Le succès des imitations de marbre

Le succès des imitations de marbre

Celles-ci connaissent un succès important au nord de la côte adriatique et dans l’ancienne Cisalpine, dès le début du IIe s., à une période où elles se font en revanche rares en Italie centrale, comme le montre la carte de répartition établie pour le IIe s. (voir carte, fig. 26). Certains cas demeurent douteux (par exemple les nombreux mouchetis dans les zones inférieures des domus de Brescia dont il n’est pas certain qu’il faille les interpréter systématiquement comme des imitations de marbre) et, parfois, le motif est attesté seulement ponctuellement (qu’il s’agisse de plaques d’enduit conservées en place ou de fragments) sans que l’on puisse reconstituer sa place et/ou son étendue dans le décor ; d’autres cas sont néanmoins mieux documentés, permettant d’observer ou de restituer des imitations de marbre en zones inférieure et, plus rarement, supérieure des décors ainsi que des placages fictifs couvrant sinon l’intégralité, du moins une bonne partie de la paroi.

Imitations de marbre en zones inférieure et supérieure

Les occurrences les plus nombreuses se trouvent, sans guère de surprise, limitées aux zones inférieures des décors. A l’image des plinthes réelles, le marbre constitue alors un socle protégeant le bas du mur, socle au-dessus duquel s’étend la composition principale. Quelques exemplaires prennent place sous les compositions à panneaux étudiées précédemment. C’est le cas dans la domus del Brüt Fund à Vercelli (VER 01.01), où est décrite, sous les panneaux blancs et inter-panneaux à guirlandes entourées de rubans ondés, une zone inférieure à imitation de marbre472. Les mouchetis qui occupent les zones inférieures des pièces 2 et 4 de la domus des Fontaines à Brescia (BRE 02.01 état 1 et 02.04) ont également été interprétés comme des imitations de porphyre ou de granit473 ; dans la pièce voisine 2 bis, ce sont des formes ovoïdes rouge orangé sur fond crème qui occupent la zone inférieure, scandée en compartiments par des filets (BRE 02.02). Enfin, dans la domus du Chirurgien, une imitation de marbre constituait vraisemblablement la zone inférieure du décor à panneaux et corniche supérieure qui occupait le cubiculum. Elle n’est conservée que sur une plaque d’enduit exposée au musée : il s’agit de taches rouges de formes diverses sur un fond jaune, qui pourraient évoquer du marbre jaune antique ou, éventuellement, une brèche rouge.
Dans la domus dei Coiedii à Suasa, les compositions architecturales datées de la deuxième phase de restructuration (fin IIe – début IIIe s.) s’élèvent toutes au-dessus de socles de marbre fictifs. Dans la pièce BB, des plaques de marbre gris avec des stries alternativement horizontales et obliques sont scandées par des bandes verticales rouges (SUA 01.29) ; les mêmes teintes dominent dans la pièce BC où de longues plaques grises à ondes parallèles sont séparées d’éléments plus étroits et plus sombres par des liserés rouges (SUA 01.30). Ce sont en revanche des marbres colorés qui occupent le bas des parois des pièces AF et AK (SUA 01.18 et 20) ; d’après la restitution proposée pour la pièce AK474, il semble s’agir ici aussi de plaques juxtaposées mais l’on manque de descriptions ou d’images plus précises.
Enfin, il arrive souvent que seule la zone inférieure soit conservée sans que l’on connaisse le type de composition qui se déployait au-dessus. C’est le cas dans la pièce BA de la domus dei Coiedii, bien que l’on puisse supposer, au vu des décors des pièces voisines, la présence d’une composition architecturale (SUA 01.28). Les placages fictifs sont ici déclinés selon une version un peu plus complexe : plaques à veines obliques et disque central rouge séparées les unes des autres par des bandes verticales. Toujours dans la domus dei Coiedii, les pièces voisines C, E, et G ont livré, en zone inférieure, des plaques de marbre coloré séparées par des bandes verticales (SUA 01.03, 05 et 07). A Rimini, dans la pièce R de la domus 1 de l’ex-vescovado (RIM 01.6), on a pu restituer, en zone inférieure, des plaques juxtaposées qui imitent au moins deux variétés de marbre, reproduites avec soin et vraisemblance (un cipolin suggéré par des stries dans un dégradé de verts et un porphyre représenté par un mouchetis de jaune ocre, noir et orange sur fond rouge foncé). Dans la même maison, la pièce G a également livré quelques fragments représentant des marbres fictifs (RIM 01.03) : une portion de disque à fond jaune avec de larges taches ovoïdes orange et blanc (peut-être une imitation de jaune antique), une imitation de cipolin à fond vert avec veines blanches, un fond bleu égyptien ponctué de taches rouges difficilement identifiable à un type précis. Ces fragments sont également attribués à une zone inférieure mais avec moins de certitude étant donné leur faible quantité. Des formes ovoïdes tracées en rouge sur fond jaune sont attestées dans la villa de Toscolano Maderno, (pièce 1 ; TOS 01.01) mais l’enduit n’est conservé que sur une très faible surface dans un angle de la pièce, si bien que l’on ne peut rien dire de la structure de la zone inférieure, ni même être certain que ces imitations ne se prolongeaient pas en zone médiane. Enfin, à Brescia, dans la pièce 24 de la domus des Fontaines (BRE 02.17), une bande continue rose beige marbrée de gris et scandée de lignes noires court au bas des parois.
Les marbres fictifs occupent aussi, bien que plus rarement, les zones supérieures des parois. Ainsi, à Russi, dans la pièce 16 de la villa (RUS 01.11), une bande continue traitée façon peau de léopard (c’est-à-dire tachée d’un réseau assez dense de points et formes ovoïdes tracées rapidement) couronnait vraisemblablement la paroi. De même, dans la pièce AF de la domus dei Coiedii à Suasa, est décrite une bande à imitation de marbre qui opérait la transition entre les zones médiane et supérieure (SUA 01.18).

