Le temps d’une ébauche
Acte I : Une entrée en matière d’une grande richesse
Prologue : Lundi 12 juillet 2021, 14h36 autoroute A4 direction Reims. Je suis assise sur la banquette arrière de la petite Ford Fiesta de Violette qui nous conduit toutes deux ainsi qu’Amélie et Marion au cœur des Ardennes, dans un petit village du nom de Tourteron. Alors que je regarde défiler le paysage à 110 km/h je repense à ce qui m’a menée ici, en cet instant. En intégrant l’Institut de Formation en Psychomotricité (IFP) de la Pitié-Salpêtrière en 2019, j’ai très vite voulu rejoindre sa vie associative et, entres autres, l’association « Psychomotricité Sans Frontières » dont je suis devenue la vice-présidente l’année suivante. L’objectif initial était de partir un mois au Sénégal dans un foyer pour enfants talibés. Plus le temps passait moins je me retrouvais dans ce projet à l’étranger et, avec trois autres étudiantes de l’association, Amélie, Marion et Violette nous avons fait le choix alternatif de réaliser une action de solidarité internationale en lien avec nos études, en France. Aussi, dès décembre 2020, nous avons décidé de chercher une association travaillant auprès de populations migrantes. La question des mineurs non accompagnés (MNA) est venue nous percuter.
Chapitre 1 : Une population bien spécifique ; les MNA en France
Samedi 6 février 2021, 17h34, un café animé rue Mouffetard. A la table de quatre autour de laquelle nous sommes installées résonne le cliquetis du clavier de l’ordinateur d’Amélie. Tout en sirotant nos boissons chaudes, Amélie, Violette, Marion et moi échangeons autour de nos recherches sur ce qui est devenu depuis quelques semaines notre nouveau sujet de prédilection : les MNA. Nous ne connaissions que très peu cette population. Nous en entendions parler à gauche et à droite, entre médias, récit littéraire et communiqué associatif. En creusant nous en avons appris beaucoup.
MNA ? Définitions:
Selon l’Office français de protection des réfugiés et apatrides(OFRA) les mineurs non accompagnés sont « des demandeurs d’asile âgés de moins de 18 ans qui ne sont accompagnés ni de leur père, ni de leur mère et qui ne relèvent par ailleurs de la responsabilité d’aucun adulte mandaté pour les représenter ». Le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CEDESA) entend par mineur non accompagné « un mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de ses représentants légaux. ». MIE ou MNA ? A l’origine ces jeunes étaient appelés Mineurs Isolés Etrangers, le terme d’Exilés ayant pu parfois également être utilisé, soit MIE mais depuis mars 2016 ils sont plutôt dénommés MNA par les institutions (Mineur Non Accompagné). La plupart des associations continue d’utiliser le terme MIE qu’elles considèrent comme qualifiant plus justement la situation de ces jeunes. En effet, le terme MNA enlève la dimension d’étranger, alors que par définition ils ne sont pas (encore) français, ainsi que la dimension d’isolement qui est pourtant prédominante. Dans cet écrit, j’ai fait le choix d’utiliser le terme officiel de MNA.
