Le terrain et la démarche ethnographique
Le chercheur qui souhaite décrire l’activité salariée des intérimaires doit composer avec le caractère intermittent et discontinu de celle-ci. Les lieux d’enquêtes sont multiples et dispersés, les déplacements de ces travailleurs sont fréquents et leurs affectations sont diverses. Circonscrire ce terrain a donc nécessité certaines adaptations méthodologiques. Je propose ici de rendre compte des principaux outils auxquels j’ai eu recours afin de saisir la situation sociale des travailleurs temporaires dans les entreprises utilisatrices. Dans un premier temps, je présenterai la localité dans laquelle s’est située l’enquête. La ville de Grasse, l’industrie des parfums et des arômes retiendront particulièrement notre attention. J’exposerai ainsi quelques caractéristiques de l’intérim grassois et des salariés qui travaillent sous ce statut. Afin d’entrer plus en détails dans le contenu des missions qu’ils peuvent effectuer mais surtout dans l’objectif de décrire mes principaux espaces d’observation, je recenserai brièvement les entreprises qui m’ont employé. En effet, c’est en me faisant embaucher et en travaillant parmi les intérimaires que j’ai pu observer le plus « directement1 » possible leur quotidien dans les unités de production. Ainsi, dans un second temps, je préciserai ma posture méthodologique. Il s’agira de pointer quelques adaptations pratiques imposées par l’entrelacement de la participation aux activités de travail et de recherche. La posture de l’ethnologue dans l’entreprise (lieu de rapport de pouvoir et de subordination) sera questionnée et soumise à une analyse réflexive. Enfin, je m’emploierai également à préciser mon rapport avec cet objet de recherche à partir d’éléments de mon parcours personnel.
L’INTERIM A GRASSE ET SES ENVIRONS
L’enquête ethnologique proposée dans cette Thèse se situe en France, dans le département des Alpes-Maritimes et, plus particulièrement, dans la ville de Grasse et des zones industrielles de ses environs (situées à Mouans-Sartoux, Cannes La Bocca, Opio, Valbonne, Sophia Antipolis, etc.). Grasse est une ville de plus de 50 000 habitants renommée pour sa production de secteur. Il serait trop long d’énumérer ce qui évoque le parfum dans cette ville : des panneaux publicitaires aux décors des ronds points, des statues aux noms des rues, des musées aux « visites d’usines », des évènements annuels (autour du jasmin ou de la rose) aux parcours ils vendent des parfums dits « de niche » profitant de la notoriété du passé grassois pour faire face à la concurrence des grands groupes qui produisent en masse. Les intérimaires travaillent rarement dans ces « usines-musées » mais dans des sites qui mobilisent parfois plusieurs centaines de salariés. Les travailleurs temporaires se retrouvent également dans des unités de production plus modestes, souvent sous-traitantes, de la apparaît. Il s’agit alors de masquer l’odeur de ces peaux (afin de parfumer les gants, par exemple). L’industrie du parfum va progressivement se développer du XIXème jusqu’au milieu du XXème siècle. L’organisation économique et sociale de la ville était alors centrée autour de verriers, ferblantiers, bouchonniers, chaudronniers, imprimeurs, transporteurs, etc. Les cultures florales étaient nombreuses. La majorité de la population grassoise travaillait alors dans les champs ou dans ces usines « traditionnelles » ou « familiales ». A partir des années 1950, les transformations de la production vont, en partie, faire perdre à l’industrie grassoise sa place dans l’industrie mondiale. Ce déclin relatif va s’opérer avec l’arrivée des substituts de synthèse (avec une délocalisation de la culture florale et des savoir- faire) et se poursuivra jusque dans les années 1960 avec les premiers rachats par les grandes firmes spécialisées dans la chimie. De l’extraction du parfum et des arômes, la production se concentre depuis sur les compositions et les techniques de purification ou de finition de produits en grande quantité. C’est dans ce contexte que se révèle la « fragilité structurelle de l’industrie grassoise » selon Ariel Mendez2. A partir des années 1980, l’arrivée massive d’investisseurs étrangers à la zone va entrainer nombre de restructurations, de rachats et de reventes, des délocalisations, des fermetures d’usines et la prolifération de la sous-traitance. Aujourd’hui, l’industrie du parfum et des arômes à Grasse représente 70 établissements de tailles variables. La moitié des entreprises comptent aujourd’hui moins de 50 salariés : « Les restructurations des années 80 ont abouti à ce qu’une part significative de l’emploi est « Dans cette perspective Grasse est une « verrue » dans le paysage. Le développement de Sophia Antipolis n’a fait que renforcer cette conception pendant des années. Pour le département, Sophia Antipolis, avec ses activités high-tech, propres, ses salariés qualifiés, constituent une vitrine technologique, à l’opposé de Grasse, à l’activité industrielle, traditionnelle.