Le Syndrome des Anti‐phospholipides

Physiopathologie

Les Phospholipides

Les phospholipides sont les constituants majeurs des membranes plasmiques. Composés d’une partie hydrophile, la tête, et d’une partie hydrophobe, la queue, ils forment une bi-couche lipidique (figure 2) où viennent s’ancrer protéines et cholestérol, assurant protection, transduction de signaux, communication avec le milieu extra-cellulaire, tout en limitant la perméabilité de la cellule.

Les anti‐phospholipides

Les anti-phospholipides, comme leur nom l’indique, sont des anticorps dirigés contre les phospholipides. Mais plus précisément, ils peuvent être dirigés contre le phospholipide luimême ou contre un cofacteur liant le phospholipide (7-10) (Figure 3). Ces cofacteurs sont en réalité des protéines agissant à la surface de la membrane phospholipidique, via cette interaction avec les PL. Nous pouvons citer la B2GPI, la prothrombine, l’annexine V, la protéine C, la protéine S, etc… (11).

Pathogénicité des aPL dans le SAPL

Le rôle de la béta-2-glycoprotéine 1

Parmi les aPL, ceux ayant pour cible antigénique la B2GPI auraient la plus importante signification clinique, surtout s’ils ont une activité lupus anticoagulante (12).
La B2GPI (anciennement appelée apolipoprotéine H) est une protéine sérique constituée de 326 acides-aminés organisés en cinq domaines (Figure 4). Lorsqu’elle est circulante, la B2GPI formerait une boucle, où domaine I et domaine V seraient liés. Puis à proximité des membranes plasmiques et plus précisément des phospholipides anioniques, le domaine V, chargé positivement, irait alors se lier à ces PL, ce qui expose le domaine I, très antigénique, à ses différents épitopes (13).

Les évènements thrombotiques

De très nombreux travaux eurent pour objectif d’expliquer la physiopathologie du SAPL, et ce sont principalement des études in vivo qui ont permis de confirmer le rôle pathogénique de ces aPL, en observant la survenue de thromboses artérielles et/ou veineuses chez des souris ou hamsters, après leur avoir injecté des IgG aPL (22).
Les aPL peuvent par de nombreux moyens expliquer les manifestations cliniques retrouvées chez les patients. Comme nous l’avons vu, les PL sont au centre de la physiologie de l’hémostase, utiles à chaque étape, de l’hémostase primaire à la cascade de coagulation.
Nous pouvons donc facilement comprendre que la présence d’aPL conduise à une pathologie thrombophilique, d’autant que comme nous l’avons déjà détaillé, les cibles des aPL sont le plus souvent des complexes formés de PL et d’un de leurs cofacteurs. Les cofacteurs les plus cités sont la B2GPI, la prothrombine, la protéine C, la protéine S, l’annexine V, qui ont toutes un rôle physiologique de régulation de la coagulation. Ainsi :
– Les aPL ayant pour cible la B2GPI inhibent ses actions anticoagulantes déjà détaillées,
– Les aPL ayant pour cible la prothrombine peuvent lier la molécule libre ou complexée aux PL (exemple des aPL anti-phosphatidylsérine/prothrombine), ce sont ces derniers qui seraient davantage corrélés à la clinique thrombotique du SAPL,
– les aPL ayant pour cible la protéine C, ou la protéine S bloquent leurs rôles d’inhibiteurs de la coagulation,
– Les aPL ayant pour cible l’annexine V (agent anticoagulant) déplacent cette molécule.
Parallèlement, un rôle tout aussi primordial des aPL est qu’ils peuvent stimuler certaines cellules (figure 5) : les plaquettes; les cellules endothéliales et les monocytes (23-25). En effet, ils altèrent l’expression et la sécrétion de molécules variées :
– Au niveau des monocytes, ils favorisent l’expression du facteur tissulaire, qui initie la voie extrinsèque de la cascade de la coagulation.
– Au niveau des cellules endothéliales, ils augmentent l’activité procoagulante (de même ils augmentent l’expression du facteur tissulaire, et celle de molécules d’adhésion), diminuent la fibrinolyse et dérégulent les eicosanoïdes (en diminuant la production endothéliale de prostaglandine-I2).
– Au niveau plaquettaire, ils augmentent la production de thromboxane A2 et l’expression de la GP-IIb-IIIa.

