Le système immunitaire et le stroma tumoral jouent-ils un rôle pronostique dans l’adénocarcinome pancréatique

MATERIELS ET METHODES

Population (Tableau 1)

Les données de 49 patients opérés d’une pancréatectomie gauche ou d’une splénopancréatectomie gauche pour adénocarcinome canalaire du pancréas, entre le 1er janvier 2004 et le 30 Novembre 2018, à l’Hôpital Nord et à l’Hôpital Européen (Marseille), ont été examinées. Toutes les données des patients ont été entrées rétrospectivement dans des bases de données cliniques. Les patients atteints d’une tumeur pancréatique non résécable chirurgicalement ou éligibles à une chirurgie palliative ont été exclus. Les patients diagnostiqués avec une tumeur neuroendocrine, un cystadénocarcinome, une tumeur pseudopapillaire et solide ou des métastases de cancer du rein ont été exclus. Les variables démographiques (survie globale et survie sans récidive) et le diagnostic anatomopathologique définitif ont été obtenus à partir d’une base de données prospective avec un examen rétrospectif supplémentaire du dossier médical.

Suites opératoires

La mortalité postopératoire est définie comme tout décès survenant avant la sortie de l’hôpital ou dans les 90 jours suivant la chirurgie, et n’a pas été prise en compte dans l’analyse statistique.
Le suivi des patients a été arrêté le 1er Mars 2019. La survie a été calculée à partir de la date de l’intervention chirurgicale jusqu’à la date des dernières nouvelles. La rechute de la maladie a été définie par les signes radiologiques les plus précoces de récidive tumorale au cours de la surveillance.

Examen anatomopathologique

Tous les comptes-rendus anatomopathologiques ont été réinterprétés conformément à la 8ème édition de la classification de l’American Joint Commission on Cancer (AJCC). Les données suivantes ont été inclus dans l’étude: taille de la tumeur (T), nombre de ganglions envahis (N), présence de métastases à distance (M), grade histologique (bien différencié G1 – moyennement différencié G2 – peu différencié G3) , envahissement des marges de résection (R), présence d’emboles vasculaires et/ou péri-nerveux.

Construction du Tissu Micro Arrays (TMA) et immunohistochimie (Figure 1)

Tous les échantillons tumoraux utilisés pour la construction du TMA ont été fixés dans du formol tamponné, inclus en paraffine et stockés à une température contrôlée (18 à 22 °C). En résumé, la TMA a été préparé comme suit: pour chaque tumeur, deux zones représentatives ont été délimitées en les encerclant avec un stylo noir permanent, sur les coupes inclus en paraffine et colorées à l’HE (Hématoxyline/Eosine), afin de guider la réalisation des carottes dans la paraffine primaire. Les carottes ont été échantillonnées à l’aide du dispositif de mise en réseau ALPHELYS (ALPHELYS, 78370 Plaisir, France). Des carottes de 0,6 mm de diamètre percés dans le bloc donneur ont ensuite été déposés dans le bloc de paraffine receveur. Des coupes de 4 mm d’épaisseur ont enfin été réalisées sur le bloc receveur, 24 heures avant la réalisation de l’immunohistochimie 50.
Les anticorps suivants ont été analysés lors de l’immunohistochimie: CD45 (marqueur lymphocytaire ubiquitaire), CD3 (marqueur des lymphocytes T), CD4 (marqueur des lymphocytes T auxiliaires), FoxP3 (marqueur des lymphocytes T régulateurs, une souspopulation de lymphocytes T CD4 garants de la tolérance immunitaire par l’inhibition des lymphocytes T effecteurs), CD8 (marqueur des lymphocytes T cytotoxiques), vimentine (marqueurs des cellules stromales, dont les CAFs), αSMA (marqueur des CAFs), Ki67 (marqueur de la prolifération), PD-L1 (protéine exprimée par les cellules de l’immunité et par les cellules cancéreuses, modulant leur activation ou leur inhibition). L’immunohistochimie a été réalisée à l’aide d’un automate Ventana Benchmark Autostainer. Les lames ont été incubées pendant 32 min à 371°C avec les anticorps spécifiques.

