Le système de production de la filière rizicole
Problématique
Dans les pays soudaniens, l’agriculture constitue la principale source de revenu national. Cette agriculture emploie la proportion la plus importante des actives (70 % de la population active) et demeure un secteur stratégique du développement économique même si elle ne parvient pas à nourrir cette population parce que les conditions climatiques ne sont pas favorables à une bonne agriculture. En effet, la grande sécheresse des années 1970 a freiné l’agriculture pluviale qui était la principale source de nourriture dans ces pays d’où la nécessité de rechercher des stratégies d’adaptations face à l’aridité climatique. Des lors l’agriculture irriguée est apparue comme une stratégie d’adaptation. A l’instar des autres pays soudaniens, au Sénégal, le développement de la riziculture irriguée est une préoccupation ancienne des pouvoirs publics et l’objectif est la satisfaction des besoins nationaux toujours croissants et dépendant du marché international. L’objectif de poursuivre le développement de la production rizicole, par le gouvernement sénégalais est le résultat d’un changement de politique agricole. En effet, la fin des années 1960 a coïncidé avec des événements tels que : – le début du cycle de sécheresse, – la perte en 1967 de la subvention française à l’arachide, – la hausse des cours mondiaux des denrées alimentaires entre 1966 et 1968 et – l’augmentation des cours mondiaux du riz, de 235 %. Ces facteurs conjugués ont fortement pesé sur le budget national et amené l’Etat sénégalais à fixer un objectif nouveau : la sécurité de la production alimentaire nationale. C’est ainsi que l’accroissement de la production rizicole nationale est devenu à partir de cette période un objectif prioritaire. Cette nouvelle politique s’est appliquée sur la vallée du fleuve Sénégal et plus particulièrement dans l’île à Morphil. 13 L’île à Morphil, d’une superficie d’environ 1250 km2 , offre des conditions propices, par la nature de ses sols et la disponibilité de l’eau, à la riziculture irriguée. Cette riziculture a connu une rapide expansion après les indépendances avec la création de sociétés à vocation agricole comme la SAED en 1965, CNCAS, ORSTOM… Ces sociétés supervisaient la riziculture avec la fourniture des intrants, la location du matériel, les aménagements, la commercialisation de la récolte, l’octroi de crédit et la formation des riziculteurs. Ainsi le cultivateur était un ouvrier de l’agriculture. Cependant, avec la Nouvelle Politique Agricole (NPA) de 1984 la donne a changé avec le désengagement de l’Etat. Ce désengagement sera ressenti plu tard avec le désengagement de la SAED en 1987. Est-ce que ces désengagements n’étaient pas prématurés ? Ces désengagements se sont faits progressivement au profit des organisations paysannes (OP). Cela était favorable à la création de groupement d’intérêt économique (GIE). L’entretien et la gestion des infrastructures hydro-agricoles générales (grands axes adducteurs, stations de pompage et de drainage, digues) et aussi ceux des périmètres irrigués non transférés relèvent de la SAED. Ces organisations paysannes étaient-ils prêts pour remplacer la SAED dans la gestion de la riziculture ? Or, le transfert de charge ne s’est pas accompagné d’un transfert de moyens. En plus de ce transfert de gestion des grands aménagements à des organisations paysannes on assiste à une explosion des aménagements privés dès la fin des années 1980 avec la création de barrages ayant permis de sécuriser l’alimentation en eau. De ce fait on assiste à une course aux terres. Quelles sont les conséquences de cette course aux terres ? Cependant, la dévaluation du franc CFA de 1994, l’augmentation des coûts de productions, les difficultés techniques comme l’entretien des aménagements, les difficultés d’accès aux crédits, le coût cher des intrants ont favorisé l’abandon progressif des aménagements et la faible exploitation des superficies aménagées ce qui a limité la production agricole en riz. Cependant, avec le désengagement de la SAED on passe d’une filière à deux acteurs (SAED et producteurs), à une filière où interviennent plusieurs acteurs (producteurs, 14 fournisseur etc.) ce qui répond d’ailleurs aux vœux de l’Etat avec la mise en vigueur de la loi 96-O6 portant création des collectivités locales et la loi 96-07 qui se résume en substance par le transfert des compétences. La gestion des ressources naturelles est confiée aux collectivités et aux populations locales. Ainsi, c’est l’ère de l’organisation de la démocratie locale, du développement participatif. Ce désengagement qui correspond à la responsabilisation des producteurs prône également ces derniers à prendre en main la gestion totale de leurs rizières. Quels seront les impacts de cette gestion sur la riziculture ? Désormais, la dimension sociale et foncière de l’irrigation et de la riziculture pose problème dans sa gestion. En effet, la double culture est rarement pratiquée et le taux de mise qui est visé par l’Etat est loin d’être atteint. La riziculture dans l’île à Morphil n’a pas parvenu à régler le problème de la sécurité alimentaire au Sénégal. C’est cela qui explique le sujet de notre mémoire intitulé : « problématique de la riziculture dans l’île à Morphil ».