Les évènements obstétricaux

La théorie du « second hit » ne coïnciderait pas à priori avec les évènements obstétricaux car la simple administration d’aPL, dans des modèles animaux, induirait des pertes foetales, sans autre évènement déclencheur. Il est cependant possible de considérer que la grossesse constituerait en elle-même le « second hit ». En effet, il est déjà admis que les perturbations hormonales et vasculaires en période de gestation font de cet état un facteur de risque d’évènements thromboemboliques important. D’autre part, il a été démontré que physiologiquement, la B2GPI est en quantité très importante au niveau placentaire (22).
Les pertes foetales, précoces ou tardives, ainsi que les accouchements prématurés, qui constituent les critères cliniques diagnostiques du SAPL seraient expliqués par plusieurs mécanismes faisant intervenir les aPL. Notamment nous pouvons citer (Figure 8) :
– L’existence de thromboses placentaires (cf. évènements thrombotiques)
– Au niveau foetal : une modification des fonctions cellulaires des trophoblastes avec diminution de leur prolifération, donc de la croissance foetale, et potentiellement un défaut d’implantation.
– Au niveau maternel : une interaction avec les cellules de la décidua (partie maternelle du placenta formée à partir de l’endomètre) induisant un état pro-inflammatoire, lui-même conduisant aussi à un défaut d’implantation du foetus.

Epidémiologie

La prévalence du SAPL est difficile à établir, elle serait de l’ordre de 0,5% de la population générale. En revanche, il est estimé que 1 à 5% des femmes présenteraient des aPL. Le SAPL est le plus souvent primaire, et lorsqu’il est secondaire, il est le plus souvent associé à un lupus érythémateux disséminé (LED). On estime que 20 à 40% des patients présentant un LED sont susceptibles de développer un SAPL. Le sexe ratio est très en défaveur des femmes, qui sont 5 fois plus touchées que les hommes (74).
Dans une étude cas-témoin dont le but était d’évaluer la prévalence des facteurs de risque acquis ou génétiques de présenter un premier évènement thrombotique chez des patients âgés de moins de 70 ans (sans pathologie néoplasique connue), il a été montré que les aPL étaient présents dans 3 % des cas (versus 0.9 % pour les témoins, OR = 3.6) (27). Il s’agirait du facteur de risque acquis le plus important de Maladie Thrombo-embolique Veineuse (MTEV). De même, dans une autre étude, 17% des femmes présentant un Accident Vasculaire Cérébral (AVC) avant l’âge de 50 ans auraient des aPL positifs (versus 0.7% des témoins ; OR=43). Ce risque augmente davantage lorsque l’on associe une prise de pilule oestroprogestative (OR=201) ou une consommation de tabac (OR=87). (28)
D’autre part, concernant le versant obstétrique, il a été montré que 10 à 15% des femmes présentant des échecs dans leurs tentatives de grossesse présenteraient des aPL (26).

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Diagnostic

Clinique

Les critères cliniques ont été redéfinis à l’occasion du 11ième Congrès International des Anti-Phospholipides en 2006 à Sydney, Australie (6).

Evènements thrombotiques

Concernant les évènements thrombotiques, il faut que le ou la patient(e) ai présenté au moins une thrombose artérielle, et/ou veineuse et/ou des petits vaisseaux, et que ce diagnostic soit étayé par de l’imagerie ou de l’histopathologie (sans image d’inflammation de la paroi vasculaire). Ainsi les thromboses superficielles sont exclues des critères cliniques.

Evènements obstétricaux

Les critères obstétricaux retenus sont précisément :
– Au moins 3 fausses couches spontanées et successives au cours des 10 premières semaines de grossesse, en excluant une cause hormonale ou anatomique maternelles, ou chromosomique maternelle et paternelle, Et/ou
– Une mort foetale in utero (MFIU) après 10 semaines de gestation sans anomalie morphologique diagnostiquée au cours de l’analyse directe du foetus, ou au cours de son analyse par ultrason, Et/ou
– Une naissance prématurée avant la 34ième semaine de gestation d’un enfant sans anomalie morphologique, liée à une pré-éclampsie, ou une éclampsie sévère, ou une insuffisance placentaire.
NB : A savoir que dans le terme « d’insuffisance placentaire » il est possible de considérer toute anormalité des tests de surveillance foetale orientant vers une hypoxie foetale, un echodoppler orientant également vers une hypoxie foetale, un oligohydramnios, ou enfin un poids de naissance inférieur au 10ième percentile pour le même âge gestationnel (6).

Syndrome catastrophique des anti-phospholipides

Le Syndrome Catastrophique des Anti-Phospholipides (CAPS) est défini par une forme accélérée de SAPL avec des thromboses simultanées (ou dans un délai très rapproché) de la microcirculation d’au moins trois organes ou tissus, entraînant une défaillance multiviscérale.
Les atteintes initiales les plus fréquentes sont neurologiques (20%), pulmonaires (14%), rénales (13%). Le plus souvent, la prise en charge du patient relève de l’urgence et ce, en unité de soins intensifs, car il entraîne un décès dans 39% des cas. Sa prévalence est de moins de 1% des patients porteurs d’aPL, il peut être inaugurant (50% des cas), ou observé chez des patients dont le diagnostic de SAPL est déjà établi. Il touche les femmes dans 69% des cas.
Il existe un registre international depuis 2000, le « CAPS Registry », qui permet d’étudier l’épidémiologie de ce syndrome rare (http://ontocrf.costaisa.com/es/web/caps).
On y retrouve que dans 30% des cas, l’évènement déclencheur est une infection. Il a été montré que dans les CAPS, les infections ou les chirurgies récentes augmentent le risque de lésions endothéliales, précipitant donc les évènements thrombotiques (29). De même, un arrêt de l’anticoagulation peut être un facteur déclenchant important. Les chirurgies représentent environ 10% des évènements déclencheurs de CAPS, de même que les cancers, la prise de contraceptif. A moindre niveau, nous pouvons retrouver une césarienne, la prise de médicaments, une crise lupique.
Le diagnostic est posé par la clinique d’une part, avec la preuve de thromboses de la microcirculation d’au moins un organe ou tissus (par de l’imagerie ou par une analyse histopathologique), et par la présence d’autre part d’au moins un aPL à l’analyse biologique. A noter que bien évidemment, la confirmation douze semaines plus tard n’est alors pas nécessaire pour poser le diagnostic. Le titre d’aPL est généralement élevé.

Biologique

Il est important de soulever que c’est la persistance de la positivité des tests mettant en évidence la présence d’aPL, à au moins douze semaines d’intervalle, qui constitue le critère biologique pour le diagnostic du SAPL. En effet, devant la forte prévalence dans la population générale des évènements thrombotiques et des complications obstétricales décrites cidessus, il est primordial que la biologie apporte toute la spécificité de ce syndrome.

PRINCIPE DE DOSAGE

Il faut soulever que le terme d’anticoagulant circulant (ACC) n’est pas totalement exact, car comme nous l’avons vu, les aPL ont in vivo une action pro-coagulante. Mais paradoxalement cet ACC prolonge certains tests d’exploration de l’hémostase.
En effet, la recherche d’ACC est réalisée en laboratoire d’hémostase, en trois temps, selon les recommandations du Groupe d’Etude en Hémostase et Thrombose (GEHT) et de l’ISTH (International Society on Thrombosis and Hemostasis). D’abord il peut être suspecté devant un allongement des temps de coagulation des tests globaux, il s’agit du dépistage. Pour ce faire, l’ISTH recommande d’utiliser deux tests complémentaires : – Le TCA, ou Temps de Céphaline + Activateur, est un test global de coagulation utilisant la silice micronisée comme activateur de la cascade de la coagulation. Il est réalisé en routine par les laboratoires d’analyse médicale, principalement pour le suivi des patients ayant un traitement par héparine non fractionnée (HNF). Il explore la voie endogène (ou intrinsèque) de la coagulation, et est sensible aux déficits en facteurs de cette voie (VIII, IX, XI, XII, PK et KHPM) ainsi qu’aux déficits en facteurs communs aux voies intrinsèque et extrinsèque (II, V, X et Fibrinogène ou facteur I), aux aPL, et à la présence de traitements anticoagulants dans le sang.

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