Analyse d’images

Les images numériques des lames de TMA colorées par l’immunohistochimie ont été obtenues à un grossissement fois 20 à l’aide d’un scanner NanoZoomer 2.0-HT whole slide imager (Hamamatsu). Une analyse quantitative assistée par ordinateur pour CD45, CD3,CD4, FoxP3, CD8, vimentine et αSMA a été réalisée à l’aide du logiciel Calopix (Tribvn) avec deux algorithmes différents. L’outil «TMA Crop and Score» a permis d’individualiser les marquages immunohistochimiques de chaque patient, et l’algorithme «Morphometry» a permis de créer une ROA (région d’analyse) et une quantification de la coloration. Cette quantification est basée sur la segmentation des images en fonction des seuils de luminance et de teinte, et sur des algorithmes morpho-mathématiques. Les résultats ont été donnés en surface de tissu (μm²). La quantité de TILs et de CAFs a été exprimée en pourcentage, sur la base du rapport surface totale de tissu segmenté sur surface totale de tissu (μm²/μm²). Ensuite, nous avons calculé les ratios des différents sous-types de TILs (CD3/CD45; CD4/ CD3; CD8/CD3; CD4/CD8; FoxP3/CD3; FoxP3/CD4; FoxP3/CD8) et des différents soustypes de CAFs (αSMA/vimentin). Enfin, nous avons classé les patients en deux groupes, selon la quantité de chaque sous-type de TILs et de CAFs, faible ou élevé, en utilisant la valeur du 75ème percentile comme seuil.

Analyses statistiques

Une analyse descriptive a d’abord été réalisée. Les variables continues ont été exprimées sous forme de médianes (intervalles) et les variables catégorielles sous forme de nombres et de pourcentages. Les associations entre les données cliniques et les données immunohistochimiques ont été analysées au moyen du test du χ2 lorsqu’il était disponible ou du test de Fisher dans les autres cas. Des analyses de survie globale et de survie sans récidive ont été effectuées à l’aide de la méthode de Kaplan-Meier pour estimer les taux de survie dans le temps et à l’aide du test du logrank pour comparer les distributions de survie. Le modèle de régression de Cox a été utilisé pour estimer les hazard ratios (HR) et leurs intervalles de confiance à 95% (IC à 95%). La correction de Firth a été appliquée pour tenir compte de la petite taille de l’échantillon. Tous les tests étaient bilatéraux. Une valeur p <0,05 était considérée comme significative. L’analyse a été réalisée à l’aide du logiciel R.

RÉSULTATS

Caractéristiques clinicopathologiques et procédures chirurgicales Au total, 43 patients ont été inclus dans l’étude. Le suivi médian était de 16 mois (intervalles: 3-130). Le Tableau 1 résume les caractéristiques clinicopathologiques des patients et les procédures chirurgicales. En résumé, seize patients (37,21%) étaient des femmes et la moyenne d’âge était de 68 ans (45 à 87 ans). Dix patients (23,26%) ont reçu un traitement néoadjuvant. Chez dix patients (23,26%), une résection élargie à des organes adjacents «en bloc» a été nécessaire (veine porte (n = 2); tronc coeliaque (n = 1); duodénum (n = 2); estomac (n = 4); côlon ( n = 2); rein (n = 4) et glande surrénale (n = 6)).

Examen anatomopathologique

Les résultats des examens anatomopathologiques des pièces opératoires sont résumés dans le Tableau 1. La taille tumorale moyenne était de 30 mm (intervalles: 5-80 mm). Dix-sept (39,53%) ont été classées stade I, dix-neuf (44,2%) stade II, cinq (11,6%) stade III et deux (4,6%) stade IV. Une résection curative (R0) a été réalisée chez 35 patients (81,4%). Un envahissement ganglionnaires a été retrouvé chez 25 patients (58,1%) et 28 tumeurs étaient bien différenciés (65,1%).

Corrélation entre variables clinicopathologiques, TILs et CAFs

Les résultats de la corrélation des différentes variables sont résumés dans le Tableau 2. En résumé, un taux élevé de CD3 était associé à des caractéristiques histopathologiques favorables: petite taille tumorale (p = 0,02) et absence d’emboles vasculaires (p = 0,04). Un rapport FoxP3/CD8 élevé était associé à une tumeur peu différenciée (p = 0,04) (dont le pronostic est défavorable). Il n’y avait pas de corrélation significative entre les variables clinicopathologiques et les taux de lymphocytes CD4, CD8, FoxP3, ainsi qu’avec les ratios CD4/CD3 et αSMA/vimentine (Tableau 2 complet).