Le statut juridique des MNA en France
Lorsque nous nous penchons sur la configuration juridique des MNA, nous réalisons vite que celle-ci est particulièrement complexe. En effet, leur situation double d’enfant et d’étranger fait qu’il se retrouve à la croisée de textes de lois souvent contradictoires. Les MNA sont des étrangers. Ne disposant pas de la nationalité française les MNA sont considérés comme des étrangers. Le CEDESA est le code regroupant les dispositions législatives et réglementaires relatives au droit des étrangers. Il est entré en vigueur le 1er mars 2005. Ce code reprend les principales dispositions législatives et réglementaires relatives aux étrangers en France soit les entrées sur le territoire : conditions d’entrée (dont le visa) et zone d’attente, les séjours (titres de séjour, conditions de séjour, aide au retour volontaire, regroupement familial) et les mesures d’éloignement (rétention administrative, reconduite à la frontière, expulsion, droit d’asile). Il mentionne le cas des mineurs non accompagnés et décrit les conditions de leur 7 demande d’asile via un « administrateur ad hoc » qui prend le rôle du tuteur légal. Il précise notamment que « L’étranger mineur de dix-huit ans ne peut faire l’objet d’une décision d’expulsion » (Article L611-3 du CEDESA) Les MNA sont avant tout des enfants. Les MNA, en tant que mineurs de moins de 18 ans sont considérés comme des enfants au regard de différentes législations nationales et internationales. Le dispositif juridique français de protection de l’enfance regroupe différentes sections du Code de l’Action Sociale et des Familles (CASF), du code civil et du code pénal. La brochure explicative du dispositif de protection de l’enfance de l’ONEP (Observatoire National de la Protection de l’Enfance) précise les articles de ces codes et décrit ainsi les obligations de droit de l’Etat envers les mineurs concernant notamment la santé, le logement, l’éducation et la protection. On peut par exemple citer les articles 375 du Code Civil et L.221- 1 du Code de l’Action Sociale et des Familles qui prévoient que des mesures de protection doivent être prises dès lors que « la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ». De plus, les MNA sont censés bénéficier du recueil d’urgence au titre de l’article L.223.2 du Code de l’action sociale et des familles : « En cas d’urgence et lorsque le représentant légal du mineur est dans l’impossibilité de donner son accord, l’enfant est recueilli provisoirement par le service qui en avise immédiatement le procureur de la République. » De même, au niveau international, il existe la Convention Internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE). La Convention énonce les droits fondamentaux qui sont ceux de tous les enfants du monde. Tous les droits reconnus dans la Convention sont inhérents à la dignité humaine et au développement harmonieux de chaque enfant. La Convention protège les droits des enfants en fixant des normes en matière de soins de santé, d’éducation et de services juridiques, civils et sociaux. « Les États signataires, s’engagent à défendre et à garantir les droits de tous les enfants sans distinction et à répondre de ces engagements devant 8 les Nations unies. » (UNICEF, 2020) Ainsi un mineur non accompagné est soumis à une juridiction particulière, différentes de celles des autres étrangers. Il ne peut être expulsé et bénéficie d’une protection particulière. L’Etat, par l’intermédiaire de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) doit prendre en charge les droits fondamentaux de ces enfants : soins de santé, éducation et services juridiques, civils et sociaux. Cependant, toute cette juridiction particulière repose sur la reconnaissance de la minorité des jeunes, chose qui n’est pas toujours aisée. Nous reviendrons dessus par la suite.
De leur pays d’origine à Paris, brève image d’un parcours migratoire
La plupart des jeunes pris en charge par les associations d’aide aux MNA viennent de pays d’Afrique de l’Ouest (Mali, Sénégal, Guinée, Côte d’Ivoire…). Les enquêtes sur le sujet sont trop vieilles mais, toujours selon les associations, cela correspond à la majorité des migrations de mineurs isolés en France. Selon l’association Azmari « 70% des MNA présents sur le territoire français viennent d’Afrique et particulièrement d’Afrique de l’Ouest (44%), du Sahel (27%), et d’Afrique du Nord (14%). 