Structure et matière : synthèse sur les formes des imitations

En dépit du caractère lacunaire et parfois mal documenté des peintures, quelques traits saillants se dessinent pour l’ensemble de la période.
D’une part, les structures apparaissent dans l’ensemble relativement simples. En zone inférieure, on se contente dans la plupart des cas de représenter des plaques rectangulaires couchées, juxtaposées ou séparées par des bandes verticales, les disques observés dans la pièce BA de la domus dei Coiedii et à Rimini faisant figure d’exceptions. Même quand les revêtements sont plus élevés, sont surtout mis en oeuvre des modules rectangulaires ; seul le décor de Fossombrone atteste une imitation d’opus sectile véritable, avec des formes complexes comme des peltes et des losanges inscrits dans des rectangles.
On observe en revanche une certaine diversité – bien qu’incomparable avec la richesse des types de marbres réels – dans le traitement des faux marbres : du simple mouchetis par projection de peinture, aux formes ovoïdes, en passant par les stries, les ondes, les taches irrégulières et les marbrures. Si les modèles réels sont parfois évidents, il ne faut sans doute pas chercher d’associations systématiques et la part de fantaisie devait être importante,comme le rappelait H. Eristov à propos des imitations de marbre pompéiennes485. A cet égard, l’identification de « types fictifs », comme l’a fait précisément la chercheuse pour Pompéi, est sans doute plus fructueuse que la recherche acharnée de modèles minéralogiques. Dans la zone qui nous intéresse, ils se concentrent autour de quelques grands types comprenant chacun des variantes chromatiques486, comme le montre le tableau proposé (fig. 27) : les mouchetis, blancs ou colorés, sur fond rouge ou vert (pour se rapprocher des porphyres) et, plus rarement blanc ; les veines à formes ovoïdes, le type le plus courant étant les veines rouges sur fond jaune qui évoquent le jaune antique ; les stries et ondes associées, régulières ou en zigzag, obliques ou horizontales, qui se déclinent autour de deux grandes variantes chromatiques (une dans les tons gris ; l’autre dans les tons verts). D’autres cas, plus ponctuels, échappent à cette classification, comme les marbrures irrégulières de certaines plaques des peintures de Fossombrone ou de la pièce 24 de la domus des Fontaines à Brescia, les taches rouges sur fond jaune de la domus du chirurgien à Rimini ou les taches rouges sur fond bleu égyptien de la domus 1 de l’ex-vescovado. En dépit de cette variété, on observe la disparition de certains types complexes élaborés à l’époque du Deuxième Style Pompéien, comme les albâtres à noyaux et les tracés floraux ou coralliformes identifiés par H. Eristov487. La documentation atteste également un resserrement autour des couleurs rouge, jaune, verte, noire et blanche, avec une relative disparition des teintes « intermédiaires » comme le violet, le rose, le marron et une utilisation très ponctuelle du bleu.

