typiquement dans la plage [−10cm, 10cm]. Le petit rayon du plasma peut être réduit jusqu’à environ 50cm. Les mesures magnétiques permettent également d’accéder au courant plasma, et aux grandeurs associées au diamagnétisme : βp + li/2 (li étant l’inductance interne du plasma, et βp = 2µ0p/B2 θ ), énergie diamagnétique, temps de confinement,… . La valeur centrale ∆0 et le piquage piq∆ du profil du décentrement de Shafranov ∆ peuvent également être déterminés ; ce dernier est alors approximé par : ∆(ρ) ≃ ∆0(1 − ρ piq∆ ) De même, les paramètres j0 et νj permettant une approximation du profil radial de la densité de courant sous la forme j(ρ) = j0(1−ρ 2 ) νj sont évalués par les mesures magnétiques. Enfin, ces mesures déterminent la valeur du facteur de sécurité au bord, en tenant compte de la forme du plasma et de la valeur du ripple au niveau des capteurs. En plus du système utilisé pour contrôler en temps réel l’équilibre du plasma, un jeu de bobines magnétiques est spécialement dédié aux mesures des fluctuations associées à l’activité MHD [Moreau 03]. Les fluctuations Bθ sont mesurées, d’une part via une série de 23 bobines Mirnov placées sur un même plan poloïdal (ϕ =7.5°) côté fort champ entre les position angulaires θ =83° et θ =248°, d’autre part via 10 bobines sont placées à différentes position toroïdales, au même angle poloïdal θ =180°. Ceci permet une détection des modes pour lesquels (m, n)<(20, 6). Toutefois, des oscillations à une fréquence supérieure à 10kHz ne peuvent pas être détectées car les bobines sont placées derrière des tuiles de Carbone filtrant les fluctuations à haute fréquence..
Spectroscopie d’échange de charges (CXRS)
La spectroscopie d’échange de charges mesure la température et la vitesse de rotation toroïdale de l’impureté Carbone. Sur Tore Supra, ces propriétés sont déduites du décalage en fréquence et de l’élargissement de la raie associée aux réactions de recombinaison d’échange de charge C 6+ + H 0 → C 5+(n = 8) + H + C 5+(n = 8) → C 5+(n = 7) + hν (529.1 nm) 61 Cette réaction s’effectue entre une impureté Carbone C 6+ présente dans le plasma, et un atome neutre d’Hydrogène (ou Deutérium) injecté par IDN. Sur Tore Supra, l’énergie des particules neutres est comprise dans la gamme 50-80 keV (pour l’Hydrogène). Les caractéristiques du faisceau sont décrites dans [Simonin 02]. La zone de mesure correspond à l’intersection entre le faisceau et l’une des lignes de visées du diagnostic. Le système possédait 8 lignes de visées tangentielles ; 7 lignes supplémentaires ont été ajoutées en 2008 [Gil 09]. Les mesures sont usuellement effectuées du côté faible champ. La résolution spatiale est de l’ordre de 2 cm au bord du plasma et de 6 cm dans le coeur. Une durée typique d’intégration nécessaire pour que le rapport signal sur bruit soit acceptable est 200ms. Des problèmes de saturation de pompe réduisent la fenêtre temporelle des tirs IDN : pour cette raison, le nombre d’instants d’acquisition d’un profil par CXRS est souvent limité à un ou deux par décharge.
Interférométrie
L’interférométrie est utilisée pour mesurer la densité électronique ne intégrée le long d’une ligne de visée. En effet, l’indice optique du plasma vaut, pour une onde polarisée en mode O (champ électrique de l’onde parallèle au champ magnétique du plasma) et de pulsation ω N 2 = 1 − nee 2 mǫ0ω2 La traversée du plasma est à l’origine d’un déphasage ∆φ = R ω(N − 1)/c dl par rapport à un faisceau de référence ayant parcouru la même distance dans le vide. La mesure de ∆φ par comparaison avec une onde de référence permet ainsi d’accéder à la densité électronique intégrée sur la trajectoire. Une estimation du ne local peut en être déduite par inversion d’Abel. L’interféromètre de Tore Supra [Gil 07] comporte 10 lignes de visées, représentées à la figure 3.3. Deux longueurs d’onde sont utilisées : 119 µm (laser H2O) et 194 µm (laser DCN). L’interféromètre est de type Mach-Zender, avec une fréquence du faisceau de référence decalé de 100 kHz par un réseau tournant. Ceci limite à 10µs la résolution temporelle, afin de pouvoir observer un nombre suffisant de périodes de battement de la somme {signal détecté + signal de référence}. En utilisation “lente”, la résolution temporelle du diagnostic est 1 ms.
Réflectométrie
La réflectométrie permet également de déterminer la densité électronique ; elle possède l’avantage d’effectuer des mesures locales. Cette technique est basée sur la mesure du temps de vol d’un faisceau micro-onde lancé en incidence normale et réflechi sur la couche de coupure 62 1.5 2 2.5 3 −1 −0.5 0 0.5 1 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 R (m) Z (m) Fig. 3.3: Position des 10 cordes de l’interférométrie où l’indice optique N s’annule. Le déphasage associé au parcours du faisceau, par rapport à un signal de référence vaut : φ = 4πF c Zrc N(r)dr − π 2 où rc est la position radiale de la couche de coupure, et l’intégration sur l’indice optique N est réalisée le long d’un demi- trajet du faisceau partant de l’antenne. Le terme π/2 supplémentaire est causé par la réflection à la couche de coupure. Le déphasage φ est mesuré par détection hétérodyne. Différentes positions radiales sont sondées au cours d’un balayage de la fréquence F. Celui-ci est suffisamment rapide (20 µs) pour que les fluctuations turbulentes du plasma apparaissent figées. A partir de la mesure de l’ensemble des φ(F), un profil de densité peut être reconstruit : une détermination de l’indice optique N est effectuée de proche en proche, en partant du bord du plasma. Pour que l’initialisation de la reconstruction du profil soit possible, la fréquence correspondant à une réflection au bord du plasma doit être comprise dans la plage de fréquences balayées. L’initialisation peut également être effectuée à partir d’une mesure séparée de la densité par d’autres diagnostics. Sur Tore Supra [Clairet 03, Sabot 06, Gil 09] le réflectomètre DREFLEC, installé depuis 2001, fonctionne dans les bandes V (50-75GHz) et W (75-110GHz). Le réflectomètre DREFLUC a été ajouté plus récemment ; celui-ci est effectue des mesures dans le coeur du plasma et utilise la bande D (100-155 GHz). Il existe également un troisième réflectomètre dans la gamme 33-50 GHz, pouvant être occasionnellement installé pour les mesures à faible champ magnétique (B0 < 2.2T). Pour tous ces réflectomètres, l’onde incidente est polarisée en mode X, ce qui présente l’avantage par rapport au mode O de pouvoir mesurer la densité côté fort 63 champ (l’onde étant lancée côté faible champ) et dans la SOL, ce qui permet d’initialiser la mesure. Pour le mode X, la fréquence de coupure est la coupure haute (FXh sur la figure 3.4),