LE SYSTEME NOMINAL D’UN DIALECTE BALANT
Problématique de la faille tonale ou ‘down-step’
Si l’on part du principe que l’abaissement automatique est phonétiquement prédictible dans la réalisation d’un schème quelconque B1HB2, où B1 et B2 sont séparés par un ton H, et que l’écart entre le ton H et le ton B2 peut être considéré comme le double, il arrive dans la chaîne parlée que l’on observe un abaissement de la hauteur mélodique qui est fait de manière intentionnelle par le locuteur. Cet abaissement peut se produire soit après pause, soit dans le mot par abaissement du ton haut. Ce phénomène, phonétiquement imprédictible, mérite d’être analysé pour rendre compte de l’apparition de ces abaissements car il n’y a pas une manifestation d’un tonème moyen s’opposant aux tonèmes haut et bas. Le système nominal d’un dialecte balant : le ganja (68) a. bsaay mndaŋ bi « c’est un grand fromager » bsǎay »mndáŋ »bɩ́ bsà áy »mndáŋ »bɩ́ b. bdiini bsúme « du bon lait »bdɩ̀ɩ̀ nɩ́ »bsú mè Dans (68 a. et b.), entre le niveau auquel est réalisée la syllabe à ton H du mot précédent et le niveau de réalisation de la syllabe du mot suivant, on perçoit un écart qui est approximativement la moitié de celui perçu entre deux syllabes successives dont la première est à ton H et la deuxième à ton B. IV.2.5 Effets tonals de la rencontre de voyelles En ganja, une voyelle en finale de mot suivie d’une autre voyelle entraîne un processus de fusion dans lequel la seconde voyelle transforme la première voyelle. La syllabe résultant de cette opération est une syllabe longue. Dans la sous section relative à la liaison (cf. II. 2. 6), les points II. 2. 6. 2. 2 et II. 2. 6. 3. 2 ont permis d’expliciter ce phénomène résultant de la transformation d’un des deux segments vocaliques en contact. Au niveau tonal, la syllabe résultant de la contraction des deux voyelles porte le ton du premier segment vocalique. Cependant, le ton bas du second segment vocalique n’a pas complètement disparu. Selon Denis CREISSELS Le système nominal d’un dialecte balant : le ganja 132 (1992 p.16), dans son article sur la Tonologie du bambara : bilan et perspectives, « ce ton, dépourvu d’association à un noyau syllabique, est certes destiné à être ultérieurement effacé, mais avant de l’être il intervient dans une règle de réalisation tonale qui est en quelque sorte la trace de l’effet de down-drift induit par la syllabe à ton bas qui devrait apparaître en l’absence du processus de transformation. » Il faut signaler qu’en balant ganja, la fusion de deux voyelles qui se trouvent à la limite de mots produit toujours un segment vocalique unique long qui maintient dans tous les cas le ton du premier segment vocalique sous-jacent. Dans les exemples suivants, on traite des cas où : – le ton de la deuxième syllabe sous-jacente disparaît sans laisser de trace, car il est identique au ton de la première syllabe impliquée dans la fusion. ò + ò → ò: (69) a. alaante afuude « un homme élancé » àláantà àfʊ́ʊdɛ̀ > àláantà: fʊ́ʊdɛ̀ b. laju undaŋ « de grands mensonges » lájʊ̀ʊ̀ndâN > lájʊ̀: ndâN – le ton de la deuxième syllabe impliquée dans le processus ne laisse de trace de sa présence que dans le cas où il contraste avec celui des deux syllabes adjacentes : cette trace est une modulation de H à B. Le système nominal d’un dialecte balant : le ganja 133 ó + ò → ô: (70) a. bíti umoon « un chien noir » bìtí ʊ̀mɔ̂ɔn > bìtû: mɔ̂ɔn b. afúla awoda « une seule fille » àfùlá àwɔ́dà > àfùlâ: wɔ́dà IV.2.6 Notion de ton flottant Si l’on se refère à Denis CREISSELS (1992 p. 18), on peut dire que le comportement tonal de certaines unités du balant ganja se caractérise par des alternances qui n’ont qu’une explication simple si l’on postule que ces unités comportent dans leur forme sous-jacente même des tons B flottants. Le comportement de ces tons flottants structurels est exactement identique à celui des tons normalement associés à un noyau syllabique, qui perdent accidentellement leur association dans le cadre du processus de fusion syllabique.
Tons flottants structurels
La contraction des séquences immédiates de voyelles fait qu’une unité tonale peut se trouver dépourvue de support segmental. Un tel ton, qualifié de « flottant » a comme caractéristique fondamentale de ne laisser de trace de sa présence que dans un contexte favorable. Pour décrire ce ton flottant, on pose le principe suivant : entouré de part et d’autre de tons ayant une valeur opposée à la sienne, un ton Le système nominal d’un dialecte balant : le ganja 134 flottant se manifeste positivement en se rattachant à une syllabe adjacente ; par contre, au contact d’un ton ayant la même valeur que lui, un ton flottant tend à s’effacer sans laisser de trace. On distingue deux types de tons flottants : les tons flottants bas et les tons flottants hauts.