20 % viennent d’Asie (Bangladesh, Afghanistan et Inde), et seulement 8% d’Europe ». Ainsi, on peut également compter quelques Afghans et Bangladais au sein des associations mais en général ceux-ci ont plus recours au droit d’asile ou au regroupement familial (et ne sont donc pas considérés comme des MNA). Le site de l’association Droit à l’Ecole (DAE) évoque plusieurs raisons du départ de ces jeunes de chez eux, qui sont multiples et non exclusives : « Ces jeunes étaient en danger dans leur pays en proie à la guerre, ils ont fui la violence (persécutions, pillages, meurtres, viols) contre la population civile. / Ils ont été poussés au départ par leurs parents pour fuir la misère, pour qu’ils puissent avoir une vie meilleure. / Ils étaient utilisés comme force de travail non rétribuée et corvéable à merci et souffraient de maltraitance. / Ils ont été confiés à un membre de la famille élargie établi en France puis mis à la porte. / Par volonté d’émancipation de leur société d’origine et leur volonté d’étudier ou de poursuive des études. Pour tenter de retrouver un proche ayant déjà émigré. » (2021) Un parcours migratoire est long, difficile, violent et souvent mortel. Le récit de celui- 9 ci n’est pas demandé frontalement par les associations, sauf en cas de démarche juridique, donc on ne connaît que rarement les histoires individuelles. Cependant les témoignages décrivant les horreurs vécues sur le chemin ne manquent pas et permettent de reconstituer les parcours dit classiques. « La plupart du temps, ces mineurs ont traversé plusieurs pays dans des conditions abominables. Le voyage a souvent duré plusieurs mois. Ils ont subi des traitements dégradants et violents (viol, prostitution, esclavagisme, etc.). Ils ont vu mourir certains compagnons de voyage. Ils ont été abandonnés par le passeur. » (Association Droit à l’Ecole, 2021) Il existe deux parcours principaux pour les jeunes issus d’Afrique de l’Ouest. Le recours à un réseau de passeur est indispensable pour certaines étapes comme la traversée du Sahara ou de la Méditerranée. Chaque passage de frontières, chaque rencontre infortunée est l’occasion de les dépouiller de tous leurs biens et de les contraindre à demander de l’argent à leur famille en rançon. Ainsi, la plupart traverse le désert du Sahara pour finir par atteindre soit le Maroc soit la Lybie. La traversée du désert est un des moments les plus dangereux du parcours entre le manque d’eau et de nourriture, le froid de la nuit, la chaleur du jour, le risque de se perdre… sans compter sur la présence de groupe terroriste armé. Lorsque le parcours conduit au Maroc, ils sont souvent arrêtés dans des camps avant de pouvoir traverser la méditerranée vers l’Espagne. Ce premier pays de l’UE n’est souvent qu’un lieu de passage vers la France. Pour ceux dont le chemin s’oriente vers la Lybie, ils se retrouvent également dans des camps, des prisons. « Plus de 12 000 personnes sont officiellement détenues dans 27 prisons et centres de détention en Libye et des milliers d’autres sont détenues illégalement et souvent dans des « conditions inhumaines » dans des installations contrôlées par des groupes armés ou des installations « secrètes » » a déclaré le Secrétaire général des Nations Unies (ONU), Antonio Guterres dans un nouveau rapport. Ces endroits qualifiés « d’enfer sur terre » sont dénoncés par de très nombreuses Organisation Non Gouvernementale (ONG) internationales pour leur pratique de l’esclavage, leur maltraitance, leurs violences physiques et sexuelles. Beaucoup meurt dans ces prisons avant d’avoir tenté la traversée. Pour ceux à qui il reste un peu d’argent et de chance, la traversée vers l’Italie est possible mais ne sera pas sans péril. Quand ils ne sont pas renvoyés par les gardes côtes libyens dans les camps, leurs chances de finir noyé ou étouffé sont grandes, entassés sur des petites embarcations pneumatiques. Une fois débarqués en Italie, ils restent en général quelques mois, beaucoup 10 apprennent l’Italien, avant de poursuivre vers la France et vers Paris. Ces recherches m’ont rappelé les récits glaçants que j’ai pu lire dans ma vie. J’ai lu des dizaines de témoignages, d’autobiographie et de récit de fiction retraçant les horreurs vécues sur terre et en mer par ceux qui ont entrepris un voyage migratoire. Ce passage du roman Eldorado de Laurent Gaudé illustre, je trouve, parfaitement l’atrocité que peut être un tel parcours : « Je me suis trompé. Aucune frontière n’est facile à franchir. Il faut forcément abandonner quelque chose derrière soi. Nous avons cru pouvoir passer sans sentir la moindre difficulté, mais il faut s’arracher la peau pour quitter son pays. Et qu’il n’y ait ni fils barbelés ni poste frontière n’y change rien. J’ai laissé mon frère derrière moi, comme une chaussure que l’on perd dans la course. Aucune frontière ne vous laisse passez sereinement. Elles blessent toutes. » (Gaudé L., 2006) Selon une salariée de l’association Droit à l’école, environ une moitié des jeunes sont arrivés par l’Italie et l’autre moitié par l’Espagne. C’est la seule question que l’on pose concernant le parcours mais cela donne déjà une idée du chemin : Italie veut dire Lybie
