Le temps et la langue
Introduction
Avant d‟entamer notre travail sur l‟inférence textuelle, nous avons besoin d‟explorer la notion du temps dans ses différentes bannières, d‟abord par rapport à la logique modale et aussi par rapport à la langue. Le mot « temps » recouvre plusieurs significations en français, et il est nécessaire pour la compréhension de distinguer le temps grammatical du temps notionnel. Le second est représenté en logique par une ligne droite et infinie, avec un point marquant le présent et séparant le passé du futur. Le temps grammatical désigne les marques linguistiques utilisées pour exprimer le temps notionnel dans le langage (l‟imparfait, le présent de l‟indicatif, etc.…). Dans ce qui suit nous allons explorer ces deux notions du temps, du point de vu logique avec ces différentes représentations (structure de points, structure d‟intervalles, événement et Allen) ensuite au point de vu langage. Nous terminons avec une étude sur l‟inférence temporelle élaborée par l‟un des groupes les plus abouti dans le domaine. 2) La structure de points La conception du temps est couramment reliée à la notion de point ou d‟instant sur un axe temporel. Les points permettent en effet d‟utiliser les structures de nombres (entiers, rationnels ou réels). Cette conception est largement utilisée dans la modélisation de phénomènes évoluant dans le temps. Cette structure temporelle doit être manipulée avec un langage logique ; la logique du temps, historiquement très liée au développement des logiques modales. Elle est basée sur les connecteurs logiques habituels () et les opérateurs temporels P (passé) et F (futur). Ainsi, si l‟action de chanter effectuée par John est notée p, on aura les représentations suivantes : – John chante : p – John chanta : Pp – John chantera : Fp – John avait chanté : PPp (on se place dans le passé d‟un point situé au passé lui-même) – John aura chanté : FPp Ces formules seront enrichies avec de nouveaux opérateurs similaires à ceux utilisés en logique modale (Bras, 1990). Toutes les logiques dérivées de la logique du temps sont basées sur une ontologie de points. Nous allons maintenant nous intéresser à des ontologies d‟intervalles.
La structure d‟intervalles
Du point de vue philosophique, il semble que le concept de point dépourvu de durée ne correspond pas à la réalité : Du point de vue linguistique, il est encore plus évident qu‟une entité ponctuelle est mal adaptée pour l‟expression de la référence temporelle. Même les expressions dites ponctuelles se référent à des périodes étendus, comme dans les exemples suivants : A six heures précises, Harry quitta son bureau. Une structure d‟intervalle est définie par < I, <, >, avec I un ensemble non vide d‟entités temporelles, des relations de précédence (<) et d‟inclusion (). Voici quelques propriétés de cette structure : est un ordre partiel, elle est en effet : Réflexive : (xxx. Antisymétrique : (x(y(xy yx xy). Transitive : ( x ( x x yyz x z). Nous pouvons également remplacer la relation (par la relation O (overlap) qui exprime que deux événements ont une partie commune, et définie par rapport à l‟inclusion: xOy (z) (zx zy) La mise en place des logiques temporelles basées sur les sémantiques d‟intervalles amènent à des résultats relativement complexes, qu‟il n‟est pas nécessaire d‟exposer ici. Des critiques ont été adressées aux sémantiques d‟intervalles, notamment en ce qui concerne la difficulté de définir la vérité d‟une proposition (vraie sur toutes intervalles ? sur au moins l‟un deux ?). Ces problèmes ont provoqué la nécessité de concevoir une entité plus globale et plus complète.
La structure d‟événements
L‟événement est une nouvelle entité primitive, de durée non nulle et fini, correspondant intuitivement à des fragments de notre perception du monde. Pour les linguistes comme pour les philosophes, les logiciens et les spécialistes de l‟intelligence artificielle, la tendance est de préférer les événements aux intervalles car les événements ont une structure à portée non seulement temporelle, mais aussi spatiale. Davidson a proposé de traiter les événements comme des objets, ajoutant à l‟ensemble des individus d‟un modèle, un ensemble d‟événements, par exemple, la phrase Marie aime Paul n‟est plus représentée par aimer (Paul, Marie), mais par : Aimer(e, Paul, Marie) Une structure d‟événement est définie par Kamp par le triplet, où E est un ensemble d‟entités de base non nulle, est la relation de précédence, et O la relation de recouvrement si e1Oe2 alors une partie de e1 au moins a eu lieu en même temps que e2. est asymétrique : (e1 e2) (e2 e1) est transitive : (e1 e2) (e2 e3) (e1 e3) O est symétrique : (e1 e2) (e2 e1) O est réflexive : (e1 e2) Principe de séparation : (e1 e2) (e1 e2) Transitive mixte : (e1 e2) (e2 e3) (e3 e4) (e1 e4) Principe de linéarité : (e1 e2) (e1 e2) (e2 e1) Ces conditions minimales sont dictées par l‟intuition lorsque nous avons des événements et des relations qui les lient. Nous avons présenté trois ontologies (structures de points, structures d‟intervalles et structures d‟événements). Il est fondamental de séparer le niveau temporel (points et intervalles) du niveau relatif à l‟expérience du monde (événements). En effet, si les relations définies dans les structures d‟événements sont des relations temporelles, les événements sont également des expériences, des « faits » qui ont lieu et qui déterminent la structure du temps. C‟est pourquoi nous pouvons dire que la logique d‟Allen, que nous allons présenter, permet de rattacher les deux notions.