À l’école d’Harry Potter, magie et réalités du “ modèle des houses ”
Les houses : un cadre pédagogique singulier aux conséquences largement constatées
Si le système des maisons marque d’abord un renforcement de la notion de communauté en milieu scolaire, il peut aussi conduire parfois à des dérives d’exclusion par les rivalités qu’il crée. Fidèle aux fondamentaux de l’éducation primaire anglaise qui manifeste une préoccupation permanente pour l’enfant dans sa globalité et pour l’école comme communauté, le système des maisons tend à favoriser la coopération et la cohésion en milieu scolaire.
L’école comme foyer : cohésion et sentiment d’appartenance
L’amélioration du climat scolaire est un objectif que la loi du 8 juillet 2013 et son rapport annexé ont affirmé avec vigueur pour notamment « refonder une école sereine et citoyenne en redynamisant la vie scolaire, en prévenant et en traitant les problèmes de violence et d’insécurité ». Pour cela, c’est toute l’organisation de l’établissement et de ses acteurs qui peut être repensée, en combinant des actions portant sur les différents facteurs identifiés par la recherche : dynamique d’équipe, justice scolaire, coéducation, pratiques partenariales ou encore qualité de vie dans l’école. Cette méthode permet d’agir sur les différents facteurs qui ont une influence directe sur le climat de classe et d’établissement. Dans ce contexte, la coopération entre élèves constitue un levier d’action efficace, en ce qu’il promeut des élèves acteurs de leur scolarité, de leur citoyenneté et de leurs apprentissages, au sein d’un climat scolaire apaisé par des dispositifs coopératifs. Or, la coopération est au cœur du système des maisons. Connac, dans la fiche 0 : Les mots de la coopération de son ouvrage La coopération entre élèves paru chez Réseau Canopé, définit la coopération comme : « l’ensemble des situations symétriques et dissymétriques, formelles et informelles, où des personnes produisent ou apprennent à plusieurs, impliquant du partage de désirs et de la générosité réciproque. […]. En contextes scolaires, elle se traduit également par l’organisation de démarches de projets, de conseils coopératifs, de jeux coopératifs et de marchés des connaissances. ». La coopération est donc une organisation collective qui vise un intérêt général. Le système des maisons mis en place à l’école Emeriau met l’accent sur cette dimension collective en cherchant à renforcer un sentiment d’appartenance, d’unité à la même école. En effet, bien que les élèves ne portent pas l’uniforme, ils disposent néanmoins chacun d’un tee-shirt sur lequel apparait le blason de l’école formé du symbole des quatre maisons et sur lequel y est inscrit la devise de l’école. Ce tee-shirt doit être porté pour tous les évènements collectifs. En outre, les élèves sont amenés régulièrement à chanter la chanson des maisons lors de rassemblements. La composition des maisons en groupes hétérogènes permet aux élèves de l’école de se connaitre au-delà des niveaux, des affinités et ainsi de coopérer, travailler ensemble pour atteindre un objectif. Ce système semble faciliter l’intégration des élèves, et favorise une solidarité entre pairs ainsi qu’une meilleure cohésion entre les élèves. Ce sentiment d’inclusion et d’engagement dans une entreprise commune représentée par l’école a ainsi pour conséquence l’amélioration du climat scolaire : les élèves sont heureux d’aller à l’école et ont tendance à s’investir davantage dans les apprentissages. Au quotidien, à l’école Emeriau, les élèves cherchent à gagner des points pour leur maison par leur comportement et leurs efforts, leur travail. Chaque adulte de l’école peut attribuer un point pour un comportement individuel démontrant un effort particulier (gentillesse, politesse, effort…), deux points pour un comportement individuel soutenu, et trois points à titre exceptionnel pour une réalisation particulière ou un travail de groupe. Les points sont comptabilisés chaque semaine dans chaque classe qui dispose d’un tableau récapitulatif. Chaque semaine, les points gagnés dans chaque classe sont ajoutés à chaque maison. Contrairement à Poudlard, les enseignants attribuent uniquement des points, sans jamais en enlever. Une