Discussion des concepts
En vue de faciliter la compréhension des termes utilisés dans cette étude, nous entendons les définir et les élucider pour éviter toute confusion, voire des interprétations différentes. Il s’agit des concepts de : problématique, riziculture et l’île à Morphil. D’abord, le terme problématique est défini par Le Dictionnaire Larousse (2008) par un ensemble des questions posées par une branche de la connaissance. Le Dictionnaire Universel (2008) le définit comme étant un ensemble des problèmes concernant un sujet. Donc le terme problématique apparait comme un ensemble de problèmes liés à quelque chose. Ensuite, la riziculture est définie partout comme la culture du riz. Cette riziculture existe sous deux formes : pluviale et irriguée. Celle qui nous intéresse dans cette étude c’est celle qui se pratique dans la vallée du fleuve Sénégal c’est-à-dire la riziculture irriguée. Elle se fait dans les aménagements hydro-agricoles faits par la SAED. Cependant elle souffre d’énormes difficultés. 15 Enfin, le groupe de mot «île à Morphil » hakunde majje (entre les eaux) en Poular désigne toute la bande de terre comprise entre la fleuve Sénégal et celui de Doué. Selon les vieux, autrefois l’île était peuplée d’éléphants et c’était la zone de l’ivoire d’où le vocable Morphil. Cependant l’écriture de « à Morphil » est très contestée parce qu’on rencontre dans la littérature deux façons d’orthographies pour cette même localité. Certains, qui soutiennent la thèse que le nom vient d’éléphant (fiil en arable) l’orthographient ainsi : morfil. Cette écriture se rencontre dans les anciens récits et textes où sur la première carte de l’île à Morphil faite par les colons. Cependant, chez les auteurs plus récents ainsi que dans les textes administratifs on rencontre l’orthographe : Morphil. Cette orthographe est la plus populaire. De toutes les façons retenons que l’île à Morphil n’est rien d’autre qu’une zone qui se trouve entre le fleuve Sénégal et le Doué. Cette zone se trouve dans le département de Podor et elle est occupée par les populations d’ethnie haalpulaar et majoritairement agriculteur
La géologie et le relief
Le Quaternaire se caractérise par des changements climatiques, des variations du niveau marin, plusieurs cycles d’érosion pluviale et des dépôts alluvionnaires, qui ont donné à de nombreux changements dans le cours du fleuve Sénégal et dans la dynamique, qui distinguent la morphogenèse de la moyenne vallée. L’évolution géomorphologique de l’île à Morphil est strictement liée aux paléoclimats et aux variations du niveau de la mer, qui ont déterminé plusieurs épisodes morpho climatiques. Les conséquences de cette évolution ont été étudiées par Pierre Michel (1973). Ces travaux nous permettent de retracer l’histoire géomorphologique de l’île à Morphil. C’est durant le Quaternaire ancien que le fleuve a recreusé sa vallée et c’est surtout au cours du Quaternaire récent que les différentes unités géomorphologiques se sont individualisées pour donner à la vallée une topographie très basse mais aussi très diversifiée. (Michel 1973) Le bassin versant du fleuve Sénégal laisse apparaître deux ensembles définis par l’âge et la mise en place des roches affleurantes : dans le haut bassin (Fouta Djalon, Bakel) dominent des roches du socle précambrien et de sa couverture paléozoïque, dans la moyenne vallée les roches sédimentaires du secondaire et du tertiaire sont souvent masquées par des dépôts quaternaires. Au cours du Quaternaire ancien, l’incursion de la mer est assez limitée. L’épisode y est représenté par des grès et des calcaires à stratification