L’histoire des mouvements littéraires est faite de conflits, de querelles parfois vives. Pour se faire reconnaitre, chaque nouvelle esthétique doit souligner sa différence. Chaque courant littéraire s’affirme par des principes et des idées qui le distinguent des autres courants. A l’intérieur d’un même mouvement, les écrivains partagent les mêmes conceptions du style, de l’art, du beau ainsi que de la vérité, de la société et de la liberté. A travers les époques et les générations, la littérature a connu des évolutions dans son aspect esthétique et idéologique. L’on assiste à des renouvellements constants de style au sein des genres littéraires existants. Toujours est-il, un auteur se réfère au monde qu’il souhaite traduire dans ses écrits et/ou le transformer selon sa sensibilité. Le traitement des éléments de la nature au sein des œuvres littéraires n’y échappe pas. Guillaume Apollinaire par son génie littéraire apporte sa touche personnelle à travers ses chefs-d’œuvre notamment Alcools.

LA NATURE, APOLLINAIRE ET ALCOOLS : APERCU HISTORIQUE 

Alcools, recueil de poèmes de Guillaume APOLLINAIRE, est paru dans les éditions « Mercure de France » en 1913. L’auteur a vécu pendant l’époque où la conception de l’art par les différents artistes connus évolue d’une période à une autre. Une multitude de thème, y compris la nature, sont traités dans les œuvres produites.

La synthèse de ces informations nous permet d’avancer la définition suivante : la nature désigne l’ensemble formé par l’univers physique terrestre et céleste, la faune, la flore, le vent, la pluie et les aléas climatiques. C’est l’ensemble de tout ce qui dans le monde n’apparait pas comme transformé par l’homme mais qui existe et se produit spontanément selon un certain ordre naturel.

APERCU DE LA NATURE DANS LA LITTERATURE ET L’ART: FIN XIXe siècle et DEBUT XXe siècle

Une œuvre s’inscrit dans l’époque ou elle a été produite. Alcools, notre corpus, est paru en 1913. Les poèmes du volume ont été composés entre 1898 et 1912. Si l’on se réfère à la périodicité, l’œuvre aurait vu le jour dans la période du Symbolisme finissant et à la veille de la naissance officielle du Surréalisme en tant que mouvement littéraire et artistique. Toutefois, à la lecture d’Alcools, nous avons constaté des analogies qui rapprocheraient l’œuvre aux mouvements Symboliste et Surréaliste dans les références à la nature. En outre, nous avons aussi découvert qu’il existe une multitude de procédés qui apparentent les poèmes du volume à d’autres mouvements artistiques de la même époque : l’Impressionnisme et le Cubisme.

La nature dans les perspectives symboliste et surréaliste

Le Symbolisme et la nature
Le Symbolisme est un mouvement littéraire et artistique apparu en France et en Belgique dans les années 1870, en réaction contre le naturalisme et le Parnasse. Dans les poèmes symbolistes, la nature se manifeste parfois dans la composition du paysage. Les images évoquées peuvent être en relation avec le rêve ou exprimer un état d’âme. A titre d’exemples, dans « Paysage », poème de 1856, Charles Baudelaire décrit un paysage, en juxtaposant le réel avec l’onirique. Dans le poème «Clair de Lune » publié dans Poèmes saturniens (1866), Paul Verlaine associe un paysage à des émotions humaines : c’est le paysage état d’âme.

Par ailleurs, les artistes expriment leurs idées, sentiments et valeurs au moyen de symboles c’est è dire un être ou un objet relevant de la nature ou non qui représente une idée à laquelle il est lié par analogie. Le symbole permet alors de donner une forme aux idées. Le Symbolisme se caractérise par l’art de la suggestion. Au lieu de décrire directement les choses, le poète les évoque à travers les sensations pures qu’elles ont suscitées. En effet,: « Nommer un objet, c’est supprimer les trois quart de jouissance du poème qui est faite de deviner peu à peu : suggérer, voila le rêve. Il doit toujours y avoir une énigme en poésie et c’est le but de la littérature. » Pour les symbolistes, le monde est fait de représentations et n’existe qu’en fonction des idées que nous en avons. Il permet d’atteindre par analogie des vérités inaccessibles au raisonnement logique.

En outre, au delà des apparences, il y a des rapports entre les choses, entre les êtres. C’est ce qu’on appelle « Les correspondances ». Pour Baudelaire, c’est un jeu entre les sens et la nature. Le mystère de la vie et de l’existence ne peut s’exprimer directement par des descriptions réalistes. La poésie doit transgresser le phénomène, le visuel pour accéder à l’essence. La poésie doit déchiffrer le monde. Enfin, il convient de noter que le rêve joue un rôle essentiel dans ce mouvement. Le poète fait comme l’enfant qui joue et se crée un monde imaginaire qui n’existe que dans et par le rêve. Bref, les symbolistes recourent à la nature dans le cadre de la composition de paysage réel et/ou onirique. Les symboles chers aux écrivains font références à la nature et suggèrent les idées au lieu des les exprimer directement. La nature est aussi présente dans les images relevant du rêve. Il existe des correspondances entre les sens et la nature.

Le Surréalisme et la nature
Les écrivains surréalistes qui succèdent aux Symbolistes ont d’autres conceptions de la nature ainsi que des caractéristiques qui leur sont propres. Le Surréalisme est un mouvement littéraire et artistique né après la Première Guerre Mondiale de 1914-1918. Il s’agit d’un mouvement de révolte contre la société rationaliste et positiviste ayant rendu possible les atrocités de la guerre. Il comprend l’ensemble des procédés de création et d’expression utilisant toutes les forces psychiques libérées du contrôle de la raison et en lutte contre les valeurs reçues.

Avec le mouvement, la nature apparait dans la composition d’images insolites, des rapprochements inattendus qui sortent du quotidien. En effet, « l’attitude des surréalistes à l’égard de la nature est commandée avant tout par conception initiale qu’il s’est fait de l’image poétique. On sait qu’il a vu le moyen d’obtenir dans des conditions d’extrême détente bien mieux que d’extrême concentration de l’esprit certains traits de feu reliant deux éléments de la réalité de catégories si éloignées l’une de l’autre que la raison se refuserait à les mettre en rapport et qu’il faut s’être défait momentanément de tout esprit critique pour les permettre de se confronter ».

Télécharger le document complet