Le statut du doctorant dans le laboratoire

Le statut du doctorant dans le laboratoire

L’entrée par les pratiques de communication m’amène à considérer les interactions dans lesquelles les doctorants sont pris au quotidien, mais aussi et surtout, à appréhender le rapport qu’ils entretiennent avec leur pratique de recherche dans ses différentes composantes (expériences à la paillasse, publications, collaborations, communications internes et externes, etc. ), ainsi qu’avec les autres membres du laboratoire, notamment avec leur(s) directeur(s) de thèse, les membres de l’équipe ou avec les personnes extérieures au laboratoire avec qui ils sont en interaction. Cette approche me conduit à esquisser le(s) statut(s) endossé(s) par les doctorants ainsi que ceux qui leur sont attribués au cours de leur thèse69, les premiers ne coïncidant pas toujours avec les seconds. L’étude des pratiques de communication décrites au cours d’entretiens individuels, permet d’accéder à l’expérience de thèse telle qu’elle est vécue et racontée par les doctorants, plus qu’à une représentation institutionnelle ou socioprofessionnelle de leur activité, ainsi qu’au statut qu’ils endossent au sein du laboratoire de recherche dont ils relèvent. On peut dès lors se demander si de précédentes études portant sur les pratiques de recherche de doctorants en sciences expérimentales aboutissent aux mêmes conclusions que celles qui découlent de l’analyse des discours portés par les doctorants sur leurs pratiques et sur eux-mêmes, quant au statut du doctorant dans son laboratoire d’appartenance. Le cadre d’un débat sur le statut des doctorants Le statut professionnel des doctorants est un sujet contemporain de débats, et la comparaison des modèles nationaux (essentiellement entre Etats-Unis, Allemagne et France), fait l’objet d’étude, de rapports et de préconisations (Louvel, 2010). L’objectif de tels travaux est souvent de contribuer à l’amélioration de la « condition de doctorant » et à l’efficacité de leur insertion professionnelle à la suite des années de thèse, ne donnant pas nécessairement lieu à l’obtention d’un poste universitaire. « Particulièrement vifs à l’échelle internationale, les débats sur les doctorants et les docteurs ne portent pas seulement sur les perspectives de carrière. La réflexion s’engage également sur le statut professionnel de ces jeunes chercheurs, sur les relations qu’ils entretiennent avec les scientifiques titulaires, enfin sur leur place dans les systèmes nationaux de recherche. […] Enfin, le modèle français constitue un intermédiaire entre les modèles anglo-saxon et allemand. À l’instar de l’Allemagne, la relation entre doctorant et encadrant tend à être relativement personnalisée, marquée du sceau de l’apprentissage [Louvel (2006)], et caractérisée par l’attente forte d’un soutien de l’encadrant dans la recherche d’un poste. Toutefois, l’absence fréquente de dépendance financière directe des doctorants vis-à-vis de leurs encadrants (via les allocations de recherche ministérielles, mais également de financements régionaux, européens, etc. ) tempère cette personnalisation. Le contrat doctoral français a ainsi pu être qualifié de contrat « institutionnel », conclu entre les doctorants et le laboratoire dans lequel ils se forment, se socialisent à la recherche, et sont ensuite susceptibles d’être recrutés (du fait de l’éventualité d’un recrutement « local », cf. infra). » (Louvel, 2010) Des changements récents, et notamment la mise en place d’un nouveau contrat doctoral en septembre 2009, viennent modifier les statuts des doctorants et des postdoctorants en les positionnant officiellement en tant que travailleurs salariés d’un établissement plutôt qu’en tant qu’étudiants. « Deux évolutions sont susceptibles de rapprocher la France des modèles anglo-saxons. Tout d’abord, le développement des post-doctorats, associé aux dispositions contre le « localisme » des recrutements, affaiblira probablement ce contrat institutionnel entre doctorant et laboratoire de thèse. Cette inflexion contribuera aussi à faire des post-doctorants, statut relativement récent dans le paysage de la recherche française, de véritables professionnels de la recherche, plutôt que de jeunes chercheurs en « attente » d’un emploi ou en « complément » de formation. Ensuite, le contrat doctoral instauré par le décret n° 2009-464 du 23 avril 2009 (décret relatif aux doctorants contractuels des établissements publics d’enseignement supérieur ou de recherche) fait du contrat de thèse un véritable contrat de travail entre le doctorant et l’établissement d’enseignement supérieur ou de recherche. Dès lors, il accentuera vraisemblablement la dépersonnalisation de la relation au directeur de thèse. » (Louvel, 2010) 