Tons flottants bas
En balant ganja, la caractéristique du ton flottant bas à la finale de certaines unités est l’existence d’une relation entre une modulation descendante que présentent les unités en question lorsqu’elles sont immédiatement suivies de pause et un effet d’effacement lorsqu’elles ont des tons identiques. Deux règles de réalisation du ton flottant bas rendent comptent de ce phénomène : ó # ̀ > ô # (71) a. daŋgí usamba « un sac rouge » dàŋgí ʊ̀sámbá > dàngʊ́ʊ̀sámbá > dàngʊ́: ̀sámbá > dàngʊ̂: sámbá b. mbúuta ajoole « un enfant timide » mbùutá àjɔ́ɔlɛ̀ > mbùutá: ̀jɔ́ɔlɛ̀ > mbùutâ: jɔ́ɔlɛ̀ ò # ̀ > ò # (72) a. yeega uhiiy « une barbe blanche » yɛ́ɛgà ʊ̀hɩ̌ɩy > yɛ́ɛgʊ̀ʊ̀hɩ̌ɩy > yɛ́ɛgʊ̀: ̀hɩ̌ɩy > yɛ́ɛgʊ̀: hɩ̌ɩy Le système nominal d’un dialecte balant : le ganja 135 b. alaante amoon « un homme noir » àláantɛ̀ àmɔ̂ɔn > àláantà àmɔ̂ɔn > àláantà: ̀mɔ̂ɔn > àláantà: mɔ̂ɔn Les deux règles sont identiques aux règles qui rendent comptent de la rencontre de voyelles à la limite de mots.
Tons flottants hauts
La caractéristique du ton flottant haut à la finale de certaines unités est l’existence d’une relation entre une modulation ascendante que présentent les unités en question, lorsqu’elles sont immédiatement suivies de pause et un effet d’effacement lorsqu’elles ont des tons identiques. En l’état actuel de nos recherches, le ton haut flottant en finale donne lieu à une seule règle de rattachement à la syllabe précédente. ò # ́ > ǒ # (73) a. Siiga salu ando « Siga a prié ici » Sɩ̀ɩgá sálʊ̀ ándɔ̀ > Sɩ̀ɩgá sálà ándɔ̀ > Sɩ̀ɩgá sálà: ́ndɔ̀ > Sɩ̀ɩgá sálǎ: ndɔ̀ b. adiisu ambo « il est passé par ici » àdɩ́ɩsʊ̀ ámbɔ̀ > àdɩ́ɩsà ámbɔ̀ > àdɩ́ɩsà: ́mbɔ̀ > àdɩ́ɩsǎ: mbɔ̀ Cette règle rend compte de la modulation montante sur un segment vocalique issue de la fusion de deux voyelles à la limite de mots. Le système nominal d’un dialecte balant : le ganja 136 IV.2.7 Tons des radicaux La description des tons lexicaux des radicaux nominaux est conditionnée par le contexte d’apparition. Ces radicaux sont toujours précédés des affixes pour former des substantifs nominaux. Pour découvrir les tons des radicaux, on présente les radicaux dans leurs contextes d’apparition (cadre de substitution) où ils apparaissent avec un schème tonal invariable. Les préfixes de classes a-, bɩ-, et gɩ- (sg./pl.) sont toujours de ton B. Comme tous les préfixes de classe qui ont une voyelle sont à ton bas, on peut supposer que les préfixes de classe b., f. et g., au cours de l’évolution, ont perdu une voyelle à ton bas. Dans la structure sous-jacente, nous donnons quelques illustrations : (74) a. b ̀ . tá > b.tá O b. f ̀ . làdí > f.làdí O Les exemples ci-après montrent les différents tons et schèmes possibles des radicaux nominaux. /H/ (75) a. bsʊ « arachide » RAD. -sʊ́ b – sʊ́ CL5 – arachide Le système nominal d’un dialecte balant : le ganja 137 /HB/ b. fmbó « poumon » RAD. -mbófì f – mbófì CL8 – poumon /HHB/ c. bɩlaante « hommes » RAD. -láantɛ̀ bɩ̀ – láantɛ̀ CL2 – homme /BH/ d. íti « bambou » RAD. -lìtí f – lìtí CL8 – bambou /BBH/ e. bbítila « brouillard » RAD. -bìtìlá b – bìtìlá CL5 – brouillard Le système nominal d’un dialecte balant : le ganja 138 /BHHB/ f. jíleemba « serpent » RAD. -jìléembà g – jìléembà CL9 – serpent /HBH/ g. ñjabɩra « crocodile » RAD. -ñjábɩ̀rá O – ñjábɩ̀rá CL3 – crocodile Les tons lexicaux des radicaux nominaux ci-après /H/, /HB/, /HHB/, /BH/, /BBH/, /BHHB/ et /HBH/ réalisés dans la structure sous-jacente, seront analysés dans la description des schèmes tonals des substantifs.
Schèmes tonals des substantifs
Le substantif est formé à partir d’un préfixe de classe + un radical nominal ou déverbal suivi ou non d’un suffixe. L’étude des schèmes tonals des substantifs se fait à partir de la réalisation des tons lexicaux des radicaux et de ceux des affixes dans le substantif. Nous étudions en premier lieu les schèmes tonals des substantifs nominaux et en second lieu les schèmes tonals des substantifs déverbaux.
ABREVIATIONS ET SIGNES |