Accueil, refus, association, parcours juridique : les MNA en recours
Les jeunes pris en charge par les associations de MNA en recours ne sont pas éligibles au droit d’asile dont les conditions d’obtentions sont très élevés (pays d’origine, discriminations spécifiques au genre, à l’orientation sexuelle…). Certains, issus de pays corrompus, en guerre ou souffrant de violence ou d’exploitation pourraient le tenter mais ne le font pas car ils savent que l’échec est systématique. Les refus se font souvent sur la seule base de la nationalité car leur pays n’a pas été reconnu assez « dangereux ». Mais, comme dit plus haut, étant mineurs ils doivent bénéficier d’un statut protégé. Mais pour cela, encore faut-il qu’ils soient reconnus comme tel. Lorsque les jeunes arrivent à Paris au terme de ce long périple, ils se rendent à un Dispositif d’Evaluation Des Mineurs Isolés Etrangers(DEMIE). A Paris c’est la Croix-Rouge qui est responsable de ce dispositif. On suppose qu’ils savent où se rendre par le biais du réseau de migration par lequel ils sont arrivés en France. Là-bas, ils passent un entretien qui peut aussi bien durer 15 minutes qu’une heure, en présence ou non d’un psychologue. Il arrive 11 que l’entretien se déroule en français, en l’absence d’un traducteur alors que le jeune ne parle pas français. On retrouve de nombreux dysfonctionnements dans la procédure : « beaucoup d’étrangers sont déclarés majeurs « au faciès », avant toute évaluation. D’autres sont estampillés majeurs après avoir raconté leur parcours migratoire, l’administration les jugeant trop « débrouillards » et « matures » pour être des enfants. Les autorités procèdent parfois à un test osseux, méthode de détermination de l’âge critiquée tant par les associations que par les médecins pour son manque de fiabilité » (Les Etats Généraux des Migrations, 2021, p.84, 85). Selon les associations 80 % des reconnaissances de minorités sont refusées lors de ce premier entretien (Association Droit à l’Ecole, 2021). Si le jeune est reconnu mineur il sera pris en charge par l’ASE. Sinon il sera recueilli par des associations de terrain qui font des maraudes et les orientent vers différentes associations pouvant les prendre en charge sur différents aspects (Utopia 56, Médecin Sans Frontières, Paris d’Exil…). Il ne faut pas oublier que, le temps d’être repéré par une association de terrain et d’être pris en charge, le jeune aura la plupart du temps dormi dans la rue. Lorsque le MNA s’est vu refuser sa reconnaissance de minorité il peut faire un recours auprès du juge pour enfants soutenu par le travail des associations. On parle donc ici de « MNA en recours ». La majorité de ces recours aboutissent à la reconnaissance effective de la minorité du jeune. Mais l’association Droit à l’école précise « bien souvent, le jeune débute ses démarches alors qu’il a 16 ou 17 ans et le parcours va durer plus de 12 mois… » (2021). Le jeune perd ainsi un temps précieux, notamment à sa scolarisation, se rapprochant de ses 18 ans. En effet, « tout au long de la période d’instruction du dossier, qui peut durer entre deux et vingt-quatre mois, les jeunes ne bénéficient d’aucune prise en charge. Ni mineurs, ni majeurs, ils ne peuvent pas accéder à une mise à l’abri dans un foyer de la protection de l’enfance ni aux dispositifs d’hébergement dédiés aux majeurs. » (MSF &Comede, 2021, p.8) Les jeunes se retrouvent donc à devoir se débrouiller pour se loger et se nourrir avec l’aide des associations débordées. Beaucoup se retrouvent à vivre dans la rue : les chiffres de MSF indique que « 55% des jeunes vivent dans la rue lorsqu’ils débutent le suivi auprès des psychologues. Or ce ne sont pas des enfants des rues : seuls 5% d’entre eux l’étaient dans leur pays d’origine. 30% des jeunes ont un hébergement instable au début de leur suivi 12 (changements réguliers de lieu d’hébergement avec retour à la rue possible). 45% des jeunes suivis déclarent connaître des difficultés pour accéder à de la nourriture – seuls 6% connaissaient ces difficultés dans le pays d’origine. Les MNA non reconnus mineurs et non pris en charge par l’ASE ne bénéficient d’aucun dispositif d’aide financière. Ils sont totalement dépendants des activités de charité (distributions alimentaires, dons de vêtements et de matériel de camping, permanences juridiques associatives…).» (MSF &Comede, 2021, p.26).
Préambule |