La thèse entre apprentissage et activité de recherche

 Les travaux effectués en didactique professionnelle (Tourmen, 2009), ou en sociologie (Louvel, 2006 ; Shinn, 1988) proposent des analyses du statut des doctorants dans les laboratoires, ainsi que des compétences qu’ils acquièrent tout au long de leur thèse. La thèse y est à la fois définie comme une période d’apprentissage et comme une activité de recherche à part entière : « Inscrits à l’université pour préparer un titre universitaire, ce sont des étudiants. Réalisant un projet de recherche et produisant des connaissances scientifiques et/ou technologiques, ils exercent aussi une activité de recherche sous la responsabilité d’un directeur de thèse. » (Louvel, 2006 ; p. 53) La spécificité d’une formation par la pratique Parfois décrite comme une « formation à la recherche par la recherche »71, la thèse est une expérience au cours de laquelle le doctorant apprend son potentiel72 futur métier de chercheur par la pratique, ce qui distingue cet apprentissage d’une formation universitaire théorique :« Dans le contexte actuel, la préparation d’une thèse s’inscrit donc dans un processus de formation sur le tas qui reste peu redéployable hors du champ académique. La formation par la recherche correspond, pour le doctorant, que ce soit dans le cadre d’une formation continue ou d’une formation initiale, à une période d’accumulation de capital spécifique qui ne peut pas être assimilée à une formation universitaire généraliste. Le doctorat a donc un apport faible en terme de carrière pour toutes les personnes qui n’occupent pas un emploi où il est requis pour être recruté. » (Mangematin & Mandran, 2001) Ainsi, l’expérience de la thèse et son aboutissement par l’obtention d’un doctorat « sanctionne l’acquisition d’un ensemble de savoirs théoriques et professionnels jugés nécessaires à l’exercice de la recherche. » (Louvel, 2006). Après sa soutenance de thèse, le jeune docteur serait ainsi potentiellement apte à exercer le métier de chercheur. La thèse peut de ce point de vue être considérée comme une phase d’« acquisition en laboratoire de savoirs professionnels, autrement dit de l’ensemble des compétences grâce auxquelles un chercheur définit, réalise et valorise un projet de recherche. Ces savoirs ont deux caractéristiques : ils concernent principalement la pratique expérimentale et ils supposent une relation pédagogique personnalisée avec l’encadrant. » (Louvel, 2006).

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La particularité des sciences expérimentales

Si l’on considère la thèse comme une phase d’acquisition de compétences nécessaire à l’exercice d’un métier, alors les doctorants en sciences humaines et sociales et les doctorants en sciences exactes et expérimentales vivent une expérience proche. Si l’on envisage cette fois le quotidien d’une thèse et les interactions qui s’y jouent, sciences humaines et sciences expérimentales se distinguent fortement. De la même manière que S. Louvel (2006) le précise concernant son étude auprès de chimistes et de biologistes, les connaissances construites à partir de la description des pratiques quotidiennes des jeunes chercheurs en biologie expérimentale, à partir de leurs pratiques de communication, ne saurait bien entendu être généralisée aux doctorants d’autres disciplines des sciences de la nature ou des sciences humaines et sociales73 . Les conclusions tirées de cette recherche ne peuvent pas être transposées directement aux doctorants en sciences humaines, moins fréquemment financés et/ou intégrés dans un laboratoire. Cette étude offre un éclairage localisé sur la question plus générale des processus de reconnaissance d’une activité professionnelle sur le lieu de travail (Louvel, 2006, p. 55- 56).  

La production de connaissances

Le bilan d’une thèse, qu’il soit posé par le doctorant lui-même ou par son encadrant, ne s’effectue le plus souvent pas seulement sur le plan des compétences acquises par le doctorant. Lors de la soutenance de thèse, lieu symbolique et déterminant quant à l’évaluation du parcours et du travail effectué par le doctorant, il s’agit bien de faire état de la contribution du jeune chercheur à la production de connaissances sur le sujet de recherche mené dans son aboratoire d’accueil. L’exigence de publication d’au minimum un article en cours de thèse ainsi que la nature de la relation directeur de thèse – doctorant telle qu’elle est instituée dans les textes (Louvel, 2006) viennent souligner ce rôle particulier de producteur de connaissance endossé par les doctorants (voir partie I. 1. 1). « Nous montrons d’abord que le laboratoire est, dans ces disciplines, le lieu incontournable de transmission de savoirs de recherche complexes et peu formalisables. Nous expliquons ensuite que les doctorants n’acquièrent pas seulement des compétences, mais qu’ils produisent aussi des connaissances scientifiques avec leur encadrant. » (Louvel, 2006) « Dans les sciences expérimentales, la reconnaissance des deux fonctions des doctorants fait l’objet d’un large consensus parmi les scientifiques titulaires et parmi les économistes des sciences : « Ils sont à la fois la principale force de travail des laboratoires et les futurs responsables scientifiques. » (Freeman, R. , Weinstein, E. , Marincola, et al. 2001, p. 40). L’emploi de doctorants permet de former à la recherche des jeunes qui sont les futurs scientifiques titulaires du public et du privé. Le travail des doctorants est aussi indispensable pour produire des connaissances scientifiques et technologiques. » (Louvel, 2006) 

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