autre caractéristique importante du système des maisons est la concurrence entre les maisons. Deux fois par période, les élèves sont répartis par maison. Soit, ils font une activité propre à leur maison (marché des connaissances), soit il s’agit de la journée des défis. Dans ce cas, les maisons ont quatre défis à relever dans la journée et les élèves gagnent des points en fonction du classement de leur maison. Avant chaque période de vacances, la maison qui a le plus de points remporte le trophée : ses couleurs sont accrochées à la coupe et chaque année la « meilleure » maison voit sa couleur accrochée à la grande coupe. Ce système de points permet de développer l’esprit d’équipe des élèves qui essayent d’avoir de bons résultats non seulement pour eux-mêmes mais aussi pour leur maison. En travaillant en groupe et pour le groupe, les élèves se décentrent d’eux-mêmes. En effet, l’appartenance à un groupe défini de taille intermédiaire à celui de la classe et à celui de l’école permet aux élèves d’apprendre à servir par leurs actions les intérêts du groupe avant les leurs. Ce système apparait ainsi être un levier de renforcement des comportements bienveillants et bénéfiques au groupe. De plus, cette répartition des élèves par maisons avec l’organisation régulière d’évènements collectifs permet d’une part aux élèves de pouvoir s’investir dans des activités de coopération avec des élèves d’autres classes et d’autres âges, mais leur offre aussi d’autre part la possibilité d’interagir avec des enseignants qu’ils n’auraient normalement aucune raison de connaître. Au même titre, cela permet à toute l’équipe éducative de rencontrer et connaitre tous les élèves de l’école. Les élèves se connaissent mieux et on constate assez facilement que les élèves des différents niveaux échangent davantage que dans des écoles n’ayant pas mis en place ce système. Au même titre que les classes à double niveau, les élèves de tous âges se côtoient et jouent ensemble, apprennent ensemble. Il n’y a pas de « cloison » entre chaque niveau de classe. Coopérer initie un rapport aux autres : échanger, donner son point de vue, pouvoir le mettre à distance, rechercher une issue commune aux problèmes posés, engager sa responsabilité, apprendre ainsi – grâce aux autres – à penser par soi-même. Au final, comme le résume Lecomte, « l’apprentissage coopératif est structuré de telle sorte que les efforts de chaque membre sont nécessaires pour le succès du groupe », ce qui tend à favoriser la confiance mutuelle. C’est cette confiance qui permet d’engager une réflexion commune sur les manières d’améliorer le fonctionnement du collectif, et apaise le climat scolaire. Pour autant, de tels dispositifs ne créent pas seulement de la coopération mais incitent parfois à la concurrence, ce qui peut produire un résultat mitigé en termes d’inclusion sociale.
Ensembles à l’unisson ?
Entre rivalité et risques d’exclusion sociale « Agir, vivre et apprendre en coopération, c’est agir, vivre et apprendre avec les autres, par les autres et pour les autres et non pas seul contre les autres »1. La coopération n’est donc pas innée, encore moins évidente. Mettre la coopération au cœur de la vie de l’école à travers ce système des maisons demande un cadre d’organisation précis. En effet, selon le mémento Agir sur le climat de classe et d’établissement par la coopération entre élèves au collège et au lycée2, le climat coopératif s’appuie sur des valeurs génératrices d’un nouveau statut de l’élève, de droits mais également de devoirs et de contraintes. Dans ce système de la coopération, l’élève est bien évidemment acteur mais il devient aussi auteur. La coopération scolaire envisage de nouvelles normes, c’est-à-dire une autre manière de vivre et travailler ensemble. Le statut des élèves reste bien sûr encadré par des éléments réglementaires qui s’imposent à tous, dans et hors l’école tels que le respect des biens et des personnes, l’obligation d’assiduité, les programmes scolaires, etc. A l’intérieur de ce cadre contraint, l’espace de liberté et de responsabilité des élèves est défini par un certain nombre d’interdits, de droits, de devoirs caractéristiques du projet éducatif de coopération de l’établissement. 