entrecroisée riches en foraminifère. Il est caractérisé par une mer peu profonde, chaude et agitée dans laquelle se développe une faune abondante et variée (huître, oursins, balanes). Le sommet du Pléistocène (40 000 ans BP – 14 000 BP) est marqué par la succession d’un pluvial et d’un aride. La phase humide est intervenue entre 40 000 ans BP et 30 000 ans BP. Elle accompagne la transgression Inchirienne. Le niveau marin se releva jusqu’à – 20 m au cours de cette transgression (40 000 ans BP – 30 000 ans BP). Les 21 dépôts sont de type margino-littoral, à faune côtière. L’épisode aride correspond à la transgression post- Inchirienne (20 000BP – 12000BP), le fleuve creuse son lit dans les grès du Continental Terminal. Durant cet épisode climatique sec, l’entaille atteint moins 28 m et se forme la nappe alluviale et des graviers de sous berge. (Michel, 1973) Le Quaternaire récent est de loin la période la mieux connue. Il a été marqué par d’importants changements climatiques associés à des variations du niveau marin (Holocène). L’évolution s’établit de la manière suivante : • La période aride de l’Ogolien (20 000 ans BP). Des dunes longitudinales d’orientation nord-est / sud-ouest barrent la vallée à la hauteur de Kaédi, rendant le régime du fleuve endoréique. C’est le premier remblai sableux. • La période plus humide du Tchadien (12 000 à 7 300 ans BP). Le climat redevient humide et favorise une formation des lacs et des marécages. Dans les dépressions inter dunaires, il se forme des dépôts de tourbes ligneuses continentales. Le retour de pluies favorise la ferrugination des sols, notamment sur les dépôts Ogoliens et un second remblai sableux s’ensuit, • La transgression Nouakchottienne (7 000 ans BP – 4 000 ans BP) va créer de nombreux golfes dans les vallées et les interdunes. Elle déplacera et positionnera le littoral des fonds de moins 50 m jusqu’à des côtes voisines du niveau actuel. Les matériels mis en place sont remodelés, formant ainsi les dépôts des hautes levées et des terrasses du Nouakchottien. Ces dépôts sont caractérisés par une faune avec en particulier un développement important des mollusques tels que : Anadara senelis, Dosinia isocardra, Cerasoderma edule. Le rivage est bordé de mangroves dont le développement est favorisé par des eaux troubles, faiblement agitées, par des températures de l’ordre de 20°C et un bon ensoleillement. Durant cette période marine, une importante terrasse de sable fin s’est mise en place dans la vallée alluviale, que l’on rencontre vers 1 m de profondeur dans toute la moyenne vallée avale. Le Tafolien (4 200 ans BP) édifie des cordons littoraux riches en minéraux lourds sur le littoral du Sénégal, • Vers 2 500 ans BP le fleuve remplace la mer dans la moyenne vallée aval et dans la basse vallée, tandis que des dépôts fluvio-deltaïques se forment dans le delta qu’une lagune occupe à l’ouest. La régression qui a suivi aurait à peine abaissé le niveau marin en dessous du niveau actuel. Cette phase sèche s’est manifestée aussi par une recrudescence de l’action éolienne favorisant la formation des dunes littorales semifixes. Simultanément, le fleuve a considérablement accru ses sinuosités. Les dunes 22 littorales subactuelles ont été fixées par la végétation dans leur migration vers le Sud-est lors d’une légère pulsation qui se serait produite au Moyen Age. A l’actuel, une nouvelle donne modifie le fonctionnement du fleuve : les barrages qui tempèrent les conditions de sédimentation et l’érosion fluviale dans des proportions encore difficiles à évaluer. (Michel, 1973).
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