Survie globale

La durée médiane de la SG et les taux de SG à 1, 3 et 5 ans dans la population (n = 43) étaient respectivement de 16 mois et 72,1%, 33,6% et 10,5% (Figure 2A). Une analyse univariée des caractéristiques clinicopathologiques a permis de montrer que la taille tumorale était associée à une moins bonne SG (HR> 1; p = 0,0014) (Tableau 3). Les analyses univariées des sous-types de TILs, des ratios de TILs et des CAFs sur la survie, ont révélé que le ratio lymphocytaire CD4/CD3 était le seul facteur pronostique associé de manière significative à la SG (médiane de survie pour le ratio CD4/CD3 faible: 27 mois contre 13 mois pour le ratio CD4/CD3 élevé; p = 0,03) (Tableau 4 et Figure 3A).

Survie sans récidive

La durée médiane de SSR et les taux de SSR à 1, 3 et 5 ans dans la population étaient respectivement de 9 mois et 37,2%, 18,4% et 9,2% (Figure 2B). Une analyse univariée des caractéristiques clinicopathologiques a montré que la taille tumorale était associée à une moins bonne SSR (HR> 1; p = 0,0012) (Tableau 3). Les analyses univariées des sous-types de TILs, des ratios de TILs et des CAFs sur la survie ont révélé que le ratio lymphocytaire CD4/CD3 était le seul facteur pronostique associé de manière significative à la SSR (médiane de survie pour le ratio CD4/CD3 faible: 11 mois contre 8 mois pour le ratio CD4/CD3 élevé; p = 0,04) (Tableau 4 et Figure 3B).

DISCUSSION

L’adénocarcinome canalaire du pancréas est une tumeur hétérogène et la survie à long terme des patients atteints varie en fonction de ses caractéristiques intrinsèques, de ses caractéristiques histologiques et de la classification anatomopathologique 52.
La biologie moléculaire a révélé la grande hétérogénéité des cancers, et notamment celle du pancréas 53–56. Le système de classification TNM de l’AJCC représente actuellement le seul facteur pronostique utilisé en pratique clinique pour évaluer la survie à long terme des patients opérés d’un cancer du pancréas. Cependant, sa capacité à prédire de manière cohérente la survie des patients est limitée, avec une importante hétérogénéité au sein des classes pronostiques ainsi définies 57. L’AP se caractérise par un stroma très dense (60 à 90% du volume tumoral) 58 au sein duquel on observe une faible concentration de cellules tumorales. Peu d’études suggèrent que le stroma joue un rôle dans la régulation de la progression tumorale 59–62.
Les lymphocytes infiltrant la tumeur (TILs) représentent une part fonctionnelle du stroma. Le rôle des TILs a été décrit ces dix dernières années, en démontrant leur influence favorable sur le pronostic dans plusieurs types de cancers 63,64. Dans un contexte de médecine de précision, les thérapies ciblées, y compris les immunothérapies, suscitent un vif intérêt en raison de leurs résultats remarquables dans le traitement d’autres cancers (mélanome 65, poumon 66, sein 67, colon 68). Cependant, leur rôle dans le traitement de l’AP reste à ce jour très limité 69.
Il est donc essentiel de caractériser précisément le stroma tumoral et sa relation avec la réponse immunitaire afin de mettre au point des traitements combinés pour surmonter cette résistance.

CONCLUSION

Nos résultats suggèrent qu’un rapport lymphocytaire CD4/CD3 élevé est associé à une moins bonne survie globale et sans récidive chez les patients opérés d’un adénocarcinome canalaire du pancréas gauche. Nous avons également constaté que l’association d’un ratio αSMA/vimentine faible et d’un ratio lymphocytaire CD4/CD3 élevé est associée à une moins bonne survie globale et sans récidive.
Ces résultats corroborent ceux d’études préexistantes et plaident en faveur de la poursuite des recherches concernant l’influence du microenvironnement sur la survie dans le cancer du pancréas.Dans un contexte de médecine de précision, des thérapies ciblées ayant pour cible le microenvironnement tumoral, promouvant la réponse immunitaire de l’hôte par le remodelage du  stroma, pourraient améliorer la survie des patients atteints d’un adénocarcinome canalaire du pancréas gauche.

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