1 Définition de la coopération par l’OCCE empruntée à André de Péretti 2 Ministère de l’éducation Nationale (Dgesco-DMPLVMS). Mémento Agir sur le climat de classe et d’établissement par la coopération entre élèves au collège et au lycée, Réseau canopé, 2015. A ce sujet, une caractéristique notable du système des maisons est l’attribution de responsabilités aux élèves avec notamment la nomination de capitaines de maison ou de préfets de maison, qui exercent une autorité limitée au sein de leur maison et aident à l’organisation de la maison. En effet, pour qu’un groupe social fonctionne convenablement, il doit s’organiser « démocratiquement ». Il est essentiel que le fonctionnement du groupe soit bien clair et que ses membres se voient attribuer un rôle spécifique. C’est le cas à l’école Emeriau où, pour chaque maison, chaque année pour une durée d’un an, un élève de CM2 est élu par sa maison pour être le préfet et un élève de CM1 est son adjoint, c’est le sous-préfet. Leur rôle est d’être des leaders pour leur maison, d’être de bons modèles, de représenter la maison lors de la remise de prix par exemple. Ils sont en charge de la discipline de leur maison lors des assemblées. Ils doivent faire en sorte que les élèves jouent calmement dans la cour de récréation. Ils sont identifiés par un brassard à la couleur de leur maison. Les élèves exerçant ces responsabilités prennent cela très au sérieux. Ce système leur offrant ainsi l’opportunité de développer leur leadership. Néanmoins, sur les soixante élèves que regroupe une maison, finalement seuls deux élèves se voient confier un rôle spécifique. Or, sans responsabilisation de tous ses membres, le risque est grand de voir apparaitre au sein du groupe des comportements (prises de pouvoir, rejets…) qui vont nuire à la progression individuelle des membres comme à celle du groupe. Afin d’éviter ces dérives, le mémento, cité précédemment, recommande qu’en coopération, chaque membre d’un groupe devrait se voir attribuer un rôle spécifique. Les différents rôles seraient complémentaires et varieraient en fonction de l’activité choisie. De Peretti à travers ses travaux dans les écoles primaires, les collèges et les lycées, a ainsi identifié des dizaines de « responsabilités » qui pourraient être tenues dans une classe ou au sein d’un établissement. Si la dialectique « moi-les autres » contribue à fonder l’identité : l’appartenance au groupe de pairs impose néanmoins ses exigences. D’une part, une exigence d’affiliation-identification (se plier à la loi du groupe, « s’identifier soi-même au groupe dans sa totalité : individus, centres d’intérêt, aspirations ») ; d’autre part, une exigence d’individuation-différenciation (y prendre sa place et un rôle, « en se différenciant des autres, en les acceptant comme arbitres de ses exploits ou de ses défaillances, bref en faisant parmi eux figure d’individu distinct »).3 Sur ce point, la composition des groupes d’apprentissage coopératif, les maisons en l’espèce, mérite attention et vigilance. Dans son article Apprentissage coopératif et entraide à l’école, publié dans la Revue française de pédagogie, en 2005, Baudrit exprime son point de vue quant à la composition de ces groupes. Selon lui, la question du partenaire idéal dans le cadre de l’apprentissage coopératif semble complexe. En effet si le fait d’interagir avec des amis présente des avantages, il n’est pas non plus dénué d’inconvénients. De même, le fait d’être associé avec des « non-amis » ne lui semble pas être idéal non plus dans la mesure où l’entraide sera forcément moins développée et par conséquent l’attention portée aux autres sera elle aussi moins présente. Selon Baudrit, il n’existerait donc a priori pas de partenaire de travail idéal. Il conclut néanmoins son analyse en s’intéressant à une option qu’il qualifie « d’entredeux » qui selon lui mérite d’être examinée : « Ni proche, ni inconnu, il n’est pas à chercher dans la même classe, pas plus dans une autre école, mais peut être dans une autre classe de la même école ». En 1997, lorsqu’il évoquait cet « entre-eux », Baudrit avait donc déjà perçu l’intérêt de mettre en place un système de coopération au niveau de l’établissement.
INTRODUCTION |