Statut des placages fictifs

De prime abord, on pourrait être tenté d’apporter une explication économique à cette situation. Les commanditaires manquaient-il des moyens nécessaires pour faire réaliser de tels décors ? La réponse ne peut être que négative dans la mesure où les dimensions, les plans, la richesse des autres types de décors (riches pavements de mosaïques, fontaines, nymphées, statues – disparues dans la plupart des cas mais restituables grâce à leurs niches ou socles) attestent bien souvent le niveau socio-économique élevé des propriétaires. Difficile également d’envisager un manque de matériau puisque les principales carrières de marbre italiennes se trouvent précisément dans les régions septentrionales (que l’on pense par exemple à Carrare ou à Vérone). Le fait que plusieurs de ces maisons aient des élévations en terre crue492 peut en partie expliquer le choix de revêtements pariétaux légers ; cependant, des placages de marbre ne sont pas totalement incompatibles avec de telles techniques de construction et, qui plus est, les soubassements en pierre pourraient sans aucun problème supporter des plinthes de marbre.
L’explication nous semble plutôt tenir à des conceptions différentes du décor domestique : tandis qu’à Rome, sous l’influence des demeures impériales où les matériaux précieux viennent remplacer la peinture murale dans les secteurs de représentation, le marbre au IIe s. un marqueur hiérarchique presque nécessaire, les régions plus septentrionales ont sans doute moins touchées par ce qu’on pourrait appeler la « dérive monarchique » du décor et la peinture murale et la mosaïque ont gardé toute leur place dans la structuration de la maison. Le marbre reste quant à lui réservé à des cas particuliers, comme nous l’avons vu à Brescia où un lien se dessinait avec la thématique de l’eau.
Une telle lecture est confirmée par le fait que les imitations de marbre ne sont pas utilisées, dans ces maisons, comme un pis-aller qui se contenterait de reprendre, à moindre frais, la connotation prestigieuse du matériau précieux, mais apparaissent bien comme un motif à part entière, utilisé pour ses qualités proprement plastiques.
En effet, si l’on regarde les profils typologiques des pièces concernées, il apparaît que les placages fictifs prennent place dans des contextes assez diversifiés, et ce même quand ils recouvrent toute la paroi ou une bonne partie (décors indiqués en gris foncé dans les tableaux ; le gris clair renvoie aux zones inférieures ou supérieures ; en blanc apparaissent les cas douteux ou trop lacunaires pour en déterminer la hauteur). On les trouve d’abord dans des pièces que leurs caractéristiques spatiales signalent comme importantes, comme l’oecus central G de la domus dei Coiedii à Suasa ou la grande pièce 17, dans l’axe du péristyle, dans la domus B de Santa Giulia (voir tableau 26 ci-dessous). Ils caractérisent également nombre de pièces de vie de qualité mais de seconde importance dans l’économie de la maison – comme les pièces du secteur sud de la domus dei Coiedii à Suasa ou les petites pièces encadrant la grande pièce 5 dans la villa de Russi –, ainsi que des pièces véritablement secondaires, au décor plus sommaire, comme les petites pièces du secteur d’entrée de la domus des Fontaines à Brescia (voir tableaux 27 et 28 ci-dessous). Enfin, ils occupent également des cours et des espaces de circulation (voir tableau 29